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L’authenticité, la grande hypocrisie du rap français

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Toujours méprisé par une tranche de la population, le rap français connaît malgré cela une croissance inespérée et imprévisible lors de ses premiers pas. Premièrement, en grandissant, ce mouvement a attiré un public cosmopolite. De plus, des artistes ont pu gravir les échelons de la société grâce au rap. Enfin la scène rap française s’est élargie, et cette musique n’est plus la propriété d’un groupe social. Ces trois faits auraient causé la perte de l’authenticité au rap. Valeur suprême du hip-hop, « l’authenticité » est en réalité une escroquerie. Explications. 

En 2012, le rappeur Youssoupha déclarait dans son morceau « On se connait »: « Le but de ma musique, du rap que j’expose c‘était de rester authentique, pas de rester pauvre ». En résumé, la réussite financière n’entraînerait pas chez Youssoupha la perte de son authenticité. Mais quelle est la définition de l’authenticité ? Érigée en valeur suprême, l’authenticité a connu des variables sémantiques au cours de l’histoire du mouvement hip-hop français. Elle a parfois été synonyme de « underground », ils auraient une crédibilité de la rue. La presse spécialisée aime distribuer les bons et les mauvais points entre les rappeurs dits crédibles et ceux qui ne le seraient pas. Certains même auraient perdu leur authenticité avec le succès commercial. Le cordon ombilical qui relie les rappeurs à la rue ne devrait jamais être coupé, le quartier demeurerait le vecteur principal de la conservation de l’authenticité. Un bref rappel historique est nécessaire pour mieux cadrer le sujet : l’affrontement entre les « rappeurs authentiques » et les supposés « faux rappeurs » existent depuis le début des années 1990. Dès ces prémices du rap, le clivage commence à se creuser entre les rappeurs que les radios acceptent de diffuser ou pas. Les débats entre rap pour puristes et rap grand public ne datent donc pas d’hier, et ne semblent pas prêts de s’arrêter.

Le retour du rap français ?

Sentez-vous l’odeur du bitume parfumer l’air du rap français depuis quelques mois ? La rue est officiellement de retour. Une nouvelle génération incarne à la perfection ce rap censé parler à la jeunesse des banlieues. Le jeune rappeur d’Aubervilliers, signé chez Def Jam, Rémy plait particulièrement à un public qui ne jure que par le mot « authenticité ». Fianso enchaîne les collaborations avec des rappeurs étiquetés commerciaux car après sa série JeSuisPasséChezSo, il devient une « caution de la rue ». Les tournages de rap dans les rues de la ville d’origine du rappeur est un procédé aujourd’hui classique. Dans un premier temps, il permet d’affirmer et de revendiquer son territoire, une sorte de carte de visite pour présenter d’où l’on vient. Les rappeurs confirmés l’utilisent pour montrer qu’ils n’ont pas vraiment coupé avec les quartiers populaires.

La musique s’écoute mais elle se regarde également. Un rappeur s’affichant dans une cité sera vu comme crédible et authentique. Aux origines du clip de rue, nous trouvons le Ministère A.M.E.R. avec le morceau « Traître ». Nous sommes en 1991, le groupe est encore composé de trois membres, et l’émission culte Rapline via M6 produit le clip tourné à Sarcelles. Douze ans la Mafia K’1 Fry propose à son public « Pour ceux », présent sur l’album La Cerise sur le Ghetto. En utilisant ces deux clips comme modèles, de très nombreux artistes ont gagné en crédibilité en s’affichant pendant 3 minutes en bas d’immeubles HLM. Si elle peut être parfois cohérente, la mise en scène des « street clips » souhaite provoquer chez le spectateur cette phrase : « lui c’est un vrai, il est authentique, il rappe dans sa cité avec les petits du quartiers ». Ce rap connaîtra toujours un succès, ses codes parleront aux jeunes des cités. Les thématiques fétiches des rappeurs ghettos sont toujours d’actualité. L’erreur à ne pas commettre est de qualifier ce type de « vrai rap » face aux tendances de cette musique.

