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abel31 : «Musicalement, je suis une entité d’Internet»

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abel31 : «J'enregistre toujours l'émotion d'un soir»
© @lauraftn_

Il vient de lever le voile sur 200, son premier projet solo. Interlude a rencontré abel31 pour parler créativité, étiquettes et émotions.

De ses mains faites pour l’or, il fait partie de ceux qui portent un nouveau macrocosme d’artistes. Zoomy, Realo, winnterzuko ou encore Rounhaa et H JeuneCrack : si l’on éteint la lumière et qu’on plisse les yeux, un point brillant apparaît au fond de la salle. C’est abel31. Il peut s’apparenter à deux choses : la lumière d’une étoile ou celle d’un écran d’ordinateur affichant la page d’accueil d’un profil MSN. Ce qui est sûr, c’est que son rayonnement ne cesse de grandir.

Pas question de définir son appartenance musicale, on parlera plutôt d’une imagerie. Celle d’Internet aux alentours des années 2000, l’époque des émoticônes, des interfaces couleur chrome et de l’essor de la culture emo. Sur les millions d’internautes qui s’y connectent chaque jour, il y a Abel. Il tape son pseudo et son mot de passe. Derrière, on entend “Shell of Light”, de Burial. Le voilà en ligne. On a chatté avec abel31, entité numérique et attachante qui ne cesse de nous subjuguer.

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1terlude : Cc ! Tu vas bien ?

abel31 : Ça va. Fatigué un peu, mais ça va 🙂

Je suis très contente qu’on discute. Et avant de parler de 200, de tes collabs, de tes inspirations, j’aimerais qu’on revienne sur ton parcours. Sur le tout début. Comment tu commences la musique ?

J’écoute de l’électro et du rap depuis que je suis bébé. Mon père écoute beaucoup d’électro et j’ai grandi dans le rap. Je connaissais déjà des beatmakers, ce délire-là m’intriguait. Je trouvais ça stylé, sans plus de connaissances que ça. J’ai commencé en 2018 au Maroc. J’étais là-bas avec mon père. Je trouve une licence crackée de FL. Vu que j’avais pas grand chose à faire, je commence à faire du son. Les premières prods que j’ai fait, je faisais des espèces de clips, des montages avec des gifs, des images que je trouvais, et je les publiais sur YouTube. Je sais pas pourquoi. J’ai fait ça sur mes 5-6 premières prods. J’aimais bien. Au début, j’étais pas trop dans l’optique de placer mais plutôt de faire ces espèces de semi-films bizarres.

À quel moment tu commences à t’y consacrer réellement ?

Au premier confinement en 2020, je pense. Comme beaucoup de gens, j’étais isolé. Je me suis rendu compte que je pouvais évoluer, faire avancer mon truc malgré tout ça. À ce moment-là, je commence à prendre un rythme de prod un peu plus soutenu. Et à penser les sons comme : je verrais bien un tel là-dessus. Comme j’ai commencé à drop tout de suite, même si j’étais vraiment débutant, j’étais déjà au courant de ce qui se passait sur SoundCloud. Qui droppait quoi. Khali, j’ai vu très très tôt ses sons arriver. J’ai fait un remix d’un son à lui à l’époque, sur une prod de Kosei. On a connecté comme ça. Il a kiffé le remix et on a commencé à faire 2-3 sons. Lui a fait ses trucs, j’ai continué à faire les miens. Je ne connaissais pas Realo encore.

NAVA arrive quand ?

Entre fin 2021 et début 2022. L’été 2021, je commençais à venir au studio. Arman, mon manager, je le connais depuis que j’ai commencé à faire du son en 2018. On a connecté sur Instagram. Il aimait bien des sons que j’avais fait, on se connaissait de Twitter. Il n’y avait personne qui me donnait particulièrement de la force, donc j’étais en mode : c’est mon gars. Cet été-là, j’étais surveillant d’expo à Beaubourg et c’était juste à côté du studio. Donc je venais après. Vraiment tous les jours. À cette époque-là, j’étais à moitié chez ma mère, c’était plus compliqué qu’aujourd’hui pour trouver un endroit où travailler ou juste être au calme. Même quand il y avait des gens qui faisaient des sessions, je restais dans le fond.

