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Cyborg, Nekfeu dans la peau d’un androïde au rap chirurgical
Avec Cyborg, Nekfeu nous plonge dans un univers de science-fiction qui mêle analyse acide de la société et puissance lyricale.
26 ans, une dizaine d’années de carrière, et quasiment autant de projets à son actif avec ses différentes bandes de pote. Monstre de travail, le rappeur parisien avait déjà bousculé le rap game avec son album Feu en 2015. Ce jeudi 1er décembre, Nekfeu a annoncé lors de son concert à Bercy la sortie de son nouveau projet, Cyborg. Il réitère ainsi une performance brillante emmenée par une sublime aisance lyricale et une esthétique toujours très particulière. Il efface dans le même ordre quelques légers défauts de Feu offrant un projet moins mainstream et des thèmes plus matures.
La critique derrière l’armure métallique
La puissance de « Humanoïde », morceau d’ouverture, laisse présager un album plus personnel et plus structuré. Les trois couplets libèrent crescendo une impressionnante émotion, ponctuée par une outro lourde de sens : « Comme si ça pouvait m’porter malheur de croire à mon propre bonheur, Je crois qu’ça m’fait peur tellement j’ai souffert ». L’impression d’un projet plus mature se confirme ensuite avec « Mauvaise graine » et, globalement, l’album suit cette ligne directrice ; une aisance lyricale qui cache des thèmes crus et une vulgarité parfois poétique. L’amour de Feu, maquillée par des métaphores sexuelles, se détache ici avec des textes profonds et sincères comme l’excellent « Galatée ».
Le Cyborg, c’est l’allégorie d’une société clonée, homogénéisée, que Nekfeu dépeint derrière son squelette métallique ; « Programmé », « Réalité Augmentée », « Le Regard des Gens ». Une critique presque contradictoire tant l’album se libère des codes du rap « actuel ». Il raye l’autotune, la trap ou les voix surmodifiées à l’écœurement : il ne fait pas dans ce qui marche mais ce dans quoi il excelle. Techniquement, le rappeur jongle entre allitération et assonance, et dévoile une nouvelle fois sa palette impressionnante en terme de flow. Des rimes riches à en faire pâlir la fortune de Bill Gates et un phrasé millimétré qui ne résigne pas sur les messages.
Du renouveau, mais pas trop
A travers les 14 tracks de l’album on survole plusieurs styles, tous ancrés dans un univers très particulier. Là encore Cyborg se distingue du précédent opus, les couleurs électroniques et légèrement « mainstream » de Feu sont supplantés par de savoureux solos de saxophone. Les morceaux sont très longs, très travaillés et épurés dans les moindres détails (backs, dédoublements de voix etc.). Pourtant, la production admet parfois quelques suffisances ; certaines instrumentales sont trop plates, et si Nekfeu a toujours favorisé le fond à la forme, les couplets n’empêchent pas toujours la monotonie de plusieurs sons.
Enfin, pour sublimer les contours de l’album, le Fennec s’est entouré de toute une armada indé et familiale. Outre ses potes du S-Crew, 1995 ou l’Entourage sur des morceaux pas toujours originaux, Nekfeu réinvite S.Pri Noir dans un « Saturne » aérien et puissant. La délicieuse Clara Luciani permet d’ajouter de l’émotion à « Avant Tu Riais » alors que Murkage Dave démontre l’étendu de son talent dans « O.D. ». Mention spéciale à l’ambiance japonaise fascinante de « Nekketsu », agrémentée par la douce voix de Crystal Kay.
Nekfeu parmi les grands
Après l’ascension fulgurante de son premier projet, Nekfeu poursuit sur sa lancée. Cependant, Cyborg admet une fracture avec Feu : dans la maturité des thèmes abordées, et même dans la « froideur » des couplets. On s’approche d’un album beaucoup plus « rap », parfois même « trop » jusqu’à délaisser sa structure musicale. Mais hormis ces quelques défauts, Cyborg apporte un vent de fraîcheur à un rap français qui tourne en rond depuis de trop longs mois.