Culture
Comment la promotion du Joker a-t-elle tourné vers la légende urbaine ?
Mesures de sécurité, acteur torturé et habité par le personnage, spectateurs qui quittent la salle : la promotion de Joker, légèrement oppressante, a pris, au fil des mois, des allures de légende urbaine.
À deux jours de la sortie en France du (déjà) génial Joker, l’insoutenable attente laisse peu à peu place à un sentiment d’oppression médiatique. Entre records et critiques dithyrambiques, le Joker est en train de réussir pleinement son difficile pari. Celui de livrer une interprétation fidèle et intense d’un personnage à l’univers complexe, porté par un lourd héritage cinématographique. Pour réussir son coup, l’équipe du film a soigné l’image de son protagoniste, tout en surfant finement sur les différentes actualités qui entouraient la promotion.
Le Joker, le vrai
D’abord, le côté authentique. La Warner et Todd Philipps, réalisateur du film, ont depuis le début de la promotion du long-métrage, bâti le Joker sur un socle qui se veut au plus proche de l’identité du personnage comics. D’ailleurs, ils disent s’être inspirés du Joker d’Alan Moore, dans Batman: The Killing Joke, l’un des plus grands et unanimes classiques du comics américain. L’idée : redonner à l’antagoniste de Batman ses lettres de noblesse au septième art, partiellement égratignées depuis la clivante incarnation de Jared Leto dans Suicide Squad.
Là, tout ce qui entoure la promotion transpire le Joker. À commencer par l’ambiance violente du film, qui interdit le visionnage aux moins de 12 ans. Un côté un peu plus mature qui tranche avec l’esthétique cinématographique actuelle des comics, penchée vers une audience plus jeune. La volonté exposée est claire : le Joker est roi, sombre, violent, bref, le Joker est Joker. Découlent de ces promesses une notion sécuritaire mise en place à la sortie du film qui semble toutefois un peu pompeuse.
Au-dessus du Joker plane la psychose de la fusillade d’Aurora, en 2012, perpétrée par un homme déguisé en clown machiavélique. Aux États-Unis, la plupart des cinémas ont mis en place des mesures de sécurité exceptionnelles pour éviter un drame similaire. Et, tristement, elles donnent du peps à la crédibilité du Joker, caractérisée par une folie cinglante et sanguinaire. Un amalgame appuyé par une évacuation de salle en Californie due à un «individu suspect».
Se relance alors le débat d’un film au caractère trop violent que la Warner est obligée d’expliquer: « Ne vous méprenez pas : ni le personnage fictif qu’est le Joker, ni le film, ne sont une validation de la violence que l’on trouve dans le monde réel, quelle que soit sa forme, note le studio. Ce n’est pas l’intention du film, du réalisateur ou du studio de représenter ce personnage comme un héros. »
La folie d’un personnage
Mais les faits sont là, et se construit autour du film une sorte de légende urbaine excitante sur laquelle réalisateurs et studio surfent, volontairement ou non. Car la folie cinématographique du Joker est tout un mythe à manoeuvrer et déjà bien dense après la mort de Heath Ledger. En 2008, l’acteur est décédé après que son rôle du Joker dans The Dark Knight l’est supposément rendu fou. Là encore, un drame qui corrobore toute l’imagerie obscure et mystérieuse du personnage sur grand écran.
D’ailleurs, la Warner et l’acteur principal du film, Joaquin Phoenix, n’ont pas hésité à appuyer leur promotion sur ce côté « plongeon dans la folie ». Un mot que Phoenix a lui-même utilisé à plusieurs reprises dans ses interviews, notamment autour de sa perte de poids. « Il se trouve que ça affecte votre psychologie, confie-t-il. Vous commencez à devenir fou. » Plusieurs membres du casting ont également souligné les pétages de plomb du protagoniste sur le tournage. Lesquels, dans les mains du Joker, ont évidemment une signification particulière.
Complexe et casse-gueule comme défi cinématographique, le Joker a été un travail de fond et de forme. D’abord, Todd Philipps a dû s’assurer de la souplesse de DC Comics et de la Warner pour livrer une interprétation noire du personnage. Fidèle, violente : celle qu’il voulait. Ensuite, ne restait plus qu’à appuyer la performance de Joaquin Phoenix, déjà candidat pour l’Oscar du meilleur acteur, et laisser le film faire le reste.