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La musicalité des mots, le trait commun entre PNL, Arthur Rimbaud et Fabrice Luchini
Non, vous n’êtes pas sur un article de Vice. Grâce à monsieur Fabrice Luchini, nous allons vous expliquer le lien entre PNL et Arthur Rimbaud. Oui oui, il y’en a un.
Des articles sur le cas PNL, en veux-tu en voilà, il y en a des dizaines, des centaines. Du plus banal “Qui est PNL, le phénomène du rap français”, à l’investigation la plus totale “Qui se cache derrière les clips de PNL ?”. Dans tous les cas, le duo fascine mais divise également bon nombre des auditeurs de rap.
Certains les adulent, d’autres les conspuent. Les critiques les plus redondantes concernent les paroles et les textes d’Ademo et N.O.S. Pour une partie du public non convertie au phénomène PNL, les chansons ne sont « pas assez bien écrites ». Pourquoi pas, tout le monde a droit à la critique. Cependant, le duo possède de sérieux arguments qui vont dans le sens contraire de cette pensée. Oui il n’y a pas de rimes multi-syllabiques ou autres rimes croisées, mais qu’importe, nous n’en sommes plus là.
Le rap a prouvé depuis déjà bien longtemps qu’il était dorénavant plus que ça, et cette critique semble obsolète. Il faut juste écouter la musique différemment. Il y a aujourd’hui un vrai travail sur les sonorités, mais également un changement d’approche dans l’écriture. Les textes sont plus imagés, métaphoriques et certes moins consistants. PNL représente parfaitement ce changement. Le duo a une écriture très particulière, presque unique et propre à eux: ils jouent sur la musicalité des mots.
Mais alors qu’est-ce que c’est ? Le meilleur pour en parler n’est autre que Fabrice Luchini, célèbre acteur français, réputé pour son obsession des mots, et plus particulièrement leur association, leur emboîtage. De la même manière que le rap, les textes de poésie sont très travaillés, et les mots choisis ne laissent aucune place au hasard. Dans l’émission “On n’est pas couché” du 28 mars 2015, Fabrice Luchini, explique une nouvelle fois sa passion. Il en profite pour raconter une de ses drôles d’aventures, lorsqu’un soir, il se met à réciter un texte alors qu’il se trouve dans un taxi.
“Me voilà dans la pauvre voiture, voiture très modeste, et j’ai mis la gomme. Et je suis bon au niveau vocal […], j’ai dit ‘J’ai vu des archipels sidéraux, et des îles dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur’, le chauffeur s’arrête au feu rouge et me dit ‘Qu’est-ce que c’est beau… mais j’ai rien compris’ et sincèrement j’ai répondu ‘Ne vous inquiétez pas moi non plus.” Début du récit en question à partir de 4 minutes.
Cet extrait de texte est issu de Le Bateau Ivre de Arthur Rimbaud. Selon les mots de Luchini, celui qui veut comprendre Rimbaud n’est “pas bien parti”, au contraire de Victor Hugo où ses textes sont clairs. Il faut parfois oublier le côté « rationnel » pour apprécier la beauté. Et c’est là que le parallèle avec PNL existe.
N’allons pas comparer la plume de Rimbaud à PNL, ce ne serait absolument pas légitime et là n’est pas le but. En revanche, leurs approches de l’écriture se rejoignent quelque part dans cette technique qui défie la logique. Il faut parfois se laisser porter par la musicalité, la beauté des mots assemblés et oublier le sens. C’est en voulant à tout pris se concentrer sur les paroles, sur le sens, que l’on ne va pas apprécier le travail de PNL. Tout comme pour Rimbaud selon Fabrice Luchini.
On retrouve beaucoup ce phénomène de musicalité des mots dans les textes des deux frères:
« Les démons se rendorment j’pose mes armes les anges se réveillent » « Obligés de prendre »
« J’ai mis du temps à m’habituer à cette obscurité
Donc j’caresse timidement la lumière par sécurité » « Laisse »
« Y’a rien à voir et ma rétine se tourne les pouces, donc j’ferme les yeux, et l’obscurité j’épouse » « Mexico »
« Le soleil se lève, temps et soucis dessinent le visage
La lune prend le relais, lance un dernier baiser dans l’virage
J’rattrape l’horizon, pressé, j’démarre en seconde
Infini chemin demain et du temps pour qu’on se trompe »
« La feuille est si belle, plus j’écris plus j’salis
Fleur de décibels, ma rage les contamine » « La Vie est Belle »
« Trop d’haine pour neuf mètres carrés
Tristesse faut pas calculer
J’aime pas tes rêves, cauchemars entassés
Le cœur qui brûle, sentiments glacés » « Jusqu’au dernier gramme »
Ces citations abstraites sont la marque de fabrique du duo. Les mots font un chemin direct sans passer par la case argumentation. Cette technique d’écriture à priori simpliste renforce en fait l’instantanéité, une manière de toucher sans détour, et se révèle bien plus complexe qu’elle n’y paraît. Pour remarquer les subtilités des textes de PNL, il faut y prêter attention, s’y plonger totalement. Les mots sélectionnés créent des images pour l’auditeur, font énormément appel aux sens, à l’imagination. Tout cela combiné à un travail de production remarquable, qui vient sublimer le tout.
L’approche chirurgical de la production
Les projets de PNL sont riches et novateurs, plus particulièrement le dernier en date. Les productions de Dans la Légende frôlent la perfection, fruit d’un travail merveilleusement réalisé par les différents beatmakers de l’opus. Elles se révèlent très efficaces et sont conçues sûr-mesure pour les deux frères.
L’usage de l’auto-tune est lui aussi très bien géré. L’utiliser, aujourd’hui tout le monde le fait. Aussi bien que PNL ? Très dur à réaliser. Le duo a le don de la mélodie et réussit parfaitement à capter les ambiances, et à marier les mots, le chant et les productions. Tout est compliqué à faire, mais le résultat final paraît si simple et limpide. C’est par ce savoir faire que le groupe sublime ses textes, et arrive à donner une autre dimension à leur parole. Une approche assez nouvelle et innovante, qui pourrait être une nouvelle norme dans les années à venir.