Authentiques hier, déchus aujourd’hui

Le 3 juin 1991 sort dans les bacs le premier album du groupe de Saint Denis, le Suprême NTM. Signé sur Epic, un label filial du groupe Sony Music Entertainment, le duo choisit d’intituler son projet Authentik. Jolie ironie du sort, c’est sur l’autel de l’authenticité que sera jugé plus tard Joey Starr. Le groupe deviendra le porte-parole de la jeunesse des banlieues. La notoriété de Joey Starr a aujourd’hui largement dépassé le cadre du rap. Il est devenu une icône française, un acteur talentueux apprécié du public. Pionnier du mouvement, il n’a plus rien à prouver dans le hip-hop. Le succès des récents concerts du Suprême en est une preuve supplémentaire. Le milieu du rap hexagonal a pourtant jugé que Joey Starr n’était pas crédible à jouer un policier ou un homosexuel dans des films. De plus, l’immense succès du groupe Suprême NTM a ouvert à ses membres les portes du show-business et des médias non spécialisés. Déjà à l’époque, le cercle des puristes dénonçaient la perte d’authenticité de ces artistes issus de Saint-Denis. Médine regrettait dans son morceau « Lecture aléatoire » que Joey soit devenu « star dans les chaînes ». Enfin, une question est souvent revenue aux oreilles de Joey Starr, à savoir son lien avec les banlieues malgré sa réussite. L’étiquette de porte-parole lui colle à la peau depuis la fin des années 1980, et lorsqu’il a voulu s’en défaire, il a eu malheureusement le droit à son procès en authenticité.

American dream vs Hess : Booba vs Rohff

L’interminable confrontation entre Booba et Rohff est le meilleur exemple de cette lutte interne au rap français, entre l’affichage assumé de la réussite, et cette volonté de se maintenir rue sans relâche. Soyons sérieux, Rohff a énormément vendu dans les années fastes du rap tricolore, il était une tête d’affiche du mouvement et la liste de ses certifications est interminable. S’il n’est pas à la tête d’un empire comme Booba, il n’est pas dans la même situation financière qu’un habitant lambda d’un quartier populaire. Booba cristallise une haine qui découle d’une réelle jalousie. La France demeure un pays où la mentalité catholique face à l’argent prédomine, une pudeur face à la réussite, un amour du deuxième, un culte du petit. Simplement, cessez de croire que Rohff ou d’autres rappeurs qui vous vendent cette image « je ne suis pas sorti de la rue » sont toujours en bas de l’échelle sociale. Il s’agit soit d’une communication soit d’une posture. Booba se moque de la Hess, il est limite proche du mépris quand La Fouine raconte qu’il avait des problèmes d’accès à l’eau courante quand il était enfant. Rohff a fait de la Hess une marque de fabrique, il s’est positionné comme le rappeur qui parle aux gens en galère. Faîtes un sondage Twitter avec la question suivante: « quel est le rappeur le plus authentique: Rohff ou Booba? ». Rohff l’emportera. Booba n’aurait pas le droit de pouvoir rapper en 2002 « Strass et Paillettes » et en 2018 habiter à Miami, et revendiquer sa réussite. Un préjugé malheureux. Les fans de la première heure du DUC ne devraient plutôt pas se réjouir de sa réussite ?

Les héritiers de Solaar, père du rap de iencli

Au commencement du rap comme mouvement musical en France, il s’agissait pour les maisons de disque de vite signer son rappeur. Au sage Solaar, on opposait les méchants NTM et les voyous du Ministère A.M.E.R.. Ils étaient des produits de la rue mais le succès les a très vite sortie du ghetto, ne soyez pas dupes. Joey Starr a très vite été omniprésent sur les plateaux télés, et il est devenu un « people ». Il a passé des années dans les cités du 9.3., mais la rue il ne la fréquente plus depuis fort longtemps. Au petit jeu de qui sont les plus voyous du rap français, le duo de la Seine-Saint-Denis a été très vite dépassé par une équipe venue tout droit du 78, Express D. Un groupe craint et respecté, très loin des strass et des paillettes.

