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On a parlé sincérité, XXXTentacion et Victoires de la Musique avec Georgio
Georgio a sorti XX5 en octobre dernier. Son huitième projet en neuf ans. À 25 ans, la carrière du rappeur du 18e arrondissement est déjà bien avancée, avec une discographie fournie et variée. De celle-ci ressort un fil conducteur : la sincérité poussée à son paroxysme. On l’analyse et il nous raconte.
Une nuit blanche pour des idées noires. C’était le titre de la première mixtape de Georgio, disponible sur Youtube. Son nom résume à lui seul l’état d’esprit du MC : la négativité proche de la dépression, sentiment que l’on retrouve dans presque tous ses disques (bien que de moins en moins). L’écoute de ce premier projet – qui rassemble des morceaux enregistrés entre 2008 et 2011 – donne l’impression de lire le carnet intime d’une fin d’adolescence. Georgio y dresse le bilan de ces jeunes années, entre échec scolaire, déboires familiaux, précarité et échecs sentimentaux. « Je ne suis plus vraiment en adéquation avec ces textes-là, j’ai grandi, en termes de maturité, de pensée … », nous confie Georgio au détour d’un entretien nécessaire à la réalisation de ce portrait.
Le rappeur va loin dans les détails de sa scolarité dans Mon Vécu, et décrit son année en classe de sixième : « Je rentre en sport étude et dans le basket j’ai un peu de talent, mais je fous la merde en cours ouais j’ai l’insulte sur le bout de ma langue. », puis sa cinquième, et ainsi de suite. Les morceaux sont déjà dans l’ADN du Georgio d’aujourd’hui : du texte et du vécu narré.
Le projet est agréable à écouter, puisque ce sont des histoires que l’on écoute, une seule et grande histoire même, celle du jeune Georgio. « Ça me rappelle des moments de ma vie » se remémore-t-il. Son flow efficace et tranchant est déjà là. Il s’inscrit dans la lignée des kickeurs de l’Entourage du début des années 2010 qu’il côtoie. Georges de son vrai nom est néanmoins l’un de ceux à aller au plus loin dans la sincérité et la description de moments de vie, à l’instar de Guizmo.
Sa voix devient tranchante et acerbe quand il rappe, alors qu’en interview elle est douce, posée. Il semble d’ailleurs plutôt réservé dans les médias. On se demande alors comment assumer des propos si intimistes, notamment avec sa famille. « On n’en parle pas plus que ça. Je n’ai pas de retours directs. » Le rappeur pourrait se censurer, pas peur d’en dire trop sur lui. « Je ne calcule pas trop. J’écris ce que j’ai sur le cœur sur le moment, et je fais en sorte ensuite de mettre ça en forme dans un univers », assure t-il.
En totale transparence
« Depuis j’ai bien grandi entre ma petite femme et les 400 coups, si t’es pas fier de ce que je suis devenu, dans tous les cas je m’en fous. » Cette phrase que Georgio aurait pu prononcer dans XX5 est issue de sa première mixtape. Mon Prisme a suivi. Cet EP l’a fait connaître grâce au titre « Homme de l’ombre », samplant un classique du rap français (de Lunatic) et qui a tous les bons ingrédients en devenir un à son tour. Ses anciens morceaux, Georgio ne les écoute plus vraiment, « sauf quand [il n’a] plus d’inspiration. Mais c’est très rare, une fois tous les deux ans environ », nous précise l’artiste de 26 ans.
« J’ai fait un tas de choix, comme Brassens, dis leur Bazoo, c’est les potos d’abord. » Au-delà de la référence à deux excellents artistes, cette citation extraite de « Quand je prend le mic » illustre la mentalité de l’artiste. « Quand ma tête est en paix, mon cœur et mes couilles partent en guerre », poursuit-il plus loin, décrivant l’ambivalence de ses choix, et une certaine forme de paradoxe que l’on retrouve parfois chez Georgio que l’on le sent attiré par le rap et parfois la chanson. Les deux univers se rejoignent et se marient enfin dans XX5. Il détaille : « XXXTentacion m’a beaucoup inspiré pour mon dernier album. Grâce à lui, j’ai compris que l’on peut mettre sur le même projet des prods piano voix et d’autres biens plus violentes. »
Chaque pièce de sa discographie renferme une émotion. « Soleil d’Hiver », sorti en 2013, est mieux harmonisé que les deux projets qui le précède, grâce, entre autres, aux productions orchestrées par Hologram Lo’.
Nouvelle année, nouveau concept. Début 2014, Georgio dévoile « Nouveau souffle » dans lequel les auditeurs sont appelés à voter via un site pour l’instrumental du prochain son. Sept morceaux seront clipés, dont les featurings avec Nekfeu, Vald et Limsa.
