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Il y a 20 ans, Eminem atteignait le sommet de sa carrière avec MMLP
20 ans déjà. Le 23 mai 2000, Eminem dévoilait The Marshall Mathers LP son deuxième album studio. Véritable doigt d’honneur à l’Amérique, cet opus est considéré comme un classique du rap mais également comme la pièce majeure du grand Marshall Mathers. Retour sur un album qui n’a laissé personne indifférent.
Contexte
Le 23 février 1999, Eminem dévoilait The Slim Shady LP. Le monde découvrait alors un affreux personnage nommé Slim Shady. Un alter-égo dégoûtant, violent, misogyne, homophobe, drogué mais qui délivrait les vérités qui font mal. Il n’en fallait pas moins pour que cet anti-héros devienne le bouc émissaire de l’Amérique toute entière. Les associations, les médias et les parents crient au scandale et accusent Eminem d’être le diable en personne. De quoi agacer encore plus le principal intéressé, qui pour leur répondre, va continuer à jouer la carte de la provocation.
Ecrit en majorité à Amsterdam pendant qu’il était en tournée, The Marshall Mathers LP devait à l’origine prendre le nom de la ville, il a finalement changé d’avis après avoir enregistré la chanson éponyme « Marshall Mathers ». Nous voilà le 23 mai 2000, et Eminem sort ainsi son deuxième album qui va beaucoup faire parler.
Les Singles
« The Real Slim Shady »
Le 15 avril 2000, Eminem dévoile le premier extrait « The Real Slim Shady », un single à première vue drôle, mais également brutal. Ce single nous donne un aperçu global de ce que sera l’album: une critique envers les parents qui n’éduquent pas bien leurs enfants, un ras le bol de quelques popstars qu’il ne peut supporter (Coucou Pamela Anderson, Tommy Lee, NSYNC, Britney Spears, Christina Aguilera, Will Smith), sans oublier des réponses cinglantes aux médias.
« Tu penses que j’en ai quelque chose à foutre d’un Grammy ? La moitié d’entre vous ne peut pas me blairer ».
Le clip est lui aussi très explicite, il montre des parents s’adonnant à des pratiques sexuelles douteuses, pendant que leurs enfants regardent n’importe quoi à la télévision. On y voit également Shady traumatiser des boys band, comme pour dire qu’il est la nouvelle terreur de l’industrie musicale. Le plus frappant reste la chaîne de production où des centaines de Slim Shady sont créés, tous à l’identique : blond platine, T-Shirt blanc, Jogging etc… de quoi clamer encore et toujours qu’il n’est qu’une personne parmi d’autres. Pour l’anecdote, « The Real Slim Shady » a été enregistré 3 heures seulement avant la clôture de l’album, car le projet avait besoin d’un single.
« The Way I Am »
Le deuxième single, lui, est beaucoup plus sombre et agressif. « The Way I Am » est introduit dans l’album par le skit « Steve Berman ». Steve Berman est un personnage fictif dans les albums d’Eminem qui représente le directeur marketing du label Interscope. Une sorte de conseiller, toujours là pour dire ce qui est bon pour vendre ou pas. Et dans le skit, Steve n’hésite pas à dire à Eminem que son album est merdique.
« Ça aurait été encore mieux si tu ne m’avais rien donné, cet album ne vaut rien, je ne peux pas vendre ça, tu rappes uniquement sur l’homosexualité et le Vicodin, je ne peux pas vendre cette merde. »
Des propos que son label a sûrement dû tenir dans la vrai vie, de manière plus nuancée certes, mais qui a rendu fou de rage un Marshall Mathers qui ne veut pas être restreint dans ses choix artistiques.
