Suivez-nous

Grands Formats

Luther : “AMI”, portrait authentique d’un artiste à l’escalade fulgurante

Publié

le

luther
© Paul Viéban

Avec AMI, Luther dresse le portrait d’un garçon torturé, sujet à une haine quasi irrationnelle envers le monde et ses habitants. Un EP virage.

À travers la cagoule, difficile de deviner ses entailles. Si Luther a ôté une partie du voile avec GARÇON, il semblerait que chaque porte ouverte en cache une fermée, ou entrebâillée. Bien sûr, le parcours d’un auditeur lui est propre, et il n’est pas toujours utile d’en examiner les gonds pour que la musique vous touche. Mais si l’on n’a pas le droit de lui poser des questions sur sa vie, on peut bien écouter ses sons. Et avec AMI, Luther se déleste d’une colère à laquelle il s’est enraciné, laissant entrevoir un dessein déchiré entre pouvoir et quiétude.

À lire aussi : on a chatté avec abel31 : «Musicalement, je suis une entité d’Internet»

Publicité

AMI, reflet d’une position politique

AMI, c’est l’antagoniste principal du manga 20th Century Boys de Naoki Urasawa. Masqué par des bandages floqués d’un œil sur une main – qui apparaît sur la cover du projet éponyme – il est le leader d’une secte destinée à détruire l’humanité. Se positionnant comme prêchant le bien, Ami représente un guide et manipule les masses, ce qui lui permettra d’acquérir avec le temps un poids considérable sur l’échiquier politique mondial. Vous y êtes ?

C’est ainsi que le fil conducteur se déploie. Ceux qui suivent un peu Luther savent qu’il a déjà pris – plus ou moins directement – position à gauche. Contre la réforme des retraites, les violences policières, l’artiste a d’ailleurs déjà montré son soutien aux grévistes en s’affichant en manifestation sur Instagram. Une posture que l’on retrouve facilement dans ses textes, et donc sur AMI.

«Va chercher les leurs s’tu veux qu’on paie nos impôts», écrit-il sur “virage”. «Pour se sauver, on va tout détruire». «Les types les plus cistes-ra, c’est souvent ceux qui bandent sur les racisés», ajoute-t-il sur “uet”. Ou encore «f mon espèce, ils sont étourdis avec des pièces», sur “inaudible”. Luther en profite même pour tacler la personnalité la plus détestée du secteur : «m’plier j’suis pas trop d’accord, il peut niquer sa mère Ardisson». De manière générale, l’auteur de GARÇON semble las de constater la spirale de pouvoir, d’apartheid et d’ultra-richesses qui l’enclave malgré lui.

«Encore une mauvaise chanson pour faire croire qu’j’suis bon dans l’fond»

Et cette angoisse n’est qu’une composante d’un mal-être bien plus vaste, touchant avant toute chose sa propre identité. Luther dressait déjà son portrait sur GARÇON : celui d’un gamin reclus dans sa chambre avec pour seule compagnie ses jeux-vidéos et – parfois – une pointe de sarcasme. Sur l’EP, l’interprète s’épanche encore davantage sur ses souffrances d’enfant. «Père vrai saoulard, enfantin un vrai trouillard», écrit-il sur “uet”. Le rapprochant d’un autre aspect du personnage d’Ami : un mec bizarre, laissé de côté par le groupe de potes dont il aimerait faire partie.

Publicité

Mais surtout, Luther ne vit qu’à travers ses rêves. Et la musique y prend toute la place, alors même qu’il n’est pas encore convaincu de son talent. «Ma cave c’est mon frigo vide, j’y fait des trucs inaudibles / Assis des heures, j’ai l’air psychotique, le manche à la main / J’colle au micro comme la nicotine pour qu’on mange à la fin». «Encore une mauvaise chanson pour faire croire qu’j’suis bon dans l’fond». Pas très sûr de lui, le rappeur se surprend parfois à chercher dans le regard des autres une forme de validation, mais s’y refuse formellement. «J’ai trop zyeuté les autres et j’ai failli m’y perdre». «J’voulais être le gamin stylé qui disait rien, qui sait tout». «J’voulais jouer au soldat, mes parents tiraient».

Une prise de pouvoir inéluctable

Finalement, c’est dans un ressentiment profondément ancré en lui que Luther trouve sa fièvre. «J’faisais qu’chialer quand j’étais d’mauvaise humeur (Hein), au lieu d’bonch’ comme un Uber». Le jeune homme fend une phase d’acceptation du mal et s’affranchit d’une vision binaire de son monde : pour aller de l’avant, il doit continuer à travailler et regarder tous ses travers en face.

«Nan, plus d’pansements, maintenant j’cautérise» – “virage”

Cette dynamique passe aussi par son ascension. «Il faut qu’j’me positionne, ils sautillent / Si t’es connu, tu conditionnes». Luther est conscient de l’influence d’une figure publique, figure qu’il aspire presque à devenir en s’inspirant d’Ami, qui profite de son pouvoir pour exercer son autorité sur les foules.

Publicité

Mais derrière la colère, l’artiste transpire une certaine résignation, une lassitude, un profond désespoir de ces crises qui s’accumulent. Un paradoxe qui passe aussi par la progression de la musicalité d’AMI. De la production angoissante de LUCASV sur le no drop “inaudible”, à l’atmosphère nerveuse de “uet” et jusqu’au plus paisible “virage” – les deux produits par le magistral amnezzia, dont on ne se lasse pas – où Luther adopte une voix plus douce et un refrain chanté. Une désescalade qui laisse transparaître un espoir sincère, et une aspiration au bien. «Demain ça s’ra en pire, j’aurais préféré pas naître, j’vais pas t’mentir / Quitte à être là j’serai grave splendide, j’ai des trucs à ra-ra c’la va sans dire».

Luther en pleine grimpée

Près d’un an après la sortie de GARÇONAMI laisse planer des interrogations concernant la suite. Si Luther est bien loin de dénaturer son propos et sa direction artistique (excessivement précieuse), il s’offre avec cet EP la possibilité d’ouvrir de nouvelles portes. En s’aventurant sur des terrains qu’il a peu exploré, l’auteur de Trame rappelle qu’il n’est qu’au début de son itinéraire, et seul à pouvoir décider de sa trajectoire.

Ce qui est sûr, c’est qu’il avance. En témoigne son passage sur le Grünt #56 de Rounhaa – passage le plus revisionné de la vidéo, soit dit en passant. Bien sûr, la cagoule et la pression du one shot ne lui font pas toujours honneur. «J’ai un peu choke sous le stress, a-t-il d’ailleurs avoué sur Twitter. Mais c’est pas grave, le cœur y est. C’est trop bien d’avoir un passage chez Grünt, c’est quelque chose d’assez significatif pour moi». Après sa signature chez Sublime, son apparition aux côtés de l’auteur de MÖBIUS et la présentation d’AMI, on n’a peut-être jamais été aussi proche de la sortie d’un nouveau projet à la carrure de GARÇON. Et on s’en réjouit.

Dans le reste de l’actualité, web7 (7 Jaws) s’agace de la théorie selon laquelle il serait Ziak.

Commentaires

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *