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Hip Hop Management: « Go to College ! », par Michelle Obama

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Papier écrit par Jean-Philippe Denis, Université Paris Sud – Paris-Saclay

Jean-Philippe Denis est un professeur de sciences du management à l’Université Paris Sud. Rédacteur en Chef de la Revue Française de Gestion, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Introduction au Hip-Hop Management, publié aux éditions EMS. Ce livre a reçu le prix du « Meilleur ouvrage de recherche appliquée en management 2015 ».

Comme un nouvel Ice Bucket Challenge viral, la nouvelle fait déjà grand bruit : Michelle Obama rappe pour encourager les jeunes à aller à l’université. En France, Najat Valaud Belkacem communique, elle, sur le nombre de postes « sauvés » dans l’Éducation nationale. Comme un choc des (in)-cultures managériales ou des (im)-possibles, revisité : d’un côté convaincre la jeunesse, de l’autre faire de la politique d’abord politicienne.

Le clip « Go to College » featuring Michelle Obama

La jeunesse « priorité du quinquennat… »

Évidemment, on ne saurait critiquer le fait de jouer sur les effets d’annonce pour mieux cacher la moindre destruction que prévue des postes de fonctionnaires dans l’Éducation nationale. Ce serait assurément mal venu, surtout quand on a un peu de mémoire et qu’on se souvient qu’en 2012 le président Hollande avait fait de la jeunesse la priorité de son quinquennat.

Il ne s’agit donc pas ici de critiquer, mais plus simplement de noter la faillite de vision. Le problème premier de l’école, ce n’est pas le nombre de postes. Le problème premier de l’école, à tous les niveaux (classes maternelles, primaires, collège, lycée, supérieur…), ce n’est pas non plus les enseignants. Le problème de l’école, c’est le désespoir qu’elle suscite : qui croit encore sérieusement que toutes les écoles se valent ? Qui croit encore sérieusement que l’égalité des chances serait réelle ? Qui croit encore que le baccalauréat vaudrait quelque chose ? Qui croit encore qu’un diplôme constituerait un passeport sérieux pour la vie active ?

« T’as raté ta vie, comment tu comptes élever mes fils ? ». La punch-line d’Orelsan claque comme un uppercut au foie. Elle est tirée d’un morceau hip-hop d’anthologie : « suicide social ». Une somme de punch-line à déguster en montant les basses et en faisant péter le son. Jugez plutôt (paroles reprises de ce site).

Aujourd’hui sera le dernier jour de mon existence
La dernière fois que j’ferme les yeux
Mon dernier silence
J’ai longtemps cherché la solution à ces nuisances
Ça m’apparaît maintenant comme une évidence
Fini d’être une photocopie
Fini la monotonie, la lobotomie
Aujourd’hui, j’mettrais ni ma chemise ni ma cravate
J’irai pas jusqu’au travail, j’donnerai pas la patte

Adieu les employés d’bureau et leur vie bien rangée
Si tu pouvais rater la tienne ça les arrangerait
Ça prendrait un peu d’place dans leur cerveau étriqué
Ça les conforterait dans leur médiocrité

Adieu les représentants grassouillets
Qui n’boivent jamais d’eau comme si ils voulaient pas s’mouiller
Les commerciaux qui sentent l’aftershave et l’cassoulet
Mets d’la mayonnaise sur leur mallette ils s’la boufferaient

Adieu, adieu les vieux comptables séniles
Adieu les secrétaires débiles et leur discussions stériles

Adieu les jeunes cadres, fraîchement diplômés
Qu’empileraient les cadavres pour arriver jusqu’au sommet

Adieu tous ces grands PDG
Essaye d’ouvrir ton parachute doré quand tu t’fais défenestrer
Ils font leur beurre sur des salariés désespérés
Et jouent les vierges effarouchées quand ils s’font séquestrer

Tous ces fils de quelqu’un, ces fils d’une pute snobe
Qui partagent les trois quarts des richesses du Globe

Adieu ces p’tits patrons, ces beaufs embourgeoisés
Qui grattent les RTT pour payer leur vacances d’été

Adieu les ouvriers, ces produits périmés
C’est la loi du marché mon pote, t’es bon qu’à te faire virer
Ça t’empêchera d’engraisser ta gamine affreuse
Qui se fera sauter par un pompier qui va finir coiffeuse

Adieu la campagne et ses familles crasseuses
Proche du porc au point d’attraper la fièvre aphteuse
Toutes ces vieilles, ces commères qui se bouffent entre elles
Ces vieux radins et leurs économies de bouts d’chandelles

Adieu cette France profonde
Profondément stupide, cupide, inutile, putride
C’est fini vous êtes en retard d’un siècle
Plus personne n’a besoin d’vos bandes d’incestes

Adieu tous ces gens prétentieux dans la capitale
Qu’essaient de prouver qu’ils valent mieux que toi chaque fois qu’ils te parlent
Tous ces connards dans la pub, dans la finance
Dans la com’, dans la télé, dans la musique, dans la mode
Ces parisiens, jamais contents, médisants
Faussement cultivés, à peine intelligent
Ces répliquants qui pensent avoir le monopole du bon goût
Qui regardent la province d’un œil méprisant

Adieu les sudistes abrutis par leur soleil cuisant
Leur seul but dans la vie c’est la troisième mi-temps
Accueillants, soit disant
Ils t’baisent avec le sourire
Tu peux l’voir à leur façon de conduire

Adieu ces nouveaux fascistes
Qui justifient leur vie de merde par des idéaux racistes
Devenu néo-nazis parc que t’avais aucune passion
Au lieu de jouer les SS, trouve une occupation

Adieu les piranhas dans leur banlieue
Qui voient pas plus loin que le bout de leur haine au point qu’ils s’bouffent entre eux
Qui deviennent agressifs une fois qu’ils sont à 12
Seuls ils lèveraient pas l’petit doigt dans un combat de pouces

Adieu les jeunes moyens, les pires de tous
Ces baltringues supportent pas la moindre petite secousse

Adieu les fils de bourges
Qui possèdent tout mais ne savent pas quoi en faire
Donne-leur l’Eden ils t’en f’ront un Enfer

Adieu tous ces profs dépressifs
T’as raté ta propre vie comment tu comptes élever mes fils ?