S’en suit donc « The Way I Am », un morceau magnifique et effrayant à la fois, où nous sommes témoins d’un homme en colère, mais aussi blessé. Le tout est rappé dans une atmosphère sombre qui nous ferait presque peur. Sa voix grinçante et le beat sinistre nous provoque une montée d’adrénaline, le rappeur arrive à créer une ambiance pesante et particulière pendant près de 5 minutes. À n’en pas douter, ce single est un chef d’oeuvre. Mais « The Way I Am » est avant tout un véritable doigt d’honneur à tout le monde :
- Au public : « Mais au moins ayez la décence de me laisser tranquille quand vous me voyez dans la rue, quand je mange ou quand je nourris ma fille, ne venez pas me parler, je ne vous connais pas et je ne vous dois pas le moindre putain de truc, je ne suis pas Monsieur NSYNC, je ne suis pas ce que tes amis pensent, je ne suis pas Monsieur Amical. »
- Aux médias : « Et toute cette controverse qui m’entoure, on dirait que les médias me montrent du doigt, alors j’en pointe un vers eux, mais pas l’index ou l’auriculaire, mais celui que tu lèves quand tu envoies chier, quand tu ne supportes plus les conneries qu’ils racontent, car ils sont pleins de merde aussi. »
- A l’Amérique : « Quand un mec se fait tabasser et fait exploser ton école, ils le reprochent à Marilyn Manson et à l’héroïne, mais où étaient les parents ? Amérique moyenne, maintenant c’est une tragédie, après on attaque Eminem parce qu’il rappe comme ça, mais je suis heureux parce qu’ils me nourrissent de ce carburant dont j’ai besoin pour allumer la flamme »
- A son label : « Je suis tellement malade et fatigué d’être admiré que je souhaiterais juste mourir ou être viré, être lâché par mon label et arrêter les fables »
Eminem ne supporte plus la pression et les controverses qui l’entourent, et n’hésite pas à remettre tout le monde à sa place. Il va cependant calmer le jeu avec son troisième single « Stan », qui va montrer une toute autre facette de sa personnalité.
« Stan »
« Stan » raconte l’histoire fictive et tragique d’un fan d’Eminem du nom de Stan. Ce dernier écrit des lettres à son idole régulièrement, mais la star ne répond jamais. Le fan devient de plus en plus virulent au fil des lettres et en prenant les paroles d’Eminem trop au sérieux, il devient fou et perd la raison, jusqu’à se suicider en se jetant d’un pont, sa femme enceinte dans le coffre.
Dans le quatrième couplet, ce n’est plus Stan mais Eminem qui parle. Le rappeur a enfin le temps de lire les lettres du fan. Il lui dit alors de ne pas prendre ses lyrics au pied de la lettre, que la musique n’est qu’un divertissement. Il lui dit également de prendre soin de sa femme. Des propos qui contrastent évidemment avec les paroles beaucoup plus acides de Slim Shady. Au moment de conclure sa lettre, Eminem décrit à Stan un drame qui a eu lieu récemment et qui a défrayé la chronique: l’histoire d’un homme ivre qui s’est suicidé en voiture après avoir enfermé sa petite amie dans le coffre du véhicule. Et ce n’est que dans les dernières secondes de la chanson qu’Eminem se rend compte que le drame en question concernait justement Stan.
Cette chanson est exceptionnelle pour plusieurs raisons. Tout d’abord elle démontre la vraie personnalité de l’ennemi public numéro 1 de l’Amérique. Pour la première fois, Eminem ne fait pas l’apologie de la violence mais au contraire, calme le jeu. Le tout est raconté à travers quatre couplets d’anthologie, qui prouvent que le rappeur maîtrise l’art du storytelling d’une manière magistrale. En seulement six minutes, Marshall a réalisé un court métrage avec des mots. Le sample « Thank You » de Dido permet également de propulser le single au sommet des charts du monde entier. Cette musique a dépassé les frontières du rap, et pour la première fois, Eminem se frotte à une nouvelle audience. Beaucoup de personnes réticentes au rap ont alors écouté et surtout aimé cette chanson, de quoi populariser ce genre musical toujours marginal du point de vue des médias.
L’album
The Marshall Mathers LP débute directement dans la provocation avec « Public Service Announcement 2000 ». Une préface qui met en garde l’utilisateur. Les prochaines 72 minutes vont être violentes. Les paroles sont évidemment crues :
« Slim Shady n’en a rien à foutre de ce que tu penses, si tu n’aimes pas tu peux sucer sa putain de bite. Slim Shady en a marre de vos conneries et il va vous tuer. Quelque chose à ajouter ? Ouais, attaquez-moi en justice ! »
Magnifique et douce introduction donc. L’album s’enchaîne avec « Kill You », un titre extrêmement provocateur où Slim Shady prononce des obscénités innombrables sur sa mère et sur les femmes en général. Dans son livre « Angry Blonde », Eminem a déclaré que tout était volontaire.