«Avec Arman, mon manager, on a partagé des moments relous et des moments cool»

Avec Arman, on est devenu les sangs. On a partagé des moments relous, des moments cool, des moments juste tous les deux et d’autres avec plein de gens. J’ai découvert la vie de studio. Faire un son de A à Z, comment gérer un mood dans une session. Et surtout, j’ai connecté avec Realo, que j’écoutais depuis trop longtemps. On a commencé à bosser ensemble et je lui ai dis : moi, je suis dans un studio tous les jours. Si tu viens à Paris et que t’as besoin de faire du son, viens. Passe au moins une fois et ça va être lourd. Et comme avec winnterzuko, comme avec H JeuneCrack, comme avec tous les gens avec qui ça s’est passé, ils sont venus au studios. Ils se sont grave bien entendus avec Arman. On a passé un bon moment, on a fait du bon son, et du coup, ils sont revenus. Depuis, on bosse ensemble.

C’est aussi comme ça que tu as connecté avec Zoomy ?

Zoomy, c’était mon poto au lycée. On s’est connu en seconde. Moi, j’ai redoublé deux fois. On s’est connu la première fois, donc il a un an de moins que moi. On ne faisait pas du tout de musique à l’époque. On écoutait du son. Lui m’a vu commencer à faire des prods, je l’ai vu commencer à poser après. Maintenant, on a tellement fait de son ensemble que c’est logique de fou. Mais au début, on faisait un peu nos trucs de notre côté, et on était potes à côté.

 

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OBLIV!ON, zone d’apprentissage

Combien de temps vous passez sur OBLIV!ON ?

Je pense qu’on a passé six mois dessus. En vrai, c’était deux mois de travail resserrés. Vu que c’est moi qui l’ai mixé, il a fallu que j’apprenne à mixer, à rec. On a commencé à rec, on n’était pas du tout dans un studio. On était dans une maison au dernier étage, isolés, vraiment dans un mood particulier. On est revenu sur le projet dans un gros studio à Melun, dans lequel on bosse souvent. Un très gros studio. C’était vraiment l’inverse des conditions dans lesquelles on l’avait commencé.

Au final, pendant le processus, Zoomy a commencé à venir au studio et à vraiment traîner avec nous. En mode NAVA. Il s’est fait poto avec Tony, Vilhelm, mes amis de ouf. Ça a fini comme le processus créatif qu’on a maintenant. Tout le monde est impliqué. Quand il y a une prod sur laquelle quelqu’un peut rajouter quelque chose, il le fait, un mix ou quoi. C’est un peu le premier projet sur lequel on a commencé à avoir un modèle 360. Genre Yev fait le visuel avec Migi, nous on fait le mix. On utilise tous nos contacts, vraiment nos relations très proches, pour faire le truc.

Ce projet, c’est donc un tournant dans vos deux carrières. Qu’est-ce qu’il change ?

Lui ou moi, c’était notre premier projet. On avait la direction artistique de A à Z, on savait quand c’était fini. Moi, je le vois surtout comme un moment d’apprentissage. Je suis moins fier des projets en eux-mêmes que du parcours. Je sais qu’on s’est amélioré depuis OBLIV!ON, depuis 200, mais c’est un cycle qui ne va pas se terminer parce que les projets sont des zones d’apprentissage. Les premières scènes, les contrats. C’était la première fois que j’étais à ce point-là impliqué sur comment la personne allait poser sur la prod, comment j’allais traiter la voix. Ça a été beaucoup de discussions et de choses comme ça qui font qu’aujourd’hui, on a beaucoup moins besoin de tout ça. On s’entend très vite et un son peut être mixé dix minutes après avoir été rec. Parce qu’on a fait ce travail à ce moment-là.

«Je ne travaille qu’avec des gens que j’apprécie vraiment et dont j’apprécie vraiment la musique»

Justement, sur 200, tu réunis un casting assez impressionnant. On a des mecs comme H JeuneCrack, Luther ou Femtogo, mais aussi des Yuri Online ou des wasting shit. En fait, il y a des visions très différentes. Comment tu fais matcher l’univers et les envies d’un artiste avec les tiennes, surtout sur un projet qui est le tien ? À quel niveau t’investis ta vision ?

