Musique
S.Téban, le blizzard marseillais : «J’ai toujours voulu rester fidèle à ma vision»
Il a sorti HYPERLOOP il y a quelques jours. Pour l’occasion, on a rencontré S.Téban, pour parler de sa musique, guidée par une vision.
Depuis 2020, S.Téban est certainement l’une des figures les plus excitantes de la nouvelle scène marseillaise. Ne laissant rien au hasard, celui qui posait un morceau solo au sein de la tracklist du premier volume de Capo Dei Capi en 2015, a dévoilé il y a quelques jours son troisième projet en trois ans : HYPERLOOP. Pour l’occasion, on l’a rencontré afin d’y voir plus clair sur ce début de carrière singulier.
«Précurseur dans ce jeu comme Kuti Fela» scande S.Téban dès l’intro de ce nouvel EP. Une référence loin d’être choisie au hasard. Elle fait écho à ses premières découvertes musicales : «Je pense que mes premiers souvenirs liés à la musique c’est à la maison, se souvient-il. À la télé ou dans la voiture de mon daron. Ça écoutait du Bob Marley, du Kool & The Gang, de la musique comorienne et pas mal de musique africaine». Originaire des Iles de la Lune, le jeune S.Téban profitera donc des disques de son père durant les premières années de sa vie. Avant de rapidement basculer vers le rap.
Psy 4 de la Rime : le premier exemple à suivre
Plantons le décor. Nous sommes à Marseille, au début des années 2000. Et un groupe s’impose peu à peu comme la nouvelle référence phocéenne, faisant souffler un vent de fraîcheur dans la fournaise des Quartiers Nords. Un vent qui emportera aussi S.Téban : «Les premiers souvenirs de rap je crois que c’est les Psy 4 de la Rime. Ça vient du quartier, du coup ça fait rêver et ça rend fier un peu tout le monde. Donc tout le monde se met à rapper et à écrire des freestyles».
Très vite, S.Téban fait ses débuts avec son groupe, Lygne 26, et suit de près l’explosion du quatuor marseillais. Ce qui n’était au départ qu’un passe-temps devient une passion. Puis la passion prend de plus en plus de place, au fur et à mesure que les sessions studios et les concerts s’enchaînent : «Petit à petit on se prend de plus en plus au jeu et au sérieux, explique S.Téban. On fait des scènes dans la ville. Et vu qu’on était du même quartier que les Psy 4 de la Rime on profitait aussi de leur essor et on les suivait un peu partout, comme au studio. Ça nous a beaucoup apporté au niveau du professionnalisme. En vrai c’est en les regardant qu’on a le plus appris». Et très vite, S.téban se démarque de ceux qui l’entourent.
S.Téban : «Au début, je ne pensais pas vraiment faire une carrière solo»
«Au début, je ne pensais pas vraiment faire une carrière solo, avoue S.Téban. Mais le groupe a fini par se séparer car on avait pas forcément les mêmes ambitions». Poussé par son entourage, le jeune rappeur enregistre des morceaux quand il en a le temps et l’envie. Jusqu’à ce que son travail arrive aux oreilles d’Alonzo : «Avec Alonzo on avait un entourage commun et les gens de mon quartier écoutaient mes sons sans qu’ils soient sortis. Puis un jour, quelqu’un lui fait écouter “Putain 2 Life”». Le 18 septembre 2015, Capo Dei Capi, Vol 1 voit le jour. Et, au même titre qu’Elams, Kofs et Graya, S.Téban y placera un morceau solo. Ce fameux “Putain 2 Life”.
Le morceau va alors résonner jusque chez certaines maisons de disques et autres labels. Une voie que S.Téban décide ne pas emprunter : «À l’époque j’ai eu des propositions pour signer en maison de disques. Mais j’étais pas forcément à l’aise avec ça parce que je sentais que ça allait me restreindre artistiquement. J’ai toujours voulu rester fidèle à ma vision et je savais déjà ce que je ne voulais pas faire. Étant donné que je n’étais pas forcément structuré pour profiter de cette visibilité, j’ai pas vraiment explosé». De son propre aveu, cette opportunité se transforme vite en cadeau empoisonné : «Il aurait fallu être un peu plus prêt».
