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Peut-on considérer Kendrick Lamar comme l’un des plus grands rappeurs de l’histoire ?
Auteur d’une discographie pour le moment irréprochable, le débat public ne semble pourtant pas considérer le rappeur de Compton comme l’un des dieux du rap. Kendrick a cependant de sacrés arguments.
En 2011, Kendrick Lamar sort son premier véritable album en indépendant, Section 80. C’est durant cette année que sa légende commence véritablement à s’écrire. Après la sortie de son opus, les plus grands artistes lui font les yeux doux. The Game et Snoop Dogg gratifient même K-Dot du titre honorifique du « nouveau roi de la West Coast« . Début 2012, il signe avec le très grand Dr Dre sur Aftermath. Depuis, Kendrick est le véritable patron de l’industrie musicale, et aucun rappeur ne semble aujourd’hui pouvoir contester sa domination.
Un artiste complet
Pour être considéré comme une légende, il faut savoir -presque- tout faire et avoir de multiples compétences. Kendrick l’a bien compris. Et pour cela, il n’y a pas 36 000 solutions. Il faut étudier. Selon ses propres mots, il a minutieusement appris les meilleures aptitudes de ses idoles : le flow si charismatique de Jay Z, la technique d’Eminem, les qualités de conteur de Nas et la passion de Tupac. On peut également ajouter le sens artistique d’Andre 3000. Ainsi, Kendrick est capable de se moduler selon ses envies et de s’adapter à n’importe quelle sonorité et ambiance. Il peut être un pur kickeur « DNA« , raconter des histoires « Sing About Me, I’m Dying of Thirst« , être engagé « HiiiPower« , ou être plus posé et musical « Bitch Don’t Kill My Vibe« . K-Dot est de plus très adroit lorsqu’il s’agit de jongler entre différents genres musicaux. Rap, soul, jazz, rock ou encore pop, rien ne résiste au talentueux rappeur.
L’impact de Kendrick n’est également pas à négliger. Tout d’abord celui auprès de sa communauté, lorsqu’il évoque les nombreux problèmes des Afro-Américains, ou lorsqu’il appelle à l’unité et à l’espoir. Sa chanson « Alright » a d’ailleurs été reprise en juillet 2015 pendant une manifestation en marge du mouvement « Black Lives Matter », créé pour lutter contre les violences policières. Vient ensuite son impact envers ses pairs. Kendrick est aujourd’hui l’un des artistes les plus adulés, convoités et respectés, que ce soit auprès des rappeurs ou des pop stars. Quant à sa puissance commerciale, elle ne fait que grandir au fil des albums.
Des projets proches de la perfection
Autre argument de poids pour Kendrick : sa discographie. Si elle ne comporte « que » quatre véritable albums, les critiques et les fans s’accordent pour dire que tous les projets respectifs sont d’une qualité irréprochable et demeurent désormais comme des références. A noter que K-Dot prend soin d’élaborer des concepts pour chacun d’eux.
Le premier, Section.80 (2011) revient sur plusieurs thèmes épineux, tels que le racisme, l’épidémie de crack dans les années 80, ou encore la souffrance de la communauté Afro-Américaine à cause de la politique drastique de Ronald Reagan. Des sujets abordés à travers la vie de deux personnages : Keisha et Tammy. La première semaine, l’album s’est vendu à seulement 5300 copies. Mais les chiffres en 2018 sont beaucoup plus flamboyants. En effet, plus de 500 000 exemplaires se sont écoulés à ce jour, preuve qu’un véritable engouement s’est créé au fil du temps autour de l’opus et de l’artiste.
Le second, good kid, m.A.A.d city (2012) est pour beaucoup LE chef-d’oeuvre du rappeur. Cette fois, nous suivons l’histoire de Kendrick âgé de 17 ans, qui à l’aide du mini-van de sa mère, traîne dans les rues de Compton. Avec ce projet, l’artiste aborde en profondeur les problèmes du ghetto. Il revient sur les choses futiles qui font penser aux jeunes que l’argent et le pouvoir sont les buts à atteindre, ce qui entraîne logiquement violence, vandalisme et meurtre. Cet album sera même comparé à un film pour sa qualité narrative exceptionnelle.
