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Eminem : l’histoire méconnue de ses cheveux blonds
La teinture blonde caractéristique de Slim Shady, alter-ego de Eminem, revêt une symbolique éclatante, mais également une histoire singulière.
Au bon milieu des années 2000, aux États-Unis, les parents devaient faire preuve d’un certain sang-froid pour refuser cordialement à leur gosse de ne pas se teindre les cheveux en blond. Cette coupe très courte, légèrement dégradée et recouverte d’une teinture jaune peroxydée. Pourtant, la mode était bien réelle : elle s’inspirait de l’artiste du moment, l’homme que tout le monde s’arrachait, le phénomène qui inspirait une nouvelle génération : Eminem. Ou plutôt, son alter-ego, Slim Shady. Mais derrière cette frange blonde se cache une histoire méconnue, un véritable facteur X. Comme d’autres légendes musicales avant lui – Michael Jackson et son gant à la main droite, Elvis Presley et son éblouissante « banane » – Eminem a réussi à construire son personnage autour d’une caractéristique qui a évidemment porté sa notoriété : sa couleur de cheveux. Parlons-en.
Nous sommes en 1996 et la discographie d’Eminem s’entame tout juste. En novembre, il dévoile Infinite, son premier album. On y retrouve les prémices de ce qui composera la force de l’artiste : une capacité palpable à raconter des histoires, et une écriture déjà soignée et incisive. Pourtant, l’album manque cruellement d’identité : trop lisse, en manque de reflet, il peine à convertir l’essai commercial. La même année et la suivante, il contribue à fonder le groupe D12. En son sein, Proof propose une idée qui va transformer la carrière d’Eminem : chacun des membres doit se constituer un alter-égo sous la forme d’un personnage fictif. Slim Shady est né (sur des toilettes, raconte même la légende). Ce personnage farfelu et fantasque va étendre la personnalité d’Eminem, lui permettre de s’extravertir au-delà de ce qu’il avait pu faire avec Infinite.
«Voilà ! On l’a, ton image !»
Alors, lorsqu’il parvient à glisser une cassette de son The Slim Shady EP à un intermédiaire de Jimmy Iovine lors des Rap Olympics de 1997, il accélère l’histoire de son personnage. Jimmy Iovine, PDG d’Interscope, sortira quelques temps plus tard la cassette lors d’une session d’écoutes avec Dr. Dre. «De toute ma carrière dans l’industrie musicale, je n’avais jamais trouvé quelqu’un à partir d’une démo ou d’un CD, précise ce dernier. Quand Jimmy a joué ça, j’ai dit : « Trouvez-le. Maintenant. »». Une fois le contact pris, et le contrat signé, ils se sont mis à travailler sur l’album The Slim Shady LP.
Mais il manque quelque chose. «Quand on enregistrait notre premier album ensemble, Dre m’a dit : « Le disque, on l’a, maintenant, il nous faut une image », se souvient Eminem dans son livre autobiographique The Way I Am. Mais je n’avais jamais vraiment réfléchi à ce à quoi ressemblait Slim Shady. Et puis un jour, j’étais défoncé à l’ecsta et je déambulais dans les rues avec Royce. On est entrés dans un magasin et on a acheté une bouteille de peroxyde. J’avais pris deux cachets d’ecstasy – j’étais complètement à l’ouest. Le lendemain matin, je me sus regardé dans le miroir et je ne me souvenais de rien. Je me suis réveillé à 2 heures de l’après-midi et j’étais genre : « Putain de merde ! ». Je ressemblais à un putois – je n’avais aucune idée de ce que je faisais avec ces produits chimiques.»
Pourtant, c’est avec cette allure hautement improbable qu’Eminem a rejoint Dre au studio. L’artiste de la West Coast y a vu une illumination. «Quand je suis arrivé au studio avec ces cheveux blonds et un tee-shirt blanc – je ne portais que ça à l’époque – Dre est resté bouché en me voyant, du style : « Ouaa », mais sans le dire, poursuit Eminem. Et puis, je me souviens qu’il a fait : « Voilà ! On l’a, ton image ! ». Jimmy Iovine est venu voir ce qui mettait Dre dans un tel état, et il a halluciné. « C’est ça, ton identité ! C’est le personnage qu’on cherche depuis le début ! »»
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Eminem : «Shady c’est uniquement des cheveux blonds et une bouteille de Vodka»
Le personnage de Slim Shady, représenté constamment avec cette teinture blonde et un haut blanc (tee-shirt ou débardeur), a conforté la popularité d’Eminem la première moitié de la décennie. Représenté dans ses clips, et élément à part entière de sa promotion, il a même eu droit à une performance en live explosive, en 2000 lors des MTV Music Awards, lorsque Eminem s’est entouré d’une armée de clones vêtus et teints en blond comme lui. Une interprétation mémorable, qui a évidemment contribué à faire du personnage de Slim Shady l’un des plus cultes des années 2000. L’artiste lui-même explique son succès en grosse partie grâce à son alter-ego dans le morceau « White America » : «Qui aurait pu imaginer que j’exploserais dans le rap, tout ça parce que je me suis teint les cheveux, et que je cherchais un t-shirt à me mettre ?».
Eminem a trimballé son fictif acolyte tout au long de ses premiers albums, avant de le faire disparaître entre 2007 et 2008. Avec Relapse, il revient brun, et il expliquera lors de la promotion de l’album qu’il assimile la teinture blonde à la drogue, alors qu’il est désormais sobre. Slim Shady au placard, Eminem apparaît sans teinture pour la première fois depuis Infinite, plus de dix ans plus tôt. D’ailleurs, dans le morceau « My Darling », il hurle à Dre : «Tu comprends pas, Shady c’est uniquement des cheveux blonds et une bouteille de Vodka, rien de plus !» Il reviendra toutefois en blond quatre ans plus tard, à l’occasion de The Marshall Mathers LP 2, un signe nostalgique et atypique, qui remémore l’identité de son double farfelu. La dernière apparition en date de Slim Shady blond remonte au documentaire The Defiant Ones dans lequel Eminem revient sur sa rencontre avec Dre. Un clin d’oeil symbolique, qui boucle la boucle. Depuis, on a perdu toute trace de Slim Shady.
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