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Le jour où j’ai arrêté de combattre ceux qui insultaient PNL
Longtemps, j’ai fait de la défense de PNL un combat personnel, incapable de comprendre que des fans de rap puissent avoir un avis aussi absurde sur un groupe qui l’incarne pourtant à la perfection. C’est désormais terminé.
26 avril, 2 heures du matin. Me voilà déhanchant sur la piste de danse improvisée d’un appartement lyonnais. Une piaule à peine plus grande qu’un studio d’enregistrement. Pas trop de monde, mais assez pour déconner avec des gens qu’on ne connaît pas et qu’on ne reverra probablement jamais. La bonne grosse soirée du vendredi soir quoi, avec un fin répertoire musical, étendu de « J’irais où tu iras » à « Khapta ». Bref, tout va bien. Puis, un intense moment de blanc s’est mis à régner dans la pièce. Quelques secondes tout au plus, mais suffisamment de temps pour huer le DJ à gorge déployée. En perpétuelle recherche de musique, verre de jack-coca à la main, le DJ choke, en manque d’inspiration. Alors que quelques premiers noms d’oiseaux circulent parmi la mince assemblée encore fièrement dressée sur la piste, une illumination lui survient.
Les quelques premières notes d’une guitare gitane secouent la pièce. « Au DD » est lancée. Mes yeux s’illuminent comme à Disneyland et un regard profond, sincère, langoureux s’échange avec le DJ, les doigts serrés vers le ciel, le coeur battant la chamade. « Bats les couilles de l’Himalaya, bats les couilles j’vise plus l’sommet. » Le plus beau moment de ma vie, putain. Pourtant, à côté de moi, un gars que je ne connais pas, mais qui m’accompagne dans mon intense déhanché depuis une bonne heure, va s’asseoir. Déçu, et malgré la ferveur de l’instant, je vais aux nouvelles. « Êtes-vous sûr que tout va bien cher ami ? », ai-je demandé dans un Français sûrement bien moins inspiré. « C’est de la merde ! », dénonce-t-il en accusant le DJ, au loin, sirotant son verre de Jack. Je m’interroge, interloqué : « T’aimes pas le rap ? » « Si, mais PNL, c’est pas du rap. »
Le fixant pendant encore quelques secondes, je le laisse à son infâme activité dépressive pour retourner marmonner un refrain beaucoup trop rapide pour un mec dans mon état. Voilà. Ça, c’est le jour où j’ai décidé d’arrêter de répondre aux mecs qui insultaient PNL.
« Juste du rap et son succès »
Me voilà donc un lendemain de cuite, café au bord de la table, à rédiger une lettre ouverte à toi, mec dont je ne sais rien, même pas le prénom. Puis les autres. Tous ceux qui sont persuadés que PNL ne plait qu’à des analphabètes, incapables de percevoir la valeur d’un texte. Tous ceux qui viennent commenter photos et articles du groupe, se demandant pourquoi les médias en font des tonnes avec ces gars-là. Tous ceux dont le dénigrement quotidien du groupe est devenu un combat personnel. Tous, prétendus issus de la culture hip-hop, ignorant complètement ce que représente réellement le duo pour le rap. Pour notre rap.
Le 5 avril au soir. Deux mecs du 91 et leurs potes, se pavanent sur la plus belle avenue du monde, au-dessus d’un bus frappé de leurs visages. Derrière eux, des centaines de personnes courent, rêvant d’immortaliser l’instant, d’apercevoir ceux qu’ils ont écouté toute la journée, ou simplement de participer à cette marche symbolique qui ne se dirige nulle part. Moi, à des centaines de kilomètres, incapable d’être là, je savoure cet intense moment de communion entre deux artistes et leur public, libérés d’une attente oppressante de 931 jours, à travers tweets, clichés et vidéos. J’ai beau chercher, et malgré toute ma bonne volonté, je suis incapable de citer un instant similaire dans l’histoire du rap français. Noyé dans l’imaginaire incroyable que procurent ces images, j’ai plus que jamais l’impression de vivre un moment historique. PNL incarne l’aboutissement ultime du rap français, ou en tout cas, sa transition vers une nouvelle ère. Au journal de TF1, Anne-Claire Coudray présente deux frères et leur succès, s’exhibant sur les Champs-Élysées. Aucun propos sexiste, clash, dérapage, fait divers, octogone. Aucune polémique. Juste du rap et son succès.