Le troisième, To Pimp a Butterfly (2015) est tout aussi marquant et n’a rien à envier à son prédécesseur. Durant cet opus, nous suivons les états d’âme de Kendrick, torturé par sa célébrité. Les titres présentent d’abord un artiste presque arrogant, qui en veut toujours plus, qui se rend finalement compte que rien de tout cela n’apporte le bonheur. On plonge alors dans la partie sombre de l’album, qui aborde la dépression de l’homme. Ce dernier se ressaisit pourtant et vient assumer son statut de porte-parole auprès des Afro-Américains.
Le quatrième et dernier en date, DAMN (2017) vient quant à lui affirmer le statut de leader de Kendrick. C’est en effet son album le plus vendu en première semaine (603 000 exemplaires écoulés), et celui qui donnera au rappeur son premier numéro un au top single avec « HUMBLE ». Le concept : une allégorie de l’Amérique, à travers laquelle Kendrick en profite pour aborder deux thèmes principaux. « The wickedness » (l’immoralité, les comportements mauvais) et « The Weakness » (la faiblesse). Le rappeur jongle entre ces lignes directrices un morceau sur deux. A noter qu’une version collector de l’album est sortie où la tracklist est totalement inversée. On écoute donc le projet à l’envers sans que le sens n’en soit entaché.
Kendrick a ainsi livré en cinq ans quatre projets totalement dissemblables mais maîtrisés de bout en bout. En alternant différents concepts et des ambiances variées, l’artiste s’est fait une place de choix dans les plus grandes figures musicales d’aujourd’hui.
Kendrick Lamar, l’un des plus grands rappeurs de l’histoire ?
Le classement des meilleurs rappeurs provoque d’innombrables débats interminables. S’il est bien sûr subjectif, cinq ou six noms légendaires reviennent majoritairement : 2Pac, The Notorious B.I.G., Nas, Jay Z, Eminem voir Andre 3000. Mais pourquoi Kendrick est-il encore boudé ? 2Pac ne possédait pas une discographie aussi qualitative que son héritier, quand Biggie n’a eu le temps de sortir que deux albums. Les décès tragiques de ces derniers ont à coup sûr joué un rôle. L’inconscient humain a toujours tendance à aimer davantage ce qu’il ne peut plus jamais avoir. Nas, Jay Z et Eminem ont eux alterné le très bon et le mauvais, mais leur impact est indéniable pour des raisons différentes. Le cas d’Andre 3000 lui est un peu à part, puisque ce dernier n’a jamais publié d’album solo, même s’il compte six opus avec Big Boi en tant que Outkast.
Ainsi, parmi tous ces noms, Kendrick Lamar peut (pour l’instant) se vanter de posséder la discographie la plus irréprochable. Sortir quatre albums aussi excellents de manière consécutive relève du domaine de l’exploit et du génie. Mais son catalogue reste cependant jeune et le faux pas n’est pas impossible dans le futur. Certains diront de plus que, bien que très complet et très talentueux, Kendrick n’arrive pas au niveau de ses idoles sur certains points. Est-il aussi bon que Nas lorsqu’il s’agit de raconter des histoires ? Est-il aussi fort qu’Eminem lorsqu’il s’agit de rimer ? Possède-t-il le même aura que 2pac ? A-t-il le même sens du hit que Jay Z ?
Au final, Kendrick Lamar peut être vu de deux façons différentes et opposées : celle d’un excellent artiste mais « un peu tout le monde » qui ne pourra jamais aller aussi haut que ses idoles, ou celle d’un artiste caméléon qui a su s’imprégner de toutes les qualités de ses modèles pour réinventer le rap à sa manière. A vous de choisir votre camp.