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My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West, ou l’album rap US de la décennie fête ses dix ans

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My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West, ou l'album rap US de la décennie

My Beautiful Dark Twisted Fantasy, la pièce maîtresse de Kanye West fête ses dix ans. Aussi, ce projet peut aisément être considéré comme le plus grand album de rap US de la décennie.

Rolling Stone : 10/10, Pitchfork, 10/10, sans oublier les mythiques « 5 mics » accordés par le magazine The SourceToutes ces notes maximales ont été distribuées à l’album My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West. Salué par la critique et le public à sa sortie le 22 novembre 2010, son cinquième opus reste encore pour beaucoup à ce jour, le plus abouti de sa discographie. Un projet qui, en dépit des dix ans écoulées depuis sa sortie, peut aisément être reconnu comme l’album rap US de la décennie. Et ce n’est pas Complex qui dira le contraire.

Pourtant, tout n’était pas gagné pour le rappeur de Chicago. On se souvient en effet de la stratégie  promotionnelle déployée autour de ce disque avant sa sortie. Un choix aussi novateur que contestable qui, avec le recul, marque les prémices des méthodes de communication foireuses de Yeezy. Retour sur l’histoire épique et fantastique de cette œuvre d’art musicale qu’est My Beautiful Dark Twisted Fantasy.

Le pari des G.O.O.D Fridays

Qui suivait de près la carrière de Kanye à l’époque se souvient forcément des G.O.O.D Fridays. Une initiative louable qui consistait à mettre en avant les artistes de son écurie G.O.O.D Music en dévoilant chaque vendredi, un morceau inédit en téléchargement libre sur son site Internet. Seulement voilà, l’attention aussi bonne soit-elle, a quelque peu entaché le plaisir de découverte puisque la plupart des morceaux distillés se retrouvèrent, in fine, sur la tracklist finale de l’album My Beautiful Dark Twisted Fantasy. La frustration fut d’autant plus marquée lorsque est arrivé le court-métrage « Runaway ».

Les six covers de MBDTF designés par George Condo et dont la première avait été censurée pour cause de contenu sexuel explicite.

Runaway, ou spoiler alert

Du haut de ses 35 minutes (faisant de lui à l’époque le plus long clip de l’histoire), ce visuel contemplatif relate la vision chimérique et l’incarnation parfaite de l’idéal féminin de Kanye West. Une femme magnifique venue d’ailleurs, (incarnée par Selita Ebanks) que le rappeur va s’empresser de prendre sous son aile jusqu’à tomber éperdument amoureux d’elle. Malgré son objectif de lui transmettre ses us et coutumes, son fantasme émotionnel va vite tourner court puisque leurs différences culturelles et intellectuelles auront finalement raison de leur idylle.

Au niveau du récit, MBDTF suit logiquement le même schéma narratif que le court-métrage « Runaway ». On suit ainsi le parcours émotionnel de Kanye face à son fantasme, allant du sentiment d’invincibilité ressenti par un amoureux transit à la détresse la plus totale qui suit une séparation. A noter que des indices disséminés dans le film et dans l’album ont longtemps laissé penser que My Beautiful Dark Twisted Fantasy s’inspirait de la relation de Kanye avec Amber Rose. Ce que cette dernière aura finalement démenti des années plus tard.

Du film sur Prince, Purple Rain, aux clips de « The Wall » de Pink Floyd et « Thriller » de Michael Jackson, en passant par les réalisateurs Federico Fellini et Stanley Kubrick, mais aussi des peintres Pablo Picasso, Henri Matisse et du designer Karl Lagerfeld, ce visuel supervisé par Kanye lui-même et réalisé par Hype Williams est riche d’inspirations. Aussi brillant soit-il, le court-métrage dévoilé le 5 octobre 2010, soit près de deux mois avant la sortie de MBDTF, apportait avec lui son lot de spoilers.

En effet, la bande originale du film n’était autre que l’album lui-même. Regarder « Runaway » à sa sortie signifiait ainsi à tirer un trait sur la découverte de l’opus à sa sortie. Vous savez ? Ce sentiment qui nous fait tant vibrer à la première écoute d’un projet. Était-ce finalement si grave que ça quand, dix ans et 250 écoutes de l’album plus tard, la claque est toujours la même ?

Yeezy à son apogée

L’une des forces de Kanye West depuis le début de sa carrière, c’est d’avoir toujours su se renouveler entre chaque disque. Si cela n’est malheureusement plus aussi vrai aujourd’hui, il y a dix ans, son génie créatif était à son apogée. Après le controversé, mais non moins avant-gardiste 808 & Heartbreak, le rappeur avait toutes les cartes en main pour de nouveau nous éblouir de son audace.

C’est dans cet esprit que naquit My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Un projet hybride qui témoigne de toute la virtuosité de cet artiste croquant à pleines dents le XXI eme siècle. « Pouvons-nous aller encore plus haut ? Si haut« , chantait Teyana Taylor en ouverture de l’opus. La réponse se découvre tout au long des treize titres qui le composent. C’est un grand oui. Son élévation était d’ailleurs si importante que personne ne l’aura surclassé de toute la décennie.