Je ne travaille qu’avec des gens que j’apprécie vraiment et dont j’apprécie vraiment la musique. Avant de contacter quelqu’un, je peux me prendre vraiment très sérieusement un morceau et l’écouter 40 fois dans une journée. Ça m’arrive souvent. Il y a un truc qui se passe et ça crée aussi une envie de créativité souvent un peu différente. Ça m’inspire.

Pour 200, ça a été un peu particulier. Pour la plupart des sons, je n’ai rien imposé mais j’ai dit : je voudrais que tu poses sur cette prod pour mon projet. Le but n’était pas d’avoir ces noms-là – même si c’était important pour moi d’avoir, dans la scène émergente que j’aime, des gens plus underground et des gens plus mainstream. Mais surtout, je voulais les avoir sur tel feeling, tel mood. Ils m’ont fait confiance sur la prod et sur la direction du morceau. C’est pas comme ça qu’on fait d’habitude. Tu regardes comment tu te sens, qu’est-ce qui te parle aujourd’hui, et je suis content qu’ils m’aient fait confiance.

 

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Est-ce qu’il y a un travail de re-prod derrière ?

Ça dépend. Pas trop, en vrai. Je suis plus du genre à envoyer un son fini où il manque une voix. La structure peut changer un peu suivant ce que la personne fait vocalement, mais je préfère ne pas retoucher une prod parce que je préfère la pureté. Je me dis que si j’enlève un truc, c’est moins bien, si je rajoute un truc, c’est moins bien. Après, il n’y a pas de règles. Lui peut faire une prestation vocale qui m’inspire autre chose, ou me pousse à enlever un élément. Sur “10 balles”, sur “crystal”, je voulais plus que ce soit une histoire qu’un couplet-refrain-couplet. Je voulais sortir des structures classiques, parce que même moi, j’aime bien écouter ça. Ça m’a fatigué d’écouter couplet-refrain-couplet. J’aime bien quand c’est un peu particulier et que le cœur du morceau arrive aux trois quarts, ou des trucs comme ça.

Et à l’inverse, quand c’est toi qui apparaît sur le projet d’un rappeur, je suppose que vous ne travaillez pas de la même manière ?

Pareil, ça dépend des artistes. J’aime bien bosser avec des mecs qui ont leur manière à eux. La manière de Irko et celle de winnterzuko, ce n’est pas du tout la même. Ni de sélection de prod, ni de poser, ni de finir un son. J’aime bien m’adapter. Et vu que souvent, c’est moi qui rec, je peux m’adapter à la personne parce que dans tous les cas, je vais pas imposer mais je vais diriger un peu le truc créativement. Je peux lui dire : refais-là, essaye autre chose. Je lui laisse la liberté de faire l’idée qu’il a envie et je m’assure qu’elle est «bien faite». Parce que lui n’a pas le recul. Quand tu chantes toi-même, il te faut un peu de recul pour savoir ce qu’il faut enlever ou quoi.

Pour te répondre, il y en a qui aiment avoir beaucoup de prods de côté et après, ils vont peut-être en poser une. Il y en a, quand ils m’en prennent une, ils vont la poser le soir-même. Realo par exemple aime bien avoir des prods de côté, mais il ne va pas jeter de son. Je suis un peu comme ça aussi, si je commence un truc, je pense que ça va aller au bout. Sinon, je m’arrête en cours de chemin. D’autres ont besoin de faire plus de sons et d’en mettre de côté. La prod de Irko, “5712”, elle avait beaucoup plus de mélo. Lui, c’est quelqu’un qui aime bien les trucs darks. Donc on a enlevé des mélos, on en a filtré certaines, j’ai ajusté la prod en fonction de ce qu’il voulait faire. yuri online, c’était plus classique. Je lui ai envoyé 5-6 prods et il en a choisi une. Il a posé chez lui et m’a renvoyé ça. Femtogo pareil. Mais toujours dans le partage. Juste, il fait sa direction. À chaque fois, je les contacte pour des raisons différentes. Même fdo (fdo38, wasting shit), à la base, je voulais que ce soit lui qui mixe. Parce que je kiffe la couleur d’angsty camboyz et c’est lui qui les mixe. Au final, vu qu’on était en studio tous les deux et que je l’ai reçu, je me suis inspiré de ses mixs, j’ai rajouté des techniques à moi et je suis content de la couleur finale. C’est un bon 50-50.

abel31 : «J’écoute beaucoup Gazo»

Tu m’as parlé d’Irko. Pourquoi avoir mis l’accent sur “5712” en en faisant le single clippé de 200 ?