« Je voulais commencer l’album avec cette chanson car les médias disaient que je ne pouvais pas être plus misérable que sur mon album précédent. L’idée était de dire les trucs les plus débiles possible. Juste pour dire aux gens que j’étais de retour. Que je n’avais rien perdu, que je n’avais pas changé, si ce n’est en pire. »
Lynne Cheney, la femme de l’ex vice-président des Etats-Unis avait pris pour exemple cette chanson car elle voulait instaurer un âge limite pour acheter de la musique… Quelle belle récompense pour Eminem ! On vous offre un extrait de son discours, c’est magique.
« C’est un rappeur qui encourage le meurtre et le viol. Il parle de tuer et violer sa mère. Il parle d’étrangler des femmes pour les voir suffoquer lentement. Il parle d’utiliser la machette d’OJ Simpson pour tuer des femmes, et c’est un homme honoré par l’industrie musicale ? »
La piste 5 « Who Knew » qui était censé être le premier single, est elle aussi très représentative de l’album. Dans cette chanson, Eminem revient sur son nouveau statut de superstar et n’hésite pas à faire la morale une nouvelle fois.
« Qui a amené des armes dans ce pays alors que je ne pourrais même pas avoir un pistolet en plastique à Londres ? La semaine dernière j’ai vu ce film de Schwarzenegger où il massacrait tous ces enculés avec un Uzi, j’ai vu ces 3 gamins au premier rang qui hurlaient ‘vas-y!’ accompagné de leur oncle de 17 ans, mon Dieu c’est pas les mêmes parents qui deviennent furieux quand je demande s’ils aiment la violence ? Et que pensez-vous du maquillage que vous autorisez à votre fille de 12 ans ? »
Les tracks 9 et 10 « Remember Me » en featuring avec Stricky Fingaz et RBX puis « I’m Back » sont du Slim Shady dans toute sa splendeur, avant que nous arrivions à « Marshall Mathers », un son de type « Just Don’t Give a Fuck » où le rappeur égratigne une nouvelle fois les pop stars et règle ses conflits familiaux.
« Pour chaque million que je fais, un autre de mes proches m’attaque en justice, une famille qui se bat pour m’inviter à manger, tout à coup j’ai 90 cousins, un demi-frère et une demi-soeur qui m’ont jamais vu, ils ne m’ont jamais appelés jusqu’à me voir à la télé, maintenant tout le monde est si heureux et fier je suis enfin autorisé à aller chez mes beaux parents »
On enchaîne avec « Drug Ballad », sa « chanson d’amour » envers la drogue et l’alcool. « Je voulais montrer à quel point ma vie était une fête en 1999, c’était ma première année de célébrité alors j’ai beaucoup célébré. » a t-il écrit dans Angry Blonde. S’ensuit « Amityville » où avec l’aide de Bizarre, il décrit Détroit comme une ville effrayante et complètement folle. La piste 15 « Bitch Please II » est très West Coast, puisque le rappeur peroxydé a invité son mentor Dr Dre mais également Xzibit, Snoop Dogg et Nate Dogg. On arrive alors à « Kim », une des chansons les plus controversées de l’album et de toute la carrière d’Eminem.
« Kim » est une chanson extrêmement violente, écrite en 1998 et préquel de « 97′ Bonnie & Clyde », présente sur The Slim Shady LP. Dans cette musique, Eminem se met en scène en train de tuer sa propre femme Kim lorsqu’il apprend que cette dernière l’a trompé. La chanson commence dans la maison du couple. Il parle à sa fille Hailie, qu’il est en train de coucher. S’ensuit une ardente dispute avec sa femme qu’il insulte et à qui il reproche d’avoir amené son amant à la maison. Dans le second couplet, le couple se trouve dans une voiture, la dispute se poursuit et le personnage incarné par Eminem commence à délirer, alternant cris et pleurs. Dans le dernier couplet, ils sont dans les bois et sortent de la voiture, Kim tente de s’enfuir mais elle est rattrapée par son mari qui finit par l’égorger.
