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La constellation de Gros Mo
Gros Mo expliquait l’année dernière à StreetPress dans un documentaire sur les backeurs qu’il était plus que le simple accompagnateur de Nemir sur scène. Impossible de ne le résumer qu’à ça. L’artiste a son propre univers et avec deux projets sortis en 2014 et 2016, il a réussi à sortir de l’ombre du MC à la voix éraillée. Avec l’album Les étoiles, il devrait maintenant être en pleine lumière.
Le Perpignanais installe autour de lui une atmosphère, portée par une aura charismatique. Il maintient une continuité musicale dans chacun de ses projets, homogènes sans être ennuyants. Mêmes entres eux, les différents EP de Gros Mo se suivent sans rupture, il n’y a pas de différences criantes de niveau entre son premier projet Fils de pute, sorti en 2014, et Les étoiles. Gros Mo avait trouvé son univers et était déjà prêt il y a quatre ans.
Les productions comptent pour beaucoup chez lui, presque toutes assurées par En’zoo. Le beatmaker, décrit comme un ermite, collabore aussi avec Nemir et semble être un véritable directeur artistique. Gros Mo a d’ailleurs expliqué sur Instagram qu’une grande partie du mérite revenait à son producteur et que tous ses projets étaient en fait communs avec En’zoo et Nemir.
Des problèmes en chansons
Les choix de Gros Mo sont réfléchis, sans trop de tergiversation non plus, ce qui a pu être un handicap pour son acolyte sudiste. La musique semble être « Sans pression » pour lui, comme le titre d’un des morceaux de son album. Le rappeur transporte l’auditeur dans une atmosphère, à la fois vaporeuse et dansante, totalement adaptée à la ride. Les thèmes abordés, les paroles, sont sombres. Gros Mo narre son quotidien fait de galère : « On est à peine le 6 du mois gros j’ai déjà niqué tout mon salaire », avouait dit-il dans « #DIEZAPART ». Ce morceau, ainsi que son clip, sont d’ailleurs bien représentatifs de ce qu’est la musique de Gros Mo. Les phases sont terre à terre, parfois fatalistes, posées avec un flow chantant, s’apparentant parfois à une plainte. Les prods sont toutefois entraînantes et rythmées, d’autant plus sur son nouvel album. Difficile de ne pas bouger, de ne pas s’ambiancer sur cet opus.
Avec Les étoiles, Gros Mo ne se détache pas de son univers, et l’explore encore. Il s’essaye à des formules plus efficaces, avec plus de chant. Il maîtrise d’ailleurs ce domaine à merveille. L’autotune est maniée avec justesse pour produire des sons mélodiques et envoutants. L’ancien barbu paraît plus vrai que jamais quand il travaille sur sa voix, donnant tort à tous les adeptes du « L’autotune c’est nul parce que c’est de la triche ».
Des thèmes récurrents apparaissent chez lui. Le rappeur parle de sa jeunesse, de son quotidien, fait de parties de PS4, de glandes « devant TPMP », mais également de relations amoureuses. « Elle m’a envoûté, m’a jeté un sort ». Gros Mo mêle son aptitude a décrire une histoire sentimentale, faites de conflit, et son attrait pour ce qui est obscur et démoniaque. Des titres comme « #MAGIE NOIRE » ou « #BOULEHYA » sur l’ancien projet démontrent bien cette facette sombre du MC. Il l’avait d’ailleurs mis en scène dans le clip de « #FOKTULEKEN », en 2016. Filmé avec la technique de la caméra au poing, on y voyait un homme déguisé en clown se livrer à des scènes gores. Ses clips sont aujourd’hui plus esthétiques et on ressent que Gros Mo ne prend pas à la légère la dimension visuelle de sa musique.
Un sans-faute sur la tracklist
Comme de nombreux rappeurs de sa génération, Gros Mo a commencé par le kickage pur et dur pour ensuite s’en éloigner et se rapprocher du chant, suivant l’évolution du rap. Il garde néanmoins avec lui ce bagage technique et ses placements précis qu’il affichait en 2012 sur le morceau « Enfoiré », ce qui donne à l’album beaucoup plus d’épaisseur et de variations. « À l’époque » illustre bien la puissance de Gros Mo, s’adaptant aux changements de rythme de l’instru à merveille. Le morceau, dans lequel il revient sur sa jeunesse, commence en rap pur, avec des références imparables : « Je découvre Lunatic, je découvre la bédave ». Il réalise ensuite une sorte de refrain chanté ponctué de ses adlibs ultra efficaces, pour ensuite faire un deuxième couplet entre chant et rap.
Il n’y a pas vraiment de schéma type dans un morceau de Gros Mo, on le sent totalement libre, laissant voguer sa voix au gré de la prod d’orfèvre d’En’zoo. Gros Mo est un de ceux maîtrisant le mieux la musique planante. Ponctuée d’adlibs ultra-efficaces, de « han » ou de « ouais », sa musique peut faire penser à celle de Triple Go, dans sa dimension mélancolique et mélodique.
Nemir, qui a sorti le très bon « Hors-série » en avril, a collaboré deux fois sur l’album, dans deux registres différents. « LVEB » est fait de sonorités rappelant Stromae, avec comme thème la peur de l’échec, mais rien à voir avec le morceau d’Orelsan. L’autre morceau est moins entraînant mais tout aussi réussi, abordant l’éventualité de la disparition de leur mère, d’où le titre, « Yemma ».
Technique maléfique pour créer des tubes
L’album regorge de pépites, comme le titre « Désolé », sorti pour l’été, qui détient une capacité tubesque. Le titre s’adresse à une de ses ex-conquêtes, à qui il explique qu’il ne peut rien contre ses mauvais côtés, comme la weed. Il essaye de les combattre, ce qu’il expliquait déjà dans « #DESQ » : « Cette fois-ci mes défauts vont pas changer la donne, je suis prêt à tout faire (…) pour qu’elle m’adore ». Un projet plus tard, ça ne semblait pas avoir fonctionné : « J’ai tout détruit comme un imbécile ».
Les doutes et les problèmes de Gros Mo ne sont jamais très loin. « Je suis dans un délire de crise d’angoisse ». Dans le morceau éponyme « Les étoiles », il lance des « Dis-moi qui je suis ? ». L’artiste aux multiples facettes, affirme qu’il a « du dégoût et du désir » pour la musique. C’est celle-ci qui la pousse à fumer et à boire, des rituels inscrits dans son processus de création, puisqu’il explique dans « Vriller » qu’il a peur de ne pas trouver l’inspiration. Il avouait dans l’émission La Sauce en 2016 qu’il ne pouvait pas écouter de rap sans fumer, donc encore moins en faire.
Dans le deuxième morceau de son projet, Gros Mo répète que « Ça va le faire ou ça le fait ». Si Les étoiles a pu être quelque peu éclipsé par la sortie le même jour de Koba LaD ou Sadek, il fonctionnera sur le long terme, c’est une certitude. Dans l’EP Fils de pute, le rappeur du 66 s’exhortait à rapper « Fais-le, fais-le vraiment ». Alors suit l’incantation de Gros Mo et fais-le, va écouter Les étoiles.