C’est le premier son que j’ai fait avec Irko, de mémoire. On s’est connecté sur Internet puis on s’est vu en studio. On a fait le son sur place, simplement. On l’a clippé parce que déjà, Irko c’est un artiste que je kiffe de fou. Avant qu’on fasse le son, j’avais déjà sorti des sons avec Realo ou winnterzuko sur lesquels les gens ont pu m’identifier un peu. Vu que je bosse beaucoup avec Irko maintenant et que je valide à mort son univers, je me disais que c’était bien de mettre l’accent sur lui.

«L’émotion que ça m’apporte d’écouter Couli B et Burial, ça se complète bien dans une journée»

Tu m’as dit plusieurs fois que tu taffais qu’avec des mecs que tu écoutais. À part eux, qu’est-ce qu’il y a dans ta playlist ?

Il y a des sons mainstream et des sons très underground. C’est obligatoire. Honnêtement, j’écoute beaucoup Gazo. “CELINE 3x”, j’ai écouté toute l’année. J’écoute aussi beaucoup de Burial. En fait, j’écoute quand même majoritairement de l’électro parce que c’est ce que je peux écouter le plus sans me lasser. C’est un mood différent. Mr. Oizo, c’est une de mes refs max. Ed Banger, SebastiAn. J’écoute aussi beaucoup de sons cain-ri, des sons SoundCloud. L’émotion, comme beaucoup je pense, c’est ce qui m’intéresse le plus dans la musique. J’aime bien parfois quand ça sonne bedroom, fait maison. Parfois, je trouve ça plus puissant. Dans le cinéma, c’est pareil. Parfois, une grosse production casse la magie. J’écoute des sons isolés, je ne suis fanatique d’aucun artiste. Couli B, je kiffe. Jul, j’ai toujours aimé. C’est pas pour faire le mec différent, je trouve juste que ça se complète dans une playlist. L’émotion que ça m’apporte d’écouter Couli B et Burial, ça se complète bien dans une journée.

Pour revenir sur 200, t’as pas travaillé seulement avec des rappeurs, mais aussi avec d’autres beatmakers. Tu trouves quels avantages aux co-prods ?

Déjà, je serais plus porté à ne pas trop en faire. Je n’ouvre plus les loops et à part exception, je ne fais quasiment plus de collab Internet. Ce ne sont pas mes prods préférées. Un rappeur qui a besoin de faire son son en stud, que le beatmaker fasse la prod pendant que lui écrit, ça participe à l’instant unique que tu ne pourras pas recréer. Et quand tu l’écoutes, tu te dis : wow, c’est trop stylé. Les loops ne m’inspirent pas. Mes potes, mes amis, si. Aucun de nous trois (Tony, Vilhelm et moi) n’a besoin de faire des collabs. Même quand on en fait, on a notre couleur, on fait un truc qu’on aime, nous. On est ensemble, dans la même pièce, on écoute des sons avant. Le recul que t’as quand la personne – que tu sais créative et bonne – est face à l’ordi, sachant que c’est ton ami et que tu peux le diriger sans animosité, c’est cool. Ça aide de manière énergique la track, ça met de l’émotion et de l’implication. C’est un des moments où t’es le plus conscient de la musique que tu peux faire parce que tu n’es pas devant l’ordi, en train de penser de manière logicielle. Tu penses comme si t’étais sur Spotify.