Bien que très controversée, cette chanson a été unanimement accueillie par la critique. Rolling Stone a notamment écrit : « Ce qui rend la chanson si percutante est, bien sûr, qu’Eminem ne hait pas simplement Kim. C’est la plus poignante chanson d’amour maladif depuis ‘Used to Love Her’ de Guns N’ Roses. » Pour Entertainment Weekly : « Kim est une démonstration de la violence domestique si réelle qu’elle fait frissonner. « Stan » et « Kim » établissent de manière éclatante de nouvelles bases importantes pour le rap. »
Eminem dira plus tard qu’avec cette chanson, il a voulu créer sa propre version d’une histoire d’amour. Cette musique a été jugée tellement violente, qu’elle a été remplacée par « The Kids » dans la version clean de MMLP.
Enfin, l’album se termine sur « Under The Influence » où Eminem met en lumière son groupe D12, puis « Criminal » où Slim Shady fait encore des siennes jusqu’à braquer une banque.
Un véritable phénomène de société
Si The Marshall Mathers LP a marqué son époque, c’est aussi parce qu’Eminem est devenu un véritable phénomène de société. Des parents aux associations pro-gay en passant par les politiques, tout le monde s’est emparé du cas Eminem. Les adultes ont semblé impuissants face à la vague Slim Shady, qui avec cet opus s’est adressé à la jeunesse américaine entière, et non seulement aux fans de rap. Ses chansons parlaient aux adolescents en quête d’identité, à ceux qui avaient un boulot de merde, à ceux qui se faisaient humilier à l’école, bref, à tous les jeunes en colère. C’est comme si tout à coup, ils s’exprimaient aussi à travers le rap d’Eminem.
Le rappeur a par ailleurs réussi à transformer toute une génération issue de la middle class en fan de rap. Avec MMLP, Eminem a réussi à populariser cet art à un niveau supérieur. La folie était telle que le jour de la sortie de l’album, les lycées étaient vides, comme en témoigne cet article de Noisey :
« Le jour de la sortie, mon école était fantôme. Les Guidos et les Rockers avaient tous séché pour aller acheter le CD. Ça a commencé au même moment que l’émergence de Napster, donc quelques jeunes avaient téléchargé l’album et avait fait des copies pour les vendre. Tout le monde parlait de ça. Je me suis trouvé à avoir une profonde discussion musicale avec des mecs que j’évitais depuis des années. »
Durant sa première semaine d’exploitation aux États-Unis, 1,76 million de copies sont vendues. L’album devient ainsi l’album le plus vendu de tous les temps en une semaine pour un artiste solo. Il est encore à ce jour l’album rap le plus vendu de l’histoire aux Etats-Unis et le quatrième album le plus vendu de la décennie 2000-2010 au pays de l’oncle Sam.
Au final l’album dévoile Marshall Mathers tel qu’il est vraiment : toujours un peu enfantin, blessé, mais également rempli de haine. Et c’est en criant, en dévoilant toutes ses émotions qu’il se guérit. Le tout est fait dans un souci du détail remarquable et un niveau technique que seuls les plus grands artistes ont atteint. The Marshall Mathers LP ne laisse personne indifférent. Soit les critiques ont été admiratives de cette oeuvre, soit elles ont été très dures envers le rappeur, ne comprenant pas où il voulait en venir. A travers cet opus, Eminem fait une prouesse en nous emmenant dans trois mondes différents, celui du sulfureux Slim Shady, de la superstar Eminem, mais aussi du bienveillant Marshall Mathers.
Rolling Stone a classé The Marshall Mathers LP 244ème plus grand album de tous les temps, Time l’a classé parmi les 100 plus grands, et Q 85ème, faisant de cet opus l’album rap le mieux classé. Encore aujourd’hui, il est difficile d’imaginer qu’un album puisse impacter une société entière comme a pu le faire le deuxième album d’Eminem. Et c’est pour toutes ces raisons que The Marshall Mathers LP est considéré comme un chef d’oeuvre.
Bonus
Après plusieurs manifestations d’associations pro gay qui ont accusé Eminem d’être homophobe, le rappeur a tenu à leur répondre de la meilleure des manières en performant « Stan » avec le légendaire Elton John. Ce soir là, Eminem a remporté 3 Grammys, dont le Grammy du meilleur album rap.
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