La première dose d’opulence nous viendra tout naturellement du premier single, le désormais classique, « Power ». Un titre qui rappellera à beaucoup une pub de Paco Rabanne, mais qui résonnait à sa sortie, comme l’exaltation musicale d’un artiste au sommet de son art. La sienne, mais aussi celle de son ego. La mégalomanie de Yeezy est en effet poussée à son paroxysme dans le clip éponyme, où le rappeur se place en véritable figure divine dans un tableau vivant. Orgueilleux, mais somptueux. A l’image de l’album en somme.

L’union fait la force

Bien avant de s’auto-proclamer Yeezus et de faire de la musique liturgique, Kanye West façonnait déjà avec cet album, les prémices de sa stature prophétique. Et comme un Jésus indissociable de ses douze apôtres, MBDTF n’aurait pas eu la même saveur si Kanye West ne s’était pas entouré d’un casting 5 étoiles. Sur ce projet plus que jamais, l’artiste a travaillé de manière tentaculaire en multipliant les collaborations.

Bien que l »intégralité des instrus soit orchestrée de main de maître par Mr. West lui-même, toutes les prods ont été co-signées avec quelques-uns de ses plus grands complices musicaux :  Mike Dean, No I.D., Jeff Bhasker, RZA et S1, Bink pour ne citer qu’eux.

Au final, ce cinquième album parvient avec brio, à retranscrire une synthèse parfaite des différentes facettes de la palette musicale de Yeezy. Avec des samples de soul, des percussions et des raps élaborés, mais aussi sonorités électroniques teintées de vocodeur, ce disque baroque et grandiloquant nous offre une véritable explosion orchestrale. Une symphonie sonore digne des plus grands stades sportifs, à la gloire de ce grand monsieur qu’est Kanye West.

Parmi les guests invités à partager le micro, tous les artistes de G.O.O.D Music de l’époque ont été conviés : Kid Cudi bien sûr, mais aussi le désormais président du label Pusha T, l’angélique John Legend, le Don de Détroit Big Sean ou encore CyHi Da Prynce, l’un des plus grands ghost-writers de Kanye.

Mais en plus de ce casting « home-made », de nombreux poids lourds du rap US ont accompagné le rappeur. Rick Ross est venu ajouter une dose supplémentaire de luxe sur « Devil in a New Dress », tandis que Nicki Minaj a posé l’un des meilleurs couplets de sa carrière sur « Monster ». N’oublions pas non plus les OG Raekwon & RZA du Wu-Tang Clan, et bien sûr son mentor Jay-Z  qui ont brillé eux aussi.

Bien entendu, il est impossible d’aborder les invités sans évoquer le rocambolesque « All of The Lights ». Incontestablement le morceau le plus fastueux de l’album, il se paye le luxe de rassembler pas moins de treize invités, tous issus d’univers musicaux différents.

Accrochez-vous, car la liste est longue : Rihanna, Kid Cudi, John Legend, The-Dream, Ryan Leslie, Tony Williams, Charlie Wilson, Elly Jackson de La Roux, Alicia Keys, Fergie, Alvin Fields, Ken Lewis & Elton John. Avec tout ce beau monde sur un même son, on en oublierait presque que l’explosion de lumières dans le clip a provoqué une vague de crises d’épilepsie partout dans le monde.

Après un spectacle musical d’une telle envergure, il fallait forcément un bouquet final à la hauteur du chef-d’œuvre My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Mission accomplie grâce à « Who Will Survive in America » une outro magnifique sublimée par un sample du pionnier et regretté Jill-Scott Heron.

Avec cet album, Kanye West a atteint un niveau de maîtrise et de virtuosité stratosphérique. On comprend alors aisément pourquoi le melon du bonhomme n’a cessé d’enfler depuis. Mais la seule issue quand on est au sommet n’est-elle pas la chute ?

Le déclin d’un génie

Bien qu’il soit devenu milliardaire cette année, que ses ambitions démesurées l’aient mené à prendre part à la course à la Maison Blanche et que Dieu a vraisemblablement sauvé son âme, force est d’admettre que l’artiste de Chicago ne termine pas la décennie aussi bien qu’il l’a commencé.

En 2010, Kanye West était sur le toit du monde, et même carrément au-dessus des nuages. Malheureusement, tel Icare, il a fini par se brûler les ailes. Sa mégalomanie, couplée à des troubles bipolaires sévères, l’a progressivement fait plonger dans la spirale infernale de la controverse. De plus, ses dernières propositions musicales et artistiques n’ont pas toute convaincu, ce qui n’a pas aidé à éclipser les polémiques.

Son compte en banque est garni, mais son image auprès du public est plus que jamais écornée. Sans parler de son état de santé psychologique qui ne cesse de se dégrader. A défaut de voir le génie Kanye West sombrer dans la folie, on préférera se souvenir que dix ans après sa matérialisation, son magnifique fantasme sombre et tordu subsiste toujours au Panthéon du rap. Et ce pour l’éternité.

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