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La folle histoire de l’auto-tune, le joujou le plus controversé du rap game

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Asseyons-nous et parlons calmement de l’autotune, car il y a beaucoup de choses à dire. 

Par où commencer ? Peut-être avec une métaphore. Si l’auto-tune était film, il serait Star Wars VII. Certains vous diront qu’il s’agit de l’un des plus grands films de la saga, d’autres critiqueront sévèrement ce septième épisode, regrettant qu’il salisse une saga emblématique. Une sorte de débat générationel entre deux visions opposées. L’auto-tune, c’est ça. Une frontière amincie entre le rap brut et la variété pure qui ouvre la voie à des sonorités plus expérimentales, des mélodies créatives et des couplets chantonnés. Certains ne l’acceptent pas, le condamnent. D’autres ne peuvent définitivement plus s’en passer. L’auto-tune : un débat clivant et interminable qui fracture le rap depuis des années. Un joujou accueilli bras ouverts par un hip-hop en pleine démocratisation, réfuté sévèrement par de valeureux fidèles de la première heure qui refusent que l’on bafoue les codes du rap originel. Et au milieu de ça, un rap qui n’a jamais semblé si bien se tenir. C’est vous dire…

Pour la petite histoire

Nous sommes en 1996, Andy Hildebrand, un ingénieur américain en électricité spécialisé dans les prédictions sismiques pour l’entreprise Exxon, va créer sa propre entreprise, Landmark Graphics Corporation. Dans celle-ci, il mettra au point une technique basée sur l’autocorrélation qui va envoyer des ondes acoustiques dans les sous-sols pour appréhender si une exploitation pétrolifère est possible. Les termes sont plutôt compliqués, mais une chose est à retenir : « Docteur Andy » est talentueux et, après avoir brillamment mis au point son système et s’être mis assez d’argents de côté pour le futur, il prend sa retraite et s’inscrit dans une école de musique.

Andy Hildebrand, posant fièrement avec son invention.

Mais même dans ce nouveau domaine artistique, il ne parvient pas à délaissé ses antécédents scientifiques. C’est d’ailleurs au cours d’un repas avec des amis que l’une d’entre elle va lui proposer un défi aussi étrange qu’avant-gardiste. « Un jour, je mangeais avec des amis et une femme m’a demandé de lui fabriquer une boite qui lui permettrait de chanter juste. Ça a fait rire tout le monde car nous savions qu’un tel système ne pouvait pas exister » raconte-t-il sobrement. Et Andy a un déclic : avec toutes les manipulations qu’il a utilisé pour la sismologie, il pourrait sans trop de difficulté faire basculer ses algorithmes dans le monde de la musique. Sous sa nouvelle entreprise Antares Audio Technologies, il crée l’Auto-Tune. 

« Auto-Tune a changé la manière dont fonctionnent les studios d’enregistrement car la justesse des voix a toujours été un problème. Avant, un studio faisait chanter la même phrase au chanteur encore et encore, jusqu’à ce qu’elle soit juste. Ça prenait beaucoup de temps et ça nécessitait énormément de prises. Avec Auto-Tune, le chanteur chante sa chanson une fois et il rentre chez lui. Le producteur règle ensuite les problèmes de justesse lui-même, ce qui lui fait gagner beaucoup de temps, et donc beaucoup d’argent. Aujourd’hui, tous les grands studios utilisent Auto-Tune : ça leur permet de rester compétitifs. »

Peu à peu, l’invention d’Hildebrand prend une nouvelle forme. À l’origine, il ne s’agit que d’utiliser l’auto-tune pour corriger la voix d’un chanteur, régler la justesse. Mais les ingénieurs du son ont vite compris qu’en bidouillant les réglages à l’extrême on parvient à donner à la voix un aspect particulier, indescriptible, entre la robotique et le métallique. Cette seconde utilisation, la plus populaire, n’est toutefois pas la plus utilisée, puisqu’une grande majorité des ingénieurs du son utilisent l’auto-tune pour gérer la justesse.

