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Laylow : l’étrange review d’un film auditif, déroutant et audacieux
Avec L’étrange histoire de Mr.Anderson, Laylow floute encore les barrières entre musique et cinéma, au profit d’un voyage déroutant, malgré ses imperfections.
C’est le genre de vieux grimoire enseveli sous la poussière qu’on aperçoit au milieu d’une bibliothèque branlante. Un cri de corbeau malfaisant se dégage une fois l’épaisse couverture ténébreuse ouverte et on plonge dans l’aventure de l’inquiétant Mr. Anderson. L’opus remonte jusqu’à la création de l’identité artistique de Laylow, à laquelle s’accroche Mr. Anderson, une enveloppe créative jusqu’alors enfouie. Le projet fixe un cadre autobiographique, dans le sud de la France, en 2012, tandis que Jérémy Larroux, vrai nom du rappeur, s’accroche maladroitement à ses rêves musicaux, en s’enfonçant dans une routine insalubre. Chahutée par sa mère qui l’héberge, sa motivation est rongée par des parties de FIFA et des mélanges d’alcool. Mr. Anderson va alors le heurter à un monde cauchemardesque pour renouveler son inspiration.
Laylow, metteur en scène et chef d’orchestre
Après Trinity, publié en février 2020, L’étrange histoire de Mr. Anderson signe une nouvelle prouesse de story-telling. Certainement conforté par le succès de son premier opus, alors qu’il émettait de sérieux doutes sur sa réception avant sa diffusion, Laylow a de nouveau livré un album-concept soigné et appliqué, avec un monde sculpté pour l’occasion. Le court-métrage déployé quelques semaines plus tôt, regorgeant de références cinématographiques, de Fast & Furious à Alice au pays des merveilles, a finalement cédé à un conte plus moderne, accompagnant le quotidien de l’artiste avec quelques bribes fantastiques. La ligne directrice se veut moins exigeante que son prédécesseur, entièrement digitale, et laisse le rappeur vadrouiller pleinement au milieu de sa créativité.
Le projet déroule une succession de séquences, capturant le quotidien de l’artiste ; les morceaux se fondent au sein du scénario et accueillent un large panel d’invités. Comme un chef d’orchestre, Laylow a usé des forces de ses divers instruments pour tonifier son programme, d’un Damso agressif pour une virée club à un Hamza délicieusement doux pour une balade nocturne. Les références de l’album servent également sa temporalité, de 50 Cent à Allen Iverson, qui ramènent une touche d’années 2000. Dans son rôle de préquel, l’album façonne le Laylow pré-digitalisé, celui des films de Tim Burton et des rêves californiens en voiture de luxe sur fond de N.W.A.. Un grand écart d’influences, qui dépeint le travail d’affinement du rappeur, qui a aussi mis son temps avant de se trouver artistiquement.
Deux éléments magnifient la mise en scène de Laylow : l’écriture et l’interprétation. Reprochable par instant dans Trinity, le travail d’écriture du Toulousain au sein de L’étrange histoire de Mr. Anderson a atteint un autre niveau. En plus de rivaliser avec certains gros kickeurs (ses couplets sur « R9R-LINE » et « STUNTMEN » sont brillants), Laylow a renforcé son approche mélancolique et sa capacité à transmettre des émotions. En témoigne l’envoûtant « HELP !! », où sa métaphore filée aborde parfaitement le délicat sujet des violences conjugales. Pour ce qui est de l’interprétation, « LOST FOREST » à lui-seul résulte l’immense travail produit en studio. Nerveux, oppressant et imagé, le morceau n’a même plus besoin d’être clippé tant la performance de son auteur dessine les détails des scènes.
Un film auditif déroutant
L’étrange histoire de Mr.Anderson se conclut sur une morale optimiste, invitant à la création et à croire en sa destinée. Le film auditif est aussi audacieux dans la dualité de ses personnages : présenté comme un antagoniste, Anderson est en fait une cruelle source de motivation. De la même manière, Jey laisse éclater à l’auditeur ses imperfections, notamment lors de la symphonie de coups à un inconnu qui traversent « VOIR LE MONDE BRÛLER ». Un morceau d’ailleurs narré par Mr. Anderson lui-même comme le suggère l’utilisation du « Tu », aussi perceptible dans la conclusion « UNE HISTOIRE ÉTRANGE ». Les deux entités s’entrechoquent au fil des morceaux mais finissent par trouver une lumière commune lors d’une conclusion qui apaise une histoire crue et calquée sur une froide réalité.
Un dénouement qui en dirait presque trop : Mr. Anderson expose les clés de compréhensions de l’album, qui laissent échapper l’interprétation personnelle qui pouvait en découler. Force primordiale de Trinity, l’histoire de ce nouvel album est plus désordonnée. La dualité entre Laylow et Mr. Anderson et l’univers fantastique qu’il s’en dégage est moins palpable. Là où les morceaux de Trinity étaient au service de son histoire, l’étrange histoire de Mr. Anderson semble au service de ses morceaux. En témoigne une cohérence parfois perturbée, à l’image de l’explosif « STUNTMEN » qu’on peine à associer à la narration. Globalement, cette succession de plusieurs tableaux accepte de diminuer l’immersion et l’harmonie au profit d’une plus large collection musicale. L’album est un bouillonnement d’une myriade de fresques cousues entre elles par des interludes qui occupent une grande partie de l’album.
Ce dernier point se révèle clivant, tant la narration grignote les morceaux, et se veut parfois étouffante. Force est de constater que l’équilibre d’un album-concept est sensible et que l’album perd aussi de l’aspect surprenant qui traversait Trinity. Mais plus qu’un album-concept, L’étrange histoire de Mr. Anderson se mue en véritable film auditif, avec ses qualités et ses défauts. D’abord, via une plongée inédite dans un monde qui rend la première écoute spectaculaire. Aussi, avec l’acceptation que certains titres perdront en force dès la deuxième écoute, à l’image de « VOIR LE MONDE BRÛLER » ou « LOST FOREST ». L’album est littéralement un long-métrage, qui déroute les habitudes de création et de consommation. N’en déplaise à la sacro-sainte replay-value.