Factuellement, par ses innombrables records, son visuel et sa symbolique, PNL a atteint une consécration inégalée pour la sphère rap. L’achievement d’une culture, représenté par deux frères au passé presque trop stéréotypé pour en être là. En toute indépendance, enfermés dans leur bulle, les mecs sont devenus ce qu’aucun autre rappeur n’aurait rêvé être. Nos et Ademo représentent le rap et incarnent sa plus belle sucess-story, sans aucun doute. Et même si ce constat découle de ma subjectivité, encore secouée par le mythe de Deux frères, j’ai longtemps souhaité qu’il soit irréfutable. Jusqu’à comprendre qu’il l’était réellement.
« Aujourd’hui, PNL est LE rap français »
Pourtant, avant et après la sortie de l’album, chacun de nos posts mettant en scène PNL sur les réseaux sociaux étaient généreusement accompagnés de critiques absurdes. Pour un commentaire positif, neuf autres expliquaient qu’on s’en fout, car, « PNL, ce n’est pas du rap ». Un temps, j’ai tenté de répondre, avant de vite abandonner. Dois-je sérieusement me justifier d’écrire un article sur tous les records, références ou autres certifications du groupe ? Bien sûr que non. Depuis début avril, le rap français ne respire qu’à travers PNL, parce qu’ils viennent de bouleverser son histoire. Et j’éprouve une profonde peine pour ceux qui ne le comprennent pas.
Que le duo soit critiquable pour sa musique est une chose, mais le manque de reconnaissance éprouvée par la sphère rap face à son incroyable ascension en est complètement une autre. Aujourd’hui, PNL est LE rap français. C’était encore un débat, il y a quelques semaines, mais la fascination d’autres pays pour eux, une fascination forte et unique, le prouve. Et une nouvelle fois, et comme c’est malheureusement le cas dans une multitude d’univers divers, du football au cinéma, la France est incapable d’être fière de ce qu’elle renferme. PNL fait pourtant la fierté du pays à l’étranger, sans faire la fierté des Français. Un insupportable paradoxe.
Le pire étant que la culture hip-hop, masquée derrière une solidarité hypocrite, peine unanimement à reconnaître PNL comme ses plus fidèles représentants. Qu’ils fassent du rap, ou non, que leurs paroles soient limitées, ou pas, n’est même pas le débat. En fait, deux mecs, tirés de notre mouvement, de notre culture, sont en train de réaliser quelque chose d’incroyable. Le rap, la musique, est subjectif, mais l’incarnation du hip-hop ne devrait pas l’être. Si l’on n’est pas fier lorsque deux rappeurs déboulent sur les Champs-Élysées alors quand doit-on l’être ? Si le hip-hop n’est pas solidaire et fédérateur à cet instant précis, alors le sera-t-il un jour ? De toute manière, je ne suis même pas sûr qu’une telle euphorie, qu’un tel engouement puisse se reproduire. Le rap français a vécu un immense moment de son histoire. Peut-être même le plus grand, reconnu jusque dans les sphères médiatiques qui n’ont éprouvé que respect et estime à l’égard de PNL. Et c’est triste que les fans de rap n’en aient pas pleinement conscience.
Ainsi, j’accepte définitivement que l’on me dise que PNL n’est pas du rap. Après tout, c’est discutable, sur différents points. Je dirais même mieux : l’appréciation de la musique est subjective, même à l’intérieur du rap, qui représente finalement un large paysage artistique. Maintenant, il serait véritablement temps que la culture hip-hop, dans sa globalité, arrête de nous étouffer avec ses stéréotypes injustifiés qui tentent d’expliquer le succès de PNL. Et plutôt, qu’elle s’en félicite, car pour une fois, son traitement médiatique est rangée dans la catégorie « Musique », et non « Faits divers ».
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