Dans les mains du rap

Aux Etats-Unis, deux noms reviennent régulièrement lorsque l’on évoque l’auto-tune : la chanteuse Cher et le rappeur T-Pain. C’est néanmoins le second qui va nous intéresser en particulier. Dans le monde du rap, T-Pain est la figure emblématique de l’utilisation de l’auto-tune, celui qui l’a popularisé avec brio. À tel point que le rappeur a parfois été très hostile envers ceux qui reprenaient avec plus ou moins de réussite sa recette à succès. Très vite, il a compris que le phénomène l’avait complètement dépassé et qu’il était incapable de le maîtriser pour lui seul. Aujourd’hui, le rap américain aspire pour une très grande partie à l’auto-tune et T-Pain n’en est qu’un infime acteur. D’autres figures de proue vont permettre la démocratisation de l’outil. Snoop Dogg dans son opus Sexual Eruption, Lil Wayne ou encore Kanye West dans son très contrastée 808s and Heartbreak.

À la fin des années 2000, l’auto-tune devient incontournable de l’autre côté de l’Atlantique. Son importation en France est néanmoins plus délicate. À cette époque, le rap français affiche un retard conséquent, en termes de production, de style et de créativité, sur ce qu’il se fait aux Etats-Unis. Dans une interview récente, le groupe TTC se vantait d’avoir utilisé le procédé pour la toute première fois dans l’Hexagone. La culture populaire retiendra néanmoins celle d’un rappeur français de Miami, brillamment inspiré par ce qu’il se fait aux USA. Avec 0.9, Booba dévoile un album avant-gardiste qui se révèle être finalement le plus critiqué de sa carrière. Sur de nombreux morceaux ils s’envolent dans des parties mélodieuses et osent des refrains sous couvert d’une voix quasi métallique. Il se heurte à de lourdes critiques aux sorties d’un Ouest Side qui, trois ans plus tôt, le plaçait au sommet du rap français. 0.9 trouve néanmoins son public mais perd aussi des fidèles du rappeur qui lui reprochent de tourner sèchement sa veste vers un rap plus pop. C’est le début d’une fracture interminable.

L’auto-tune ne débarque pas dans le hip-hop de nul part, elle corrèle même étroitement avec une volonté d’expansion. Toujours aux Etats-Unis au milieu des années 2000 les rappeurs s’imposent comme les nouvelles têtes d’affiche d’une génération. Mais peu passent finalement en radio, et les rares artistes qui y trouvent leur place n’y parviennent qu’en s’associant avec des figures de la variété. En France, le schéma est d’ailleurs plus ou moins respecté. Rohff et Kayliah, La Fouine et Amel Bent, etc. Mais peu à peu, les rappeurs se décomplexent et s’osent à de nouveaux horizons. Booba regrettera d’ailleurs quelques années plus tard de ne pas avoir chanté sur le refrain de « Au bout des rêves ».

Fracture générationnelle

«Depuis 0.9, ils critiquaient mais ont tous saigné l’autotune » narre Booba dans son dernier album Trône, sous couvert d’auto-tune. Et la punchline est vraiment intelligente. Le public de Booba est d’ailleurs, à l’image du public de rap français, plus ou moins séparé entre deux catégories de fans et ce, selon l’avant et l’après 0.9. L’artiste du 92i s’était d’ailleurs fait copieusement critiqué pour plusieurs tentatives, dont l’une en particulier sur une instrumentale de Rihanna qui avait été dislikée de manière très prononcée. L’ironie du sort, c’est qu’aujourd’hui le freestyle connaît un certain succès parce qu’il s’emboîte étonnamment dans ce qu’il se fait actuellement. La nouvelle génération suit d’ailleurs le mouvement imposé par Booba et d’autres positionnent l’auto-tune au centre de leur musique. Si l’on demande à la plupart des artistes actuels de choisir entre l’auto-tune ou non, ils choisiront la première possibilité.  Ce qui ne leur empêche pas de s’appliquer à un rap brut, pur, mais qui leur ouvre plutôt de nouvelles possibilités.

Mais au-delà de la création artistique, l’auto-tune est désormais refusé par une large partie du public hip-hop. Son utilisation a changé, de simple technique expérimentale, c’est désormais une sorte de mode robotique qui s’accroît d’année en année. Au-delà de T-Pain qui utilise l’outil sur la totalité des morceaux, d’autres l’ornent simplement sur leurs refrains. Boycotté par certains, adulés par d’autres, c’est désormais toute une sphère qui se livre une bataille interminable. Et ce, à cause d’un mec qui souhaitait prédire d’éventuelles secousses sismiques. Comme quoi.

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