Grands Formats
Détroit, la ville où le hip-hop est Roi
Detroit, la musique par excellence. De la Motown à Eminem en passant par la Techno et le Jazz, son héritage est incontestable et continue d’influencer les musiques actuelles. Alors que «Motor City » renaît de ses cendres, le Hip-hop survit ou se renouvelle. Il bénéficie en tout cas d’un public connaisseur et d’une scène singulière. Récit.
Detroit ? Les fans de hip-hop répondent d’emblée : Eminem. D’autres rétorquent plus volontiers un truc du genre « Ah oui, la ville des Etats-Unis complètement détruite, j’ai vu un reportage, ça craint là-bas, non ? ». La ville principale du Michigan surnommée « Motor City » est connue pour son industrie automobile florissante, puis pour sa crise et son paysage en ruine, et puis enfin, pour avoir enfantée l’un des plus grands rappeurs du monde. Detroit est aussi le berceau de la Motown (Motown Records), le label qui a produit des milliers de tubes et les plus grands artistes Soul et R&B de l’histoire de la musique. Detroit est enfin le lieu incontesté de la naissance de la Techno avec une sonorité industrielle et futuriste qui lui est propre. Bref, il semble que tout ce qui émerge des blocs de la ville soit destiné à se transformer en un mouvement musical global.
Héritage à ciel ouvert
Visiter le studio A et le siège de l’emblématique maison de disque (Motown records ou plus
communément Hitsville, U.S.A) sur Grand Boulevard devrait être inscrit au programme de chacune de nos existences. Un pèlerinage en somme, pour comprendre l’âme de la ville, pour comprendre la musique en général, pour saisir d’où vient le Hip-hop aussi, cette autre façon de raconter les histoires de la vie. Le studio A a tout de même accueilli les voix de Diana Ross, The Jackson Five, Stevie Wonder ou encore Marvin Gaye. Et le « son Motown » tourne dans tous les taxis, au casino, dans les boutiques, dans la rue aussi, samplé et re-samplé dans les tracks Hip-hop. Prenons Eastern Market, un quartier qui a le vent en poupe. Il est réputé pour ses restaurants et ses clubs, comme le Bert’s, où l’on peut écouter du Jazz et du Blues, pour son marché de producteurs issus des fermes urbaines, et pour ses gigantesques fresques et graffitis réalisés par des artistes urbains sur les murs des entrepôts. Le jour du marché justement, il n’est pas rare de croiser un groupe de jeunes filles. Leur petit nom de scène : « All Natural ».
Avec une énergie solaire, ces gamines de 15 ans chantent devant les passants pour gagner un peu d’argent de poche, et ça marche. Les habitants du quartier les connaissent bien et les applaudissent avec ardeur en jetant quelques dollars dans le pot en plastique prévu à cet effet. Leur répertoire ? Les classiques de la Motown bien-sûr et du Hip-hop évidemment. « On aime surtout le Rap et la Pop, parce que ça raconte des histoires auxquelles on peut facilement s’identifier » explique Tiarra, la chef de file, avant que les chanteuses ne décident d’entonner un magistral « Cleanin’ Out My Closet ».
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Moment de grâce. La Techno ? « Jamais entendu parler ! » lancent-elles puis l’une d’entre elles de se reprendre « Ah oui je vois, mais c’est plus pour danser ! ». A l’issue de cette jolie performance, un jeune prof s’approche et propose aux membres du groupe d’intégrer des sessions de formation gratuite à la Community Music School, un projet porté par l’Université du Michigan à Detroit, « Vous venez, vous faites de la musique, et vous avez la possibilité d’enregistrer votre propre disque ! » leur dit-il. Peut-être le début de la gloire pour Tiarra et ses copines…
De 5E Gallery à Assemble Sound, l’ancrage de la communauté Hip hop
L’héritage musical déjà impressionnant se confond avec la bouillonnante créativité de la scène actuelle. Dans le quartier de Corktown, derrière la grande gare, une église toute biscornue est plantée là. C’est le fief du collectif Assemble Sound né en 2014. Il n’y a plus de messe le dimanche, le culte voué à la musique a remplacé la cérémonie religieuse. A l’intérieur, tout est resté semblable à une église normale ou presque. En bas, on peut assister à des événements réguliers comme la présentation de projets, d’artistes, ou des concerts. Le public peut s’installer sur de longs bancs en bois et siroter des canettes de bière. En haut, il y a les studios d’enregistrement et un espace de travail. Les gars de chez Assemble Sound accompagnent les
projets des musiciens de leur ville, accueillent des artistes en résidence, et organisent des
formations professionnelles autour de la production et du management. L’équipe souhaite apporter une dimension « collaborative » à « ce merveilleux monde qu’est la musique », du Rock Indie à la Pop, du Rap à la Techno et la House, écrit-elle sur son site Web – car elle communique très peu vers l’extérieur.
Passalacqua est l’un des groupes qui a activement contribué au lancement de ce projet collectif il y a presque quatre ans. Brent et Bryan, les deux MC’s de cette formation Hip-hop défendent « une culture prédominante ». « Avant Assemble Sound, il y avait 5E Gallery » explique Brent. 5E Gallery était une salle de concert qui se faisait l’écho de la culture Hip-hop de Detroit à travers cinq éléments fondamentaux, « la danse, le rap, le Djing, la connaissance et la tolérance ». Avec les nombreux changements qui s’opèrent dans la ville et la volonté de la municipalité de rebooster l’économie, « ce lieu central pour notre culture a été fermé et remplacé par un magasin de vélo », déplore Brent, un brin cynique. Il explique néanmoins que même si la salle n’existe plus physiquement, son héritage est encore bien vivant dans la ville. Des personnalités comme l’un des co-fondateurs de la 5E Gallery, Piper Carter, oeuvrent pour célébrer le Hip-hop à travers de nombreux projets. « Piper Carter propose par exemple un programme pédagogique gratuit, le Dilla Youth Day et il a aussi impulsé le projet de Fondation des femmes dans le Hip-hop » rappelle le MC « Pour ma part, je travaille dans une école et je constate que les jeunes connaissent parfaitement le langage et les codes du mouvement musical» explique-t-il.
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Le Hip-hop est-il roi à Detroit ? Sans aucun doute, et il ne cesse de se régénérer grâce à de jeunes groupes comme Passalacqua, impliqués localement, avec une scène aux influences aussi riches que les pans de son histoire. Bien qu’éclatée dans les quartiers de cette immense territoire qui représente quatre fois la superficie de Paris, des concerts ont lieu presque chaque soir et rassemblent des centaines de personnes. « On bénéficie d’une très large audience » poursuit Brent. Bryan quant à lui souligne la spécificité du public de Detroit « Tu dois vraiment faire quelque chose d’extraordinaire ici pour capter l’attention du public ». Un public exigent donc et une ville qui promet encore d’enfanter de nombreuses générations d’artistes Hip-hop.