Adieu les grévistes et leur CGT
Qui passent moins de temps à chercher des solutions que des slogans pétés
Qui fouettent la défaite du survét’ au visage
Transforment n’importe quelle manif’ en fête au village

Adieu les journalistes qui font dire ce qu’ils veulent aux images
Vendraient leur propre mère pour écouler quelques tirages

Adieu la ménagère devant son écran
Prête à gober la merde qu’on lui jette entre les dents
Qui pose pas de question tant qu’elle consomme
Qui s’étonne même plus de se faire cogner par son homme

Adieu, ces associations bien-pensantes
Ces dictateurs de la bonne conscience
Bien contents qu’on leur fasse du tort
C’est à celui qui condamnera le plus fort

Adieu lesbiennes refoulées, surexcitées
Qui cherchent dans leur féminité une raison d’exister

Adieu ceux qui vivent à travers leur sexualité
Danser sur des chariots, c’est ça votre fierté ?
Les bisounours et leur pouvoir de l’arc-en-ciel
Qui voudraient me faire croire qu’être hétéro c’est à l’ancienne
Tellement, tellement susceptibles
Pour prouver que t’es pas homophobe faudra bientôt que tu suces des types

Adieu la nation, tous ces incapables dans les administrations
Ces rois de l’inaction
Avec leur bâtiments qui donnent envie de vomir
Qui font exprès d’ouvrir à des heures où personne peut venir
Beeeh, tous ces moutons pathétiques
Changent une fonction dans leur logiciel ils se mettent au chômage technique
A peu près le même Q.I. que ces saletés de flics
Qui savent pas construire une phrase en dehors de leurs sales répliques

Adieu les politiques, en parler serait perdre mon temps
Tout le système est complètement incompétent

Adieu les sectes, adieu les religieux
Ceux qui voudraient m’imposer des règles pour que je vive mieux

Adieu les poivrots qui rentrent jamais chez eux
Qui préfèrent se faire enculer par la Française des Jeux

Adieu les banquiers véreux
Le monde leur appartient
Adieu tous les pigeons qui leur mangent dans la main

Je comprends que j’ai rien à faire ici quand j’branche la 1
Adieu la France de Joséphine Ange-gardien

Adieu les hippies leur naïveté qui changera rien
Adieu les SM, libertins et tous ces gens malsains

Adieu ces pseudos artistes engagés
Plein de banalités démagogues dans la trachée
Écouter des chanteurs faire la morale ça me fait chier
Essaies d’écrire des bonnes paroles avant de la prêcher
Adieu les petits mongoles qui savent écrire qu’en abrégé
Adieu les sans papier, les clochards, tous ces tas de déchets, je les hais
Les sportifs, les hooligans dans les stades, les citadins, les bouseux dans leur étables
Les marginaux, les gens respectables
Les chômeurs, les emplois stables, les génies, les gens passables
De la plus grande crapule à la médaille du mérite
De la première dame au dernier trav’ du pays

Faire le job

Sympa, non, ce track ? Alors sur fond d’« mariage pour tous » comme autant de moyens d’ouvrir des sujets sociétaux pour ne jamais avoir à aborder les questions qui fâchent des hausses d’impôts et autres évolutions du quotient familial, des allocs conditionnées et ne surtout pas ouvrir la question des irresponsabilités passées de nos loulous d’la haute finance « french connectée », on se contente de quelques conclusions.

D’abord, plutôt que de condamner – avant de se raviser, ouf, merci la prescription ! – Orelsan pour avoir su magistralement mettre en musique dans la chanson « Sale pute » les enseignements de René Girard quand l’esprit devient fou de jalousie mimétique, il serait temps que la justice française fasse enfin son boulot même si on n’a pas trop d’espoir quant à l’issue pour les vrais coupables… Même si les États-Unis s’apprêtent toutefois à engager cette démarche, rappelons-le.

Ensuite, que le président Hollande fasse enfin le job de la fonction présidentielle, à la « Barack & Michelle Obama ». Parce que cette « montée aux extrêmes » que craignait tant Girard, elle est là, comme en attestent les régionales. Parce qu’à trop calculer pour sauver la région Poitou-Charentes « à la Mitterrand », en misant sur le « double bind » (théorisé par le thérapeute familial Paul Watzlawick et l’école de Palo Alto) dans lequel on enferme l’adversaire républicain, ça finit par coûter cher à l’idéal démocratique.

Enfin, parce que la jeunesse n’est plus dupe des effets d’annonce. « Touche ta SACEM, y a pas 30 balles » lui rappelle Booba dans le morceau « 4G » de l’album Nero Nemesis. Quant au rappeur Lino, si fin diagnosticien de notre « suicide commercial français », on lui laisse la formule de chute : « Poto, tous ces cons pensent qu’ils pilotent, mais ils sont comme Schumi sur une piste de ski ».

The Conversation

Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris Sud – Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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