L’inverse d’ « À l’abri », projet sorti en mai 2014. Le rappeur parisien croit alors en sa carrière et une sorte de déclic s’est opéré, comme il l’affirme dans le morceau éponyme du projet : « Je suis sur scène et ça me délivre, dites à mes parents qu’en ce moment, je suis heureux, ouais ça c’est dit. » Ses rêves se concrétisent : Georgio gagne sa vie grâce à sa passion, voire son exutoire.
C’est pourtant avec « Bleu Noir », en 2015, qu’il va décroche une reconnaissance plus importante encore. Il assume davantage sa volonté de faire des chansons, en assurant des refrains chantés, comme celui de «Rêveur». Le kickeur du 18e révèle alors une nouvelle qualité : il sait faire des hymnes.
En plus du morceau cité plus tôt, « Malik », « Appel à la révolte » ou « Héros » sont toutes trois des chansons calibrées pour la scène, surtout pour celle des festivals. Elles peuvent parler à beaucoup de gens, et Georgio met dans leur interprétation toute son énergie.
Pas dans l’ère du temps, pas non plus à contrecourant
« Depuis que les bobos m’écoutent, dans quel rap tu me catalogues ? » rappait-il dans un freestyle en 2012, désireux de ne pas classer sa musique dans une catégorie, pour ne pas se retrouver enfermer dans une case. « Je rappe pour des adultes jusqu’à des collégiens », résume-t-il dans « Soleil d’hiver ». Sa position vis-à-vis de son public est simple et sans équivoque : « Je me dis que je suis écouté par les personnes qui me comprennent. »
Ainsi, Héra (2016) porte une autre teinte. Le projet est davantage travaillé comme un disque de musique que de rap pur. Produit par Angelo Foley, musicien implanté dans la pop (avec Christine and the Queens, entre autres), Héra est encore tout aussi introspectif que ses grands frères, et rappelle les vieux démons de Georgio : « Je veux mes potes près de moi, ils savent que je suis ma bête noire. »
L’artiste a besoin de raconter des histoires dans Héra, raconter des destins, comme celui d’un jeune militaire volontaire dans « La vue du sang ». « C’est très fictif. Je m’inspire de films, d’anecdotes, de livres, de ma manière de voir la guerre, de mon imaginaire. Si je parle avec un mec qui a fait l’armée, ça va m’inspirer, exemplifie le MC du 18e. Je suis curieux, donc j’emmagasine plein d’infos, et je mets un peu de moi aussi, dans les personnages. Quand je parle des bars d’Orléans, c’est des endroits que j’ai fréquenté à une époque. »
L’adepte du story-telling rappe aussi le quotidien d’une prostituée dans « Svetlana et Maïakovski ». Pourquoi ce thème ? « J’ai grandi dans 18e donc j’ai vu la prostitution à Porte de la Chapelle, les bars à hôtesse à Pigalle. Les détails, eux, sont très liés à l’inspiration.»
Avec « Ça bouge pas », issu d’ « XX5 », le rappeur raconte la vie « de tous ces mecs de quartiers qui sont tombés dans une spirale », selon ses propres mots. Georgio continue à se raconter mais semble, dans « XX5 », avoir trouvé le juste milieu entre storytelling et anecdotes personnelles. La fiction est laissée de côté : « J’avais moins envie de ça. J’me suis longtemps demandé ce que j’avais envie de faire pour ce troisième album. En fait, j’ai voulu écrire de manière plus instinctive, sans me prendre la tête. »
Il réussit à faire des morceaux très ouverts comme « Monnaie », tube en puissance, ou « Miroir », où il prouve, une nouvelle fois, sa capacité à allier d’efficaces refrains chantés alliés à des couplets pleins de rimes sincères. La dépression est moins présente, « mais j’suis jamais au bout de mes peines », nuance-t-il dans « Dans mon élément », en feat. avec Isha.
Si son rap a évolué depuis ses débuts, son message n’a finalement que très peu changé. Georgio cherche encore à être lui-même, le plus possible : « On vit sous tension, et c’est tout le temps sombre, et je m’en fous dans le fond, je suis dans mon élément. »
Une certaine influence
Au compteur : 9 projets et très peu de mauvais morceaux. Tous dévoilent une facette d’un des rappeurs les productifs de cette décennie.
Son impact se fait déjà ressentir puisque Zamdane, jeune auteur de « 20’s », projet complet et prometteur sorti cette année, assurait chez Grünt s’être beaucoup inspiré de Georgio. Ce dernier assure ne pas se rendre compte de la trace qu’il a laissé, à son échelle : « Je suis la tête dans mes projets. »
XX5 est nommé aux Victoires de la musique, dans la naissante catégorie : album rap. Après Héra en 2017, un projet de Georgio a été de nouveau choisi pour concourir à cette cérémonie. Loin des polémiques qui accompagne chaque année la grande messe musicale, l’artiste nous avoue : « Ça veut dire que les professionnels apprécient ma musique, ça fait plaisir. Ces nominations me permettent de gagner en notoriété. »