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Sophie Bramly nous raconte la naissance du hip-hop, « ils n'étaient même pas cent à y croire » Sophie Bramly nous raconte la naissance du hip-hop, « ils n'étaient même pas cent à y croire »

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Et si on parlait de la naissance du hip-hop : « Ils n’étaient même pas cent à y croire »

Crédit photo : Sophie Bramly

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1981. Sophie Bramly immortalise l’éclosion du mouvement hip-hop. La photographe est fascinée par ces habitants du Bronx qui misent sur leur flow, leurs platines, leurs bombes de peinture et leur nouvelle danse pour s’en sortir. Puis elle participe à la popularisation de cette culture, en lançant, entre autres, MTV Europe.

Coup de feu dans le gymnase. Afrika Bambaataa attrape un vinyle, un James Brown. Imparable Sex Machine. Aux premiers scratchs du DJ américain (l’un des trois pères fondateurs du mouvement hip-hop), la foule re-déboule sur la piste. Comme si les tirs ne venaient pas de créer l’affolement général. Souvenir d’une block party dans le Bronx. Sophie Bramly se marre. Parce que « c’est dingue » quand elle y repense. « Ils avaient trouvé dans le hip-hop une solution heureuse, harmonieuse, productive, à leur atroce cadre de vie, dans des immeubles démolis et d’une violence inouïe, rembobine-t-elle. À 11 ans, ils perdaient leurs amis dans des bagarres de rue, tout le monde était armé, il ne fallait pas faire le mauvais pas au mauvais moment. Afrika Bambaata disait qu’il fallait transformer l’énergie négative des gangs en quelque chose de positif. Que chacun devait, pour cela, se trouver une capacité artistique dans laquelle il pourrait s’exprimer. »

Le public du Bronx River Art Center. Crédit photo : Sophie Bramly

Prologue d’un mouvement culturel à l’influence exponentielle

Ils n’étaient « même pas cent à y croire » quand Sophie Bramly les rencontre en 1981. Enfant gâtée, de son propre aveu, lassée de Paris, elle la quitte pour New-York. Au programme de cette nouvelle vie : ne rien programmer, justement. À part quelques commandes pour Paris Match, des « sujets super chiants ». Et là : coup de foudre à (l’écart de) Manhattan. « Des hommes dansaient et je n’avais jamais vu ça. Ils faisaient des mouvements qui me paraissaient impossibles. » New York face B fascine la Parisienne qui s’y infiltre pendant quatre ans. Au Nikon F, parfois au Pentax GX7, elle shoote ses nouveaux copains – des futures stars mondiales – dès lors qu’ils scratchent, graffent, dansent, rappent. 

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Cerne-t-elle, à ces instants, la portée du miracle qui se produit ? Elle pourrait, avec 38 ans de recul, se vanter d’avoir flairé l’avenir explosif du mouvement, mais elle fait non de la tête. « Non, je ne me posais pas cette question. J’avais simplement besoin de les photographier. J’étais subjuguée. Mes photos n’intéressaient personne, ne me rapportaient pas d’argent, mais je ne pouvais pas m’empêcher de les suivre. Alors j’ai vendu les quatre bijoux que j’avais, enchaîné les petits jobs de serveuse… » Sans se plaindre. La fille d’un pharmacien et d’une éditrice se l’interdit quand elle compare son niveau de vie à celui de ses amis du Bronx jamais plaintifs.

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Elle n’a ni leur lifestyle, ni leur dégaine, avec ses mythiques collants roses résilles. Mais les street-artistes la protègent fraternellement, selon leur classement des femmes, binaire, à deux colonnes : des « hoes », sinon des « sisters ». Elle intègre cette seconde catégorie parce qu’ils estiment qu’elle vient « du même monde ». « Je leur disais que j’étais originaire de Paris, mais ils refusaient cette réponse, car je suis mate de peau. J’ajoutais que j’étais née en Tunisie. Là, ils entendaient « Afrique » et j’étais alors sanctifiée !»

Crédit photo : Sophie Bramly

Les artistes hip-hop méprisés, y compris par l’Amérique noire

Elle se souvient aussi, plus douloureusement, d’une Amérique « raciste, ségrégationniste ». « Mêmes les Noirs étaient racistes envers les artistes hip-hop, parce qu’ils étaient habillés en baskets-jogging. Ce look, ça n’existait pas à cette époque. Ça n’était pas tolérable. Ils étaient considérés comme la lie de la société. Tous les Noirs qui rêvaient d’une ascension sociale les évitaient. Il fallait que je planque mes amis au coin de la rue pour que les chauffeurs noirs de taxi s’arrêtent. »

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Dire que les baskets sont devenues les paires-stars, des dressings aux défilés couture. « C’est un revirement incroyable. Ils portaient des contrefaçons de maisons de luxe pour se donner un peu de prestance. Aujourd’hui, toutes ces marques leur font des courbettes, leur offrent des pompes en or. » Le comble : avant que Colette, temple de la hype de la rue Saint-Honoré, ne rende orphelins des milliers de parisiens branchés, Sophie Bramly y a exposé ses clichés. Ceux qu’on invisibilisait autrefois, y sont regardés, admirés, sous-verre.

DJ D.St dans sa chambre avec les autres membres de son groupe. Crédit photo : Sophie Bramly

DJ D.St dans sa chambre avec les autres membres de son groupe. Crédit photo : Sophie Bramly

Mission transmission

En quittant New-York, Sophie Bramly s’engage à partager au plus grand nombre sa découverte underground. Elle participe au lancement de MTV Europe, présente le premier programme rap de la chaîne de clips, le culte « Yo! », après avoir co-produit « H.I.P H.O.P », l’émission de TF1 qui a rendu populaire les street-danseurs et les rappeurs en France. « Sidney [l’animateur, ndr] n’en revenait pas que l’on soit diffusé sur une grande chaîne, les invités américains non plus, ils ne passaient pratiquement pas sur les radios noires aux États-Unis à cette époque, ou alors, tard dans la nuit. »

Même volte-face sur les ondes qu’en magasins de sneakers : le rap est aujourd’hui diffusé en boucle. Partout. Même Nostalgie s’y met, puisqu’« il y a des papis-rap désormais », s’amuse la pionnière. Et elle ? Qu’écoute la mamie rap en 2019 ? Cardi B, lâche-t-elle du tac au tac. Elle est une héroïne féministe contemporaine, estime-t-elle, inspirante car émancipée à travers un corps puissant et une sexualité affranchie. Damso aussi, sans transition, et sur conseil de son enfant. De son fils fier.

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Échauffement d’un danseur devant les deux policiers, en poste de surveillance devant la salle du Bronx River Art Center. Crédit photo : Sophie Bramly

 

Sophie Bramly est l’auteure de Walk This Way, bible de la photographie Hip-Hop pour tous les passionnés, et d’Un matin j’étais féministe, essai et témoignage à la fois, paru aux Éditions Kéro.

 

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