MC Solaar incarnait le rôle du rappeur qui devait séduire le grand public. Il avait plusieurs armes à sa disposition pour réussir sa mission. Claude MC avait une maîtrise parfaite de la langue française, son style n’était pas polémique, la banlieue n’était pas omniprésente dans ses thématiques. Il n’était pas un rappeur révolté contre la société, ce n’était pas son rôle d’être politique ou social. Il était plutôt un rappeur sociétal. A l’époque, le Suprême NTM attaquait d’ailleurs Solaar sur la simplicité du texte de son tube « Bouge de là ». Le rap français n’a jamais eu pour seul vocation d’être politique, d’être de gauche, d’être social. Il a aussi été un art divertissant, nous aimons les deux premiers albums de Solaar pour ses bons mots. Soyons clairs, le rap français n’a jamais été uniforme. Il souffre depuis son origine d’une schizophrénie. Il n’était écouté que par un public très confidentiel à la fin des années 1980. Les rappeurs luttaient pour sortir de la rue et avoir accès aux radios.

Quand les gros médias comme M6 ou Skyrock se sont chargés de lui donner une résonance, ils ont été attaqués pour ne mettre en avant que le rap dit commercial. Le public du rap s’est élargi, pour devenir aujourd’hui la musique la plus écoutée de France. Elle a ainsi créé des vocations chez des jeunes qui n’ont pas la crédibilité de la rue. Résultat, nous avons le droit chaque année à une polémique lors des Victoires de la musique, parce que Big Flo & Oli et Lomepal ne sont pas écoutés par le public des cités. Les médias s’étonnent de l’absence de Damso, Booba ou encore Niska sans aller jusqu’au bout du raisonnement. Ne nous mettons plus des oeillères, un certain rap n’a plus besoin d’être validé par les cités pour vendre. Lomepal ou OrelSan sont les MC Solaar d’aujourd’hui, et alors ? Ils font du rap pour un autre public, et peu importe si la rue n’a pas donné apposé son tampon sur la pochette de leurs disques. L’authenticité ou la crédibilité de la rue sont des notions dépassées. Elle sont même rétrogrades, car il s’agit d’un doux euphémisme, d’une périphrase pour affirmer que pour être crédible dans le rap, il faudrait être issu de l’immigration, avoir un passé sulfureux, si possible avec un petit passage en prison et venir d’un quartier difficile. Une connerie monstrueuse quand l’on voit le spectre du rap aujourd’hui. Désirions-nous que le rap ne demeure qu’un mouvement confidentiel ? Est-ce que Black M et Soprano ont perdu leur talent parce qu’ils ont choisi de parler à un public très large ? Le pire dans cette lutte interne, les rappeurs non issus des banlieues doivent trimer pour obtenir une légitimité. Ils ne ciblent pas le même public mais font du rap, ils sont parfois plus doués que d’autres artistes ayant obtenu l’accréditation d’authenticité. Certes ils ne sont pas les représentants des quartiers populaires, mais ils parlent à une partie de la jeunesse de France, incontestablement.

Payons le prix de la popularité

Dans les années 2000, les amateurs de skateboard écoutaient du Sum 41, Offspring ou encore Green Day. La scène rock française existait avec des groupes comme Aqme, Pleymo et Kyo. Une partie de la jeunesse écoutait les BB Brunes, portait des slims, des chaussures pointues et des Wayfarer. La génération bercée par le film LOL de Lisa Azuelos. Aujourd’hui, le rock français n’est plus présent dans le top album depuis plusieurs années. La musique électro française a connu ses belles années, mais ne place plus de disque fracassant en haut des classements. David Guetta teinte ses musiques de hip-hop. Aujourd’hui les adeptes de backflips écoutent du Lomepal, du Nekfeu ou du Caballero & JeanJass. Les clubs s’enflamment lorsque le DJ place du rap dans son set. Le rap est partout. Skyrock n’a plus de monopole, la presse spécialisée est ultra concurrentielle : des signes que l’industrie se porte bien, les majors vous remercient.

