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XXXTentacion, un piano, une guitare et une obscure merveille dénommée ’17’

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XXXTentacion, un piano, une guitare et une obscure merveille dénommée '17'

Personnage haut en couleur, XXXTentacion est parvenu à contenir toute sa folie et son extravagance dans un album crispant, poignant et artistiquement exemplaire.

Une pièce noire. Ni plus, ni moins. Voici l’ambiance que dessine ce somptueux premier opus, 17. Une mosaïque obscure d’une vingtaine de minutes, débordante d’une fièvre inquiétante et d’une atmosphère angoissante. Dans cette pièce sombre jaillit parfois quelques halos de lumière, ponctuées par des folies à la guitare sèche, comme pour jouer avec les émotions de l’auditorium. Les histoires contées sont courtes, mais ô combien profondes. Les instruments sont légers, mais terriblement saisissants. Les paroles sont oppressantes mais infiniment fascinantes. Bienvenue dans le sinistre panorama de XXXTentacion.

Le jeune rappeur s'est, pour son titre "garette's REVENGE" inspiré du suicide d'une amie pour laquelle il souhaite prendre sa revanche.

Avec son style très penché Obito de Naruto, XXXTentacion a rompu avec les codes d’un rap pourtant très hostile.

Une claque époustouflante

Derrière sa carapace façonnée de frasques et d’extravagance, l’artiste floridien cachait décidément beaucoup de choses. Très éparpillé dans son univers musical, son premier projet studio 17 se devait de donner des éléments de réponse à un public encore sceptique vis-à-vis de son potentiel. Après une compilation Revenge sans véritable relief, le magazine XXL le propulsait dans la cour des grands en faisant de lui l’étoile de ses nouveaux Freshmen. Mais quelques mois seulement après sa sortie de prison, avec son style tout droit sorti d’un animé japonais et sa surproductivité dissipée, XXX avait l’étiquette parfaite du rappeur insupportable en pleine crise d’adolescence.

« 17. Ma collection de cauchemars, de pensées et de situations de la vie réelle que j’ai vécu. »

Mais étrangement, l’album s’ouvre avec une maturité glaciale. « The Explanation », un court texte de 50 secondes, lu avec une profonde sincérité, permet d’introduire l’atmosphère générale de l’album. Plus qu’une explication brute, ces quelques secondes brisent le « quatrième mur » comme le veut l’expression théâtrale. X s’adresse directement à ses fans et leur ouvre la porte à son univers. Il avait, par ailleurs, déjà exprimé sa volonté de toucher un public « dépressif ». Et on veut désormais bien le croire.

Les premières notes de l’album sont finalement celles de « Jocelyn Flores ». Un refrain singulier et entamé d’abord par Shiloh Dinasty avant d’être rejoint par le rappeur. « Je ne veux pas prétendre que nous sommes quelque chose, nous ne sommes rien » chantonnent-t-ils sur fond d’un lent tempo de guitare. En fait, Jocelyn Flores était une amie de X qui souffrait de dépression avant de se suicider. L’expérience a chamboulé le rappeur qui lui avait déjà rendu hommage dans l’un de ses précédents titres. En ouvrant son album par ce morceau éponyme, l’artiste confirme sa volonté de se livrer, de s’adresser directement à l’auditeur. On pénètre dans une sphère sensible, presque dérangeante. Le parallèle avec « Amnésie » de Damso est évidemment possible, mais accentué par le fait que la personne soit véritablement citée. Le décor est planté.

XXXTentacion - 17

La cover de l’album laissait entrevoir un univers sombre, froid et tiraillé.

50 nuances (encore) plus sombres

Le titre du troisième morceau, « Depression & Obsession » ne présage rien de plus chatoyant. Et pourtant. Les accords prononcés à la guitare et le rythme plus soutenu s’assimilent presque à une balade, une ode à la dépression. L’instrumentale rappelle d’ailleurs le titre « Drôle de question » de Roméo Elvis qui abordait, ironiquement, un thème immensément plus léger. Ici, le contraste entre l’intensité des paroles et la couleur du morceau est fascinant.

C’est un schéma que reproduit d’ailleurs à plusieurs reprises X. Tout d’abord, avec « Revenge », deux morceaux plus loin, puis avec la somptueuse conclusion « Ayala ». Il cherche ainsi à apporter un peu de lumière dans un album très sombre, très froid. Cette facette du rap, particulièrement noir, lésine souvent sur la forme au profit d’un fond très riche. Tentacion évince la dualité entre ces deux éléments pour obtenir un mariage complet. L’excellent « Everybody Dies In Their Nightmares » respecte aussi cette idée. Porté par un flow fluide et rapide, le thème est rétrogradé au second plant laissant étinceler la complémentarité exemplaire entre une technique soigneuse, des paroles profondes et une production angélique.

La ligne directrice reste, évidemment, ce flirt avec la dépression, mais la manière de l’aborder se décline au fil des morceaux. Si le piano et la guitare restent les instruments de prédilection, quelques samples donnent de la profondeur au projet comme c’est le cas dans « Jocelyn Flores ». De plus, et bien que rarissime dans le rap, le duo piano-voix proposé par l’interlude « Dead Inside » dégage une émotion tout aussi crispante que magnifique.

Artistiquement éblouissant

C’est ainsi que l’on peut enchaîner sur le dernier point : le travail artistique. Les premiers albums donnent souvent lieu à une volonté de se montrer, de bomber le torse, mais XXXTentacion a fait dans une authenticité exemplaire. Le projet est juste, du début à la fin. Les morceaux sont étonnamment courts, qui plus est dans ce style qui met souvent en scène de longs couplets. Ici, rares sont les morceaux qui dépassent les 20 lignes. On pourrait presque penser à une maquette, tant les titres ne semblent pas terminés. Et pourtant, quand le projet se referme sur « Ayala », l’auditeur est satisfait et n’a pas besoin de plus. Le pari était terriblement risqué, mais il est tout aussi réussi.

Côté collaboration, l’opus est tout aussi sobre. Seul Trippie Redd se retrouve sur le track « Fuck Love » qu’il sublime avec un refrain chanté détonnant. Quelques samples sont parsemés le long des pistes alors qu’on se met à trouver des similitudes étranges à l’écoute de certains morceaux. La guitare électrique, la batterie brute et la voix rauque de XXX dans « Save Me » n’est pas, par exemple, sans rappeler quelques classiques de grunge/rock alternatif de Nirvana ou Radiohead. L’énergie en moins.

La comparaison est peut-être présomptueuse mais l’idée est bien là. XXXTentacion a voulu faire quelque chose de particulier : adresser un projet à un public précis, et il aura finalement fait ressortir les émotions d’un panel bien plus large. Dans sa volonté et son travail, 17 est une merveille. X a su allier une profondeur étouffante à une musicalité originale, brute et variée. La précision de chaque morceau, mêlée à l’instrumentalité concise du projet, en fait l’un des plus aboutis de l’année.

Il sera néanmoins intéressant d’appréhender sur quelle voie se dirigera l’artiste dans un avenir proche. Mais pour l’instant,et qu’il n’en déplaise aux plus puristes, XXXTentacion est un artiste. Un vrai.

 

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