Quand on a commencé à faire ça, c’était trop bien. Sur 200, Vilhelm a “94express” et “50BMG” qu’on a fait ensemble. La prod de Luther, je l’ai faite avec 143, qui est dans NAVA aussi. C’est que la famille. 143, je voulais qu’il travaille sur celui de Luther parce que de nous tous, c’est celui qui a la plus grande habilité rap français. Il a prod pour Laylow, il bosse grave avec Wit. Dans la manière dont il travaille, on sent qu’il sait ce qu’il fait. Je pense que c’était un bon calcul parce qu’il a pu faire ses édits dans les voix, les mélos. Je choisis le beatmaker avec l’artiste parce que je veux qu’ils soient fiers du son, que le son soit à eux. C’est que des gens qui naviguent entre l’électro et le rap. Sans sélectionner particulièrement, c’est ce qui me touche et ce sont les gens avec qui je connecte.

© @camibourrat

© @camibourrat

Il y a des beatmakers qui t’inspirent ?

J’aime bien BNYX® aux États-Unis. Il a produit pour Yeat. Il y en a d’autres, plus des américains. En France, Amnezzia est super chaud. Tony Seng, Vilhelm, 143. J’aime bien Rio Leyva, c’est un mec d’Internet Money. Il m’inspire. C’est plus dans le mindset. Sa façon de faire beaucoup de prods et d’être créatif en peu de temps. Ce côté “too much”, je m’y reconnais bien. En électro, il y en a beaucoup plus. Mais il y en a tellement que je ne pourrais pas tous te les citer.

En parlant d’américains, tu as des ambitions à l’international ?

J’aimerais bien placer aux États-Unis, mais c’est en aucun cas un objectif. Pour le coup, je préfèrerai faire une track électro un peu ambitieuse qui fonctionne en Espagne plutôt que placer. Mais je suis chaud pour les deux, et je compte bien faire un peu des deux. Mais ça m’enjaille pas plus que ça, je préfère faire une track qui marque dans mon pays.

«Ma seule ambition, c’est d’aider à faire de la bonne musique en France sur le point de vue mondial»

Pas même de placement rêvé alors ?

Non, aucun. Mon rêve, c’est juste que – en France – j’aide à faire de la bonne musique sur le point de vue européen, mondial. C’est ma seule ambition.

Toujours en double-sens

Par rapport au nom du projet, 200. Il y a 10, 338, 5712, 2031, 94, 50. Ce sont tous les nombres qui apparaissent au fil des tracks. Et il y a 31 aussi, dans ton nom d’artiste. Quel intérêt tu portes à ces numéros ?

Pour de vrai, les couleurs et les numéros sont mon inspiration artistique. Parce que c’est quelque chose d’immatériel. Le bleu, c’est ma couleur préférée. Je voulais pas en mettre parce que je trouvais que c’était trop. Je voulais faire un truc noir et blanc comme une porte d’entrée, un truc simple. Pour les nombres, j’aime beaucoup la numérologie.

J’ai cherché un peu ce que ça signifiait 31, du coup, en numérologie. Tu me dis si je suis dans le faux. Il y a une idée de persévérance, de travailler pour atteindre ses objectifs et d’un parcours guidé par une forte énergie créative ainsi qu’une certaine confiance en soi. C’est une description qui te correspond ?

Ouais ;). Déjà, c’est un nom que j’ai choisi par hasard. J’aimais bien son esthétique, le fait d’avoir un nom qui soit comme un pseudo MSN. Abel, c’est mon prénom. J’aime bien Ulysse 31 aussi. Il y a un aspect rétro-futuriste là-dedans, ça me parle. Mon nom, c’est un truc Internet. Je suis un mec d’Internet, limite une entité d’Internet musicalement. J’appartiens à ça, j’y suis né, ma culture vient de ça. Je représente grave Internet, en vrai. Abell 31, c’est aussi le nom d’une étoile. Je suis né le 22/09. 22+9 = 31. Il y a trop de trucs. C’est pour ça que je te parlais de double-sens.

Je suis pas forcément croyant non plus, mais quand tu mets plein de sens sur la table, un jour il y en a qui prennent. Par exemple, je vais rec et dire des trucs un peu flous, comme tu dis à ton psy. Et quand tu te réécoutes, il y a un meaning. Six mois plus tard, c’est un autre. Tu comprends que t’as dit ça pour ça. Je n’aime pas trop figer les choses. Je peux beaucoup changer d’avis et revenir sur ce que je pense. Donc je préfère laisser les choses en double-sens. Ça appartient au public. Je pose des émotions, des trucs qui me touchent. Et après les gens, soit ils les perçoivent, soit non. Mais c’est pour eux.