Le doute, avant l’affirmation musicale et visuelle
Après avoir tutoyé ce qu’il pensait encore inaccessible quelques mois auparavant, S.Téban ne donne plus de nouvelles de lui durant de longs mois. En coulisses, il enchaîne les déconvenues, que ce soit de son côté où avec des labels indépendants de sa ville. De quoi presque se décourager : «On avait pas forcément la même vision artistique d’une carrière. Il y avait pleins de points où on était pas d’accord, donc on se sépare. Et à chaque fois il y a le sentiment de devoir recommencer à zéro et au bout d’un moment je me suis dit que j’allais arrêter. Pendant un an je m’étais dit que je laissais tomber, que c’était trop compliqué».
Mais, toujours autant soutenu par son entourage et passionné comme peu le sont, S.Téban décide alors de prendre les choses en main. Il monte sa structure indépendante, Tesma Prod, et profite d’un gigantesque moment de flottement pour réflechir sa musique et ce qui l’entoure : «Quand ça commençait à repartir il y a eu le COVID. Grosse période de réflexion, où j’ai compris que c’était le moment de foncer et faire ce en quoi je croyais». S.Téban a la certitude que sa vision est la bonne : «Quand t’es confronté à des gens qui ne sont pas d’accord avec ta vision, tu peux te remettre en question très rapidement. Encore plus à Marseille où le rap est pas énormément diversifié, même si ça commence à changer».
Car le Marseillais sent que quelque chose se passe. Galvanisée par le COVID, une jeune génération est prête à prendre le pouvoir. Une génération dans laquelle S.Téban se reconnaît : «Il y a une scène émergente qui commence à péter, que ce soit à Paris ou un peu partout en France et en Europe. Ce qui me conforte encore plus dans ce que je pensais déjà. On a foncé en sortant “Base 015” qui représente un nouveau son et une nouvelle image». Une image amenée encore plus loin sur HYPERLOOP grâce à ses superbes clips.
HYPERLOOP : une histoire marseillaise
«En tant que Marseillais, tu as toujours la fierté de vouloir représenter ta ville et ton quartier, confie S.Téban. Mais j’ai toujours voulu le faire sous une différente forme, celle qui me plaisait. Il y a eu une nouvelle générations de producteurs qui ont apporté autre chose dans le paysage marseillais. Ça change tout parce que tu peux faire la musique que t’aimes en étant plus rassuré de la qualité que tu proposes». Symbole de cette envie de renouveau dans le paysage phocéen, l’exposition grandissante de Kosei et Lyele Gwapo : «Ça fait partie des rencontres qui ont fait que ma direction artistique a été plus claire. Ce sont des OVNIS à Marseille».
Largement influencé par les nouvelles sonorités américaines, que ce soit la séduisante trap de Lil Gotit et Yung Nudy, les sonorités inquiétantes de Memphis ou les flows DMV de Washington, ce microcosme marseillais semble sûr de ses forces sur HYPERLOOP. Un projet froid, dont les sonorités tranchent avec l’image qu’on se fait de l’étouffante chaleur marseillaise. Symbole de ce son quasi glacial, la connexion avec le londonien cityboymoe : «On kiffe les même sonorités, explique S.Téban. Il vient du R&B au départ. Et je trouvais ça intéressant de mélanger deux univers, tout en sachant qu’il y a quand même de la cohérence entre nos deux visions».
Le futur en ligne de mire
Base 015, Mode Sport et HYPERLOOP. En l’espace de trois ans seulement, S.Téban nous aura donné à voir une palette artistique prometteuse, assortie d’une productivité impressionnante, grâce à une trilogie maitrisée de bout en bout. N’ayant jamais cessé de faire confiance à sa vision, le Marseillais avance vite, avec l’ambition de toujours faire ce qui lui plaît, tout en portant sa musique un peu plus loin à chaque nouveau projet.
Imperméable à la pression, S.Téban sait tout de même se fixer des objectifs, notamment celui du premier album : «Je pense que sortir un album c’est un kiff, pour tout artiste. Tu as envie de te dire qu’à un moment tu taffes sur ton album. C’est forcément un projet que tu travailles différemment. Tu te mets peut-être une pression différente. Donc oui forcément, c’est un objectif que j’ai en tête. Pas forcément tout de suite après “HYPERLOOP”, mais c’est quelque chose auquel je pense». Le futur s’annonce brillant pour le rap français, et S.Téban en est certainement l’une des principales raisons.
S.Téban – HYPERLOOP