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2HIF s'est plongé dans le business des collaborations pour comprendre les dessous de ces featurings qui nous font saliver 2HIF s'est plongé dans le business des collaborations pour comprendre les dessous de ces featurings qui nous font saliver

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Au fait, combien coûte un featuring avec Booba, Kendrick Lamar ou autres ?

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L’industrie du featuring, une longue histoire qui méritait un reportage ficelé. 2HIF s’est donc plongé dans le business des collaborations pour comprendre ces featurings qui nous font tous saliver.

Si le rap fait souvent preuve d’une transparence nette en ce qui concerne l’argent, il reste néanmoins particulièrement opaque sur un point: les featurings. Comment sont-ils faits ? Qui peut faire un featuring avec qui ? Et pour quel prix ? Pour répondre à ces questions, l’équipe de 2HIF a souhaité explorer plusieurs pistes de réflexion, qui ne peuvent néanmoins être considérées comme vérité absolue. Les collaborations sont à traiter, chacune, au cas par cas, et cet article tentera d’apporter une esquisse globale au plus proche de la réalité. Plongée en eaux troubles, dans un monde encore inexploré.

Le modèle Américain

Pour comprendre le marché des featurings, il faut distinguer deux modèles: l’Américain et les autres. Plus simple, l’Américain permet de poser des bases qui vont permettre ensuite d’expliciter plusieurs théories. Ainsi, aux Etats-Unis, les collaborations fonctionnent sous la forme de grilles tarifaires. Un peu comme les joueurs de football et leur clause de libération. Par exemple, pour avoir un featuring avec Kendrick Lamar, il faut débourser 200 000$. C’est d’ailleurs l’un des artistes les plus chers du moment. Booba, qui souhaitait inviter Rihanna sur Nero Nemesis, avait lui refusé de verser les 500 000$ réclamés.

Le nouveau Prince de Compton est l’un des artistes les plus chers du moment // Ramona Rosales

Ces grilles sont mises en place par les producteurs, qu’ils soient en indépendant ou en maison de disques. Le calcul du prix n’est pas aléatoire et tend à se rapprocher au maximum de la notoriété et de l’aura de l’artiste. Evidemment, une nouvelle fois, chacune des demandes de feats est étudiée intrinsèquement, et certains artistes peuvent trouver des arrangements entre eux. Néanmoins, dans la construction d’un opus, outre-Atlantique, un budget est donc réservé à la partie « featurings ». Les prix varient ensuite selon l’apport de l’invité, s’il pose simplement un couplet ou s’il apparaîtra dans un clip. 2chainz qui avait fixé un prix jugé pour beaucoup, cher, 200 000$, s’était d’ailleurs exprimé à ce sujet :

« J’en profite OK. Tu ferais la même chose… Tu te demandes qui va payer cette somme pour un couplet ? T’inquiètes pas, ton rappeur préféré a payé. Mais ça les vaut car je viens pour le tournage du clip, je me change deux fois, les fringues que je porte, tu ne les reverras pas ailleurs. Ce sera sans doute du Givenchy, du Alexander McQueen… Il y aura du swag, je vais te filer des rimes, apporter le côté classieux. C’est pas seulement un 16 mesures, tu m’as, c’est moi, je représente tout ça. Il va y avoir des nanas dans ton tournage parce que je serai là ! Voila, le service que j’offre pour ce prix là ».

Dans son explication, l’artiste impose une véritable construction économique, néanmoins crédible. Ces dernières années, les collaborations franco-américaines se multiplient car les retombées commerciales des opus français et leurs notoriétés permettent d’asseoir un budget honorable pour autoriser des invités de prestige. Young Thug et Dosseh, Kaaris et Future, Lacrim et French Montana: les Français font désormais partie intégrante de cette bulle financière.

Une exception culturelle ?

L’un d’eux, Gradur, qui avait invité l’artiste de Chicago Chief Keef sur le titre « Bang Bang » s’était retrouvé au cœur d’une triste polémique. Dans son court couplet, l’Américain s’exclamait : « He got 10 bandz for 8 bars, yeah I’m Tennessee / Il a eu 10 000 dollars pour 8 mesures, je suis le Tennessee. » Une rime qui semblait faire écho au prix payé par Gradur pour obtenir l’artiste sur son morceau. Face aux moqueries répétitives des internautes, le Français avait bloqué son compte Twitter avant que sa maison de disques n’intervienne par l’intermédiaire d’Alexandre Kirchhoff, directeur du label Millenium Barclay :

« Les Américains ont le privilège de ne pas être forcés de cacher leur réussite. Dans le hip-hop, historiquement aux Etats Unis, la fierté de faire de l’argent en rappant est culturelle. Chief Keef et son manager se sont amusés du ridicule de la traduction à la française des paroles (avec une pensée pour leurs amis rappeurs cités Eight Ball & MJG originaires de l’état du Tennessee J ) et de certaines réactions du net. Le public jugera à sa convenance de la qualité de la musique. »

En effet, force est de constater que les Américains ne sont pas avares quand il s’agit d’évoquer leurs réussites. Ils ne le sont pas non plus en terme de collaborations, bien moins que les Français en tout cas, et cette grille tarifaire peut émettre quelques pistes de réflexion. En effet, aux Etats-Unis, un budget semble dédié directement aux featurings, facilitant ainsi les collaborations sur chaque projet.