Le projet se termine par le morceau “mot!on”, sur lequel tu poses ta voix. Est-ce que c’est quelque chose que t’aimerais faire davantage ?

Hier, j’ai posté deux sons comme ça sur SoundCloud. Je n’ai pas vraiment d’explication. Dans mon projet, je devais faire une track solo. Au début, je devais faire une track instrumentale. Mais vu que je me place comme un auditeur d’abord, j’aurais pas streamé une prod instrumentale dans ce projet. Moi, je suis chaud pour – plus tard – faire des projets instrumentaux, des trucs électro, mais ce sera une autre vie. Une autre façon de vendre la musique. Si moi-même, je ne vais pas écouter ma track, ça n’a aucun sens de le faire. Je me suis dit que j’allais poser. Je crois que j’avais posé deux fois dans ma vie. Je l’ai fait en deux soirs.

«Je l’ai ressenti quand je l’ai fait, et ça m’a fait vibrer»

Vu que je voyais qu’on allait perdre le studio (problèmes de voisinage et besoin de plus d’espace), je commençais à venir de manière frénétique, tout le temps. Des soirs, j’étais tout seul et ça m’a donné envie de poser. Et vu qu’en 2022, j’ai commencé à faire la prod, rec et mix, le son est fait sur mon ordi et en un jour c’est bon. J’aime bien traiter et mixer des voix, même la mienne. J’étais dans une période personnelle un peu compliquée, j’avais besoin de me lâcher un peu. Pour mon premier projet, je sentais que j’allais drop un truc personnel donc je me suis dit que j’allais y aller à 100%. Avec ma voix dessus. Même si je dis des trucs… Moi, je rec toujours l’émotion d’un soir. Donc c’est possible que deux semaines après, je sois en mode : oulah. Mais ça reste l’émotion d’un soir et je l’ai ressenti fortement quand je l’ai fait. Ça m’a fait vibrer un peu. Ça a le mérite d’exister.

Tu m’as parlé de projets instrumentaux. On voit de plus en plus de beat tape sortir en ce moment. C’est dans tes projets ?

J’ai plus envie de faire des projets avec des voix. Spontanément, en ce moment, les voix me parlent. J’ai envie de faire des sons un peu big d’électro, que je trouve stylé, avec des voix. Je trouve que c’est une bonne ligne parce que ce sont des trucs qui vieillissent bien en général, si tu les fais bien. Je préfère me concentrer là-dessus, sur des rappeurs avec qui je bosse. Je me vois plus à 30-40 ans faire que des projets instrumentaux, faire mon son de façon encore plus précise. Mais je me dis qu’il me reste du temps et que pour l’instant, je préfère faire des sons que, moi-même, j’ai envie d’écouter en boucle.

«C’est une obsession pour moi que ma musique vieillisse bien»

L’obsession de bien vieillir

C’est important pour toi que ta musique vieillisse bien ?

C’est une obsession. Tu peux mettre tous les efforts que tu veux dans n’importe quelle œuvre, si tu ne la fais pas bien et que tu ne parles pas à ton époque, ça va mal vieillir. Moi, il faut que je dise quelque chose de ce que je vis sans que je le regrette après. C’est une idée qui m’obsède. Je sais que, toute ma vie, je serai dans une quête de faire un truc qui va pas vieillir. Peut-être que je n’y arriverai pas. Mais au moins d’essayer. Ça va aussi avec le fait que je suis un beatmaker de trap, j’en fais encore et je kiffe. Mais les gens m’ont étiqueté Supertrap, Rage, des trucs comme ça. J’aime bien les trends dans le sens où tu peux les utiliser, et le faire à ta façon. Mais si t’es étiqueté producteur de Rage ou de Supertrap, ta plus-value dans le monde de la musique dure deux semaines. T’as fait ton nouveau snare, quelqu’un te le prend, le met sur une track, tu vois ? C’est un monde hyper périssable. Même moi, des sons que j’ai fait il y a deux ans, je les trouve bizarre. Ça me parle plus. Ça va vraiment très vite dans la trap. Et vu que moi, j’aime bien être – au moins un peu – en avance, si c’est pour être tout le temps dans la recherche d’être trois semaines avant les gens, c’est chiant. C’est pas quelque chose dans quoi tu te sens fier artistiquement.