Le problème du rap francophone est qu’il n’assume pas sa popularité. Alors même que les pionniers rêvaient de faire des ventes, de dépasser le cadre des cités. Ils se plaignaient à juste titre du manque d’exposition de leur musique, du manque de respect envers cet art. Aujourd’hui, le rap semble souffrir de sa trop grande croissance. Il n’y a plus un rap français, d’ailleurs il n’y a jamais eu qu’un seul rap français. Mais il faut digérer le fait qu’aujourd’hui n’importe qui peut faire du rap, du bon rap et réussir dans ce milieu. Il faut arrêter avec ce genre de phrase : « Bigflo et Oli ce n’est pas ce qu’écoute le public rap de base ». Qui est le public rap de base ? Cessons cette hypocrisie. Bigflo et Oli sont légitimes comme n’importe qui dans le milieu. Ils ne sont surement pas écouté en bas des tours, et alors ? Des bobos écoutent du rap, Booba enchaîne les couvertures des Inrocks, la pop frôle avec le rap et des rappeurs deviennent des artistes pop, et alors ? Maître Gims va remplir un stade de France avec un public familial, le concert de Soprano au Vélodrome a été diffusé sur une grande chaîne nationale, il faut s’en réjouir. Le rap offre à son public ce que chacun veut écouter, le rap ghetto existe encore, et le rap à la sauce pop a toujours existé. Les rappeurs gagnent de l’argent, ils en gagnaient sûrement plus dans les années 1990, et pourtant ils sont perçus comme plus authentiques.

Conclusion

Le rap français souffre de cette maladie depuis ses origines. Le groupe marseillais IAM a été attaqué pour le tube « Je danse le Mia » jugé trop grand public par d’autres rappeurs. Ils ont répondu avec le morceau « Reste Underground » aux paroles claires et efficaces: « En fait ce qui dérange vraiment les jaloux, c’est que le Mia a vendu beaucoup quoi ?! Eux font de la musique pour la gloire, je ne peux y croire, les prostituées ne sont pas toutes sur les trottoirs, la jalousie est un putain de défaut que je corrige à coups de micro, de rythmes et de gerbes de mots (…) Si être underground c’est être bête et borné, qu’ils restent où ils sont et qu’ils évitent de me brancher ».

Rien n’a vraiment évolué depuis, les rappeurs sont contraints au grand écart perpétuel, entre la volonté de s’élever socialement en vendant des disques sans trahir ceux qui sont restés dans le ghetto, ceux qui constitueraient le cœur de leur audimat. Le rappeur français n’est pas condamné à rester pauvre pour être crédible. Le rap n’a pas perdu de son authenticité avec sa réussite. Le rap avait besoin de casser les frontières des banlieues et des quartiers pauvres. Dès sa création aux Etats-Unis il a été une musique pour une certaine classe populaire, mais les légendes des années 1980 et 1990, sont aujourd’hui des chefs d’entreprise respectés: Jay Z, Diddy, Dre etc. Alors pourquoi interdire à Booba ce que l’on glorifie chez les géants outre-Atlantique ? La France aime l’humilité, il faut cacher son succès. Et si un rappeur comme B2o chagrine autant les puristes, c’est qu’il se moque des codes français, de ce mélange culturel entre islam et catholicisme où l’argent ne doit pas être un culte. Mais l’authenticité dans le rap est une vaste escroquerie, une hypocrisie et un leurre. Des valeurs comme la solidarité, le partage, l’engagement sont plus concrètes que l’authenticité.

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