La nouvelle étoile montante du rap américain s’est offert un casting 5 étoiles sur son premier projet.

La mixtape Lil Pump du jeune rappeur floridien semble en être l’exemple le plus transparent: alors que l’artiste connaissait ses premières réussites, il a pu inviter sur son album la crème des rappeurs US. Parmi lesquels 2chainz, Chief Keef, Rick Ross, Lil Yachty ou Gucci Mane. La Warner Bros. Records qui a produit l’album a ainsi du mettre sur la table un beau paquet de liasses pour permettre à son jeune poulain de sortir un projet crédible, validé par les plus gros MCs du milieu. En revanche, Lil Pump étant un rappeur émergent en pleine hype, il a sans nul doute pu bénéficier de prix sur les featurings, puisque son aura donne de la valeur ajoutée au duo.

Le modèle Français

L’industrie du rap hexagonal ne fonctionne pas sous le même modèle. En outre, il n’y a pas de grille tarifaire précise et les rappeurs semblent fonctionner par « intérêt ». C’est ainsi que se déclinent plusieurs cas qui, eux-mêmes dépendent de plusieurs facteurs.

Le premier étant l’affinité entre deux artistes et leur connexion. C’est ce que l’on appelle une « opération commercial gagnant/gagnant »: deux artistes à la même échelle se retrouvent sur un morceau et s’entendent sur les pourcentages de droit qui découlent. Ensuite, le titre est diffusé, la communauté d’un artiste profite à l’autre, et ainsi de suite. L’affinité entre deux artistes facilitant évidemment la collaboration puisque l’appréhension de « l’échelle » d’un MC reste une valeur aléatoire.

Les choses se compliquent néanmoins lorsque l’un des artistes a plus à gagner qu’un autre. Imaginons qu’un petit rappeur à quelques centaines de milliers de vues souhaite inviter sur son album Booba. Si ce dernier accepte la collaboration, le producteur de l’artiste en question devra effectivement débourser un certain budget, en plus de ses pourcentages de droit. Mais une nouvelle fois, en France (comme aux Etats-Unis et ce, malgré la grille) il n’y a pas de règles fixes puisque le cachet de l’artiste invité dépend de plusieurs paramètres. Si le Duc accepte, il fixera ainsi ses conditions que le producteur acceptera, ou non. Business, business.

Au fil de sa carrière, le Duc s’est concocté un carnet d’adresses suffisamment large pour s’autoriser n’importe quelle collaboration française.

Les différents régimes de production

Selon les artistes, les régimes de production divergent et facilitent, ou non, les collaborations. Il en existe plusieurs, trois précisément. Tout d’abord, les artistes en auto-production. C’était un cas rare il y a encore quelques années qui tend à devenir récurrent, en particulier dans le milieu du rap. L’un des exemples les plus clairs étant JUL. Si vous souhaitez faire un featuring avec l’artiste marseillais, il sera le seul et unique décisionnaire. Il fixera lui-même les conditions de la collaboration.

Ensuite, on note le cas des artistes avec un producteur indépendant, c’est le cas de la Sexion d’Assaut ou Jok’Air. Barek Maestro, un producteur, précise: « Ils sont en contrat de production avec un producteur tiers. De ce fait, l’artiste est le produit du producteur donc le producteur entre dans le cercle de décision avec lui, et si besoin le producteur aura le dernier mot ».

Pour les artistes en major, ce sont les maisons de disques qui jouent ce rôle d’entremetteur et dans ces cas-là, l’addition est plus simple. Dans une interview accordée à Booska-P, Ninho précise qu’on lui a proposé la collaboration avec Nekfeu, les deux artistes n’étant toutefois pas dans la même maison de disque (respectivement chez Warner et Universal). Néanmoins, le Fennec, qui s’est toujours porté volontaire pour des collaborations, a dû juger la collaboration comme une opportunité, plus que comme un business.

C’est ainsi tout le paradoxe qui découle de l’industrie des featurings. Chacun étant à traiter au cas par cas, aucune vérité ne peut être dégagée, mais seulement des suppositions. Si des sommes peuvent être posées sur la table, elles sont surtout supplantées par le jeu des affinités et des connexions.

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