C’est quelque chose que tu aimes faire quand même ?

Je kiffe la trap. Je kiffe Redda, mais je vais pas faire des prods Redda tous les jours. Parce que tout le monde le fait. Ça m’impressionne pas du tout d’entendre une prod comme ça. Mais Redda qui pose sur une prod à lui en mode Redda, j’écoute. Du coup, je me dis : autant faire un abel31 qui pose sur abel31. Ça sera plus intéressant.

Il y a une volonté de marquer les esprits avec ta propre patte, du coup ?

Bien sûr, c’est ça. Tu ne peux pas faire ça en suivant quelque chose qui vient de marcher, en quel tu crois. Ça peut marcher. Les gens qui sont connus en jersey marquent un peu leur époque, mais ce n’est pas de cette façon-là que j’ai envie de le faire. Mr. Oizo, Sebastian, je me reconnais plus dans leurs parcours. Les étiquettes d’aujourd’hui, ce n’est pas grave. C’est bien de s’en servir pour faire valoir des sons. Pour dire : si vous aimez ça, écoutez ça. Mais j’essaie de faire un truc de plus en plus pur. Je suis aussi dans une recherche de minimalisme. J’ai remarqué que c’est ce qui vieillissait le mieux à mon oreille.

«Ce qui m’intéresse vraiment, c’est la pureté»

C’est un peu paradoxal, puisque tu as déjà dit que ce que tu aimais, c’étaient les assemblages d’éléments et de textures.

C’est grave paradoxal. J’en ai déjà parlé avec des potes. Peut-être qu’on me voit plus en maximaliste, à mettre plein d’éléments. Mais ce qui m’intéresse vraiment, c’est la pureté. Ce que j’aime dans un son, c’est quand il n’y a que la basse et tu te dis : wow.

Au fond, même si tu mets plein d’éléments, le rendu final peut donner cette impression de pureté.

C’est ça. En fait, c’est un truc sur lequel je suis en train de travailler. Ajouter beaucoup d’éléments, c’est un truc que tu fais naturellement quand tu t’améliores en beatmaking. Bien mixer plusieurs éléments, c’est une façon de s’améliorer et d’avoir des meilleurs prods, parfois. Mais  je préfère écouter une prod à moi dix minutes, où t’es dedans, t’es bien, qu’une prod impressionnante. Aujourd’hui, c’est mon goût et je suis plus dans cette recherche-là.

abel31 : digicore, electro, hyperpop ?

Tu parlais d’étiquettes. La mise en avant des beatmakers va de pair avec une génération qui a pris beaucoup de place dans le paysage rap actuel. Une génération qui floute de plus en plus les frontières qu’on peut ériger entre – par exemple – le rap et l’électro. On te catégorise souvent comme un artiste digicore. Est-ce que t’es d’accord avec ça ?

Les étiquettes, je déteste ça. Même dans les films. Les films que j’aime, il y a un peu d’horreur, un peu d’humour, mais bien fait. Un film ou un album qui fait son genre jusqu’au bout, ça m’intéresse zéro. Le digicore, carrément j’avais jamais entendu parler de ça avant de lire des articles qui parlaient de moi. Je n’ai aucune définition. Je t’ai dis, moi c’est la culture Internet. Ça ne me parle pas dès qu’il y a une prod qui s’apparente à de l’électro. Justement, ça fait tellement longtemps que j’en écoute que je suis très difficile. Pour que ça me parle, il faut que le mec se soit dépassé de fou. Je ne trouve plus d’intérêt dans ce truc de rajouter du core, du digi, pour moi, la musique doit être pure. Ça ne veut pas du tout dire piano/guitare, le kick qui tape comme ça, moi je suis contre les règles. Mais je me ressens zéro dans le digicore.

J’ai l’impression qu’on voit apparaître tellement de genres très singuliers qu’on veut toujours tous les catégoriser.

C’est un débat qu’on a souvent avec mes potes. Même avec winnterzuko. Lui, il faisait des choses et les gens lui ont prêté des inspirations qu’il ne connaissait pas. Ils l’ont rangé dans des trucs alors que c’est vraiment un mec qui est un rappeur. Lui, c’est un rappeur. Il a les sonorités qu’il aime bien, mais il ne va pas plus loin que ça. Il a pas essayé de faire un truc unique, différent. Il s’est inspiré de ce qu’il aimait.

«Quand j’entend 1er cycle de H JeuneCrack, il n’y a pas de doute : c’est mieux que tout le mainstream»

Et tu penses que cette génération peut devenir mainstream à terme ?

Je pense que c’est vraiment le mainstream de demain. Je sais pas si j’ai une vision sur l’histoire de la musique, mais quand je les ai écoutés, c’était évident. Quand j’entend 1er cycle de H JeuneCrack, il n’y a pas de doute : c’est mieux que tout le mainstream. C’est une évidence. Je ne veux pas faire le mec présomptueux, mais je sais qu’il y a des mecs en qui je crois qui vont devenir très connus ou juste monter un peu sur la scène en France. Il faut que ces artistes arrivent à se développer comme eux l’entendent. Malgré la scène française, malgré les étiquettes que peuvent leur mettre les gens. Ce n’est même pas une question. C’est un cycle, aussi. S’il y a un truc qui réunit un peu tous ces gens, c’est que ce ne sont pas des gens qui veulent faire un genre musical en particulier. Ils font ce qu’ils aiment.

C’est comme ça qu’on voit un So La Lune poser sur Autobahn de SCH.

Voilà. Ça m’a pas surpris, c’est logique. Moi, je suis un gros consommateur de rap, je regarde tous les trucs en rapport avec le rap. Et quand je suis en studio avec quelqu’un, pas besoin d’être historien ou de connaître tous les rappeurs pour voir qu’un truc unique et qui dégage de l’émotion peut parler aux gens.

Ce n’est pas parce qu’une musique parle aux gens qu’elle va marcher.

J’aimerais y croire. Je ne veux pas lâcher l’affaire :D. Je pense qu’Internet peut changer ça. C’est la sélection naturelle. Si un mec s’amène en ayant utilisé les codes de celui d’avant, ça va pas passer. On a toujours le mec d’avant dans la playlist, on n’a pas besoin de toi. C’est bien que ça dise new wave. Ça veut dire que c’est à venir, encore. En tout cas, je le prend comme ça et c’est positif. Un jour, on sera la wave et ce sera bien. J’ai pas dix ans de musique, tu vois ? Juste d’avoir connecté avec des gens que je ressentais vraiment, je n’ai pas fait de choix que je regrette. Le défi reste à venir, tout est encore à faire. L’objectif, c’est de faire un truc marquant qui puisse inspirer les gens. Devenir une ref. Pas pour l’ego mais pour faire avancer notre métier.

En parlant d’objectifs, t’as des projets dont tu peux nous parler pour la suite ?

On va envoyer un 3 titres avec Realo. On a aussi un autre gros projet. Je vais aussi refaire un projet après 200, plus court mais avec une direction artistique plus resserrée. Quelque chose de plus homogène, même si j’aime quand ça part ici et là. Il y a plein d’exemples, comme Bisous de Myth Syzer. La direction artistique est vraiment précise et ça marche pour ça. Après, des projets avec les gens avec qui je bosse. Je bosse de moins en moins avec de nouveaux rappeurs français. Je préfère me concentrer sur ceux en qui je croient beaucoup, mes amis que j’appelle déjà naturellement même pas pour faire de musique. Tout est logique. Je voudrais faire des projets plus électro aussi.

Alors qu’est-ce qu’on peut te souhaiter maintenant ?

Que tous les frérots vivent de la musique en 2023.

Dans le reste de l’actualité, Myth Syzer : «Je voulais que ce soit un projet d’auteur à part entière».

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