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Musique

L’histoire du premier clash de Booba dans “La lettre” de Lunatic

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booba lunatic

Le 18 août 1998, Booba entre en prison. Incarcéré, il en profite pour écrire le chef d’œuvre « La lettre », sorti en 2000 sur Mauvais Oeil de Lunatic. Un son marquant du projet, où la punchline «Putain quelle rime de bâtard» a une résonance particulière. 

Il est considéré, aujourd’hui, comme l’un des plus grands albums du rap français. Mauvais Oeil, sorti en septembre 2000 est de ces opus intemporels. Si le projet est aussi important dans l’histoire du rap, c’est évidemment grâce à son lot fourni de classiques, parmi lesquels « La lettre ». Ali et Booba s’y échangent des courriers, pendant que ce dernier purge sa peine en prison. Un morceau poignant, dans lequel le Duc témoigne de sa frustration de l’incarcération, alors que le groupe commençait gagne en notoriété. Il y lâche l’une de ses plus célèbres punchlines : «Je suis tombé si bas que pour en parler faudrait que je me fasse mal au dos. Putain quelle rime de bâtard !» Reprises de très nombreuses fois dans le rap français – Guizmo, Youssoupha, Disiz -, la rime renferme surtout une histoire bien particulière, qui prend la forme du premier clash de l’histoire de Booba.

Nouvelle contre ancienne école

Nous sommes donc à l’aube des années 2000. Et à l’époque, un autre MC plaît par sa plume précise depuis un paquet d’années : Fabe. Partisan d’un rap à texte, Fabe prône une musique qui s’ancre dans le réel. Véhiculant des textes honnêtes et engagés, l’artiste n’est pas très proche du duo de Boulogne-Billancourt. Régulièrement, il multiplie les piques à certains confrères, prenant position contre le style « gangster » promu par Lunatic. Lorsque Booba est condamné pour le braquage d’un taxi, Fabe rappe : «Des Mc’s Qui s’font la guerre sur des maxis parlent d’avoir du cash, n’ont pas assez pour prendre un taxi…». Plutôt explicite. «T’avais le bon et le méchant quelque part, se souvient Mehdi Maïzi pour RedBull. Fabe était le rappeur respecté, avec une grosse carrière derrière lui, et qui était « »du bon côté » dans le sens où il faisait du rap conscient. Et Booba de l’autre, qui incarnait la nouvelle génération, sans foi ni loi, qui parle d’argent et de meufs.»

Une dualité que l’on retrouve également à l’international, et évidemment aux États-Unis, où l’identité de la « Nouvelle école » venait supplanter une ancienne qui la voyait clairement d’un mauvais oeil. Sans mauvais jeu de mot. Menant cet engagement contre le style gangsta du rap de l’époque, Fabe marque clairement cette brutale fracture. En 1997, dans le morceau « Des Durs, des Boss… des Dombis ! », Fabe dénonce ces rappeurs (ndlr: il s’est déjà attaqué aussi à NTM ou Stomy Bugsy) qui, selon lui, s’inventeraient un style de vie. Sans citer de noms particuliers, il témoigne du manque d’intérêt des mensonges du rap dans une punchline frappante : «C’est tellement bas que pour en parler faudrait que je me fasse mal au dos». 

Mais Fabe est tombé sur un adversaire coriace, et certainement que sa ligne a résonné tout particulièrement dans la tête de Booba. Trois ans plus tard, dans « La lettre », ce dernier reprend la punchline de Fabe, à laquelle il vient compléter : «Putain quelle rime de bâtard !». Dans son interprétation, la reprise est subtile, puisque le Duc va jusqu’à calquer la manière de poser de son confrère : il marque un temps, puis balance sèchement son expression lorsque le beat redémarre. Efficace, et culte.

Booba : «On n’est pas des imposteurs»

Si la référence à Fabe est évidente, l’interprétation est multiple. Et à l’époque, les commentaires varient entre le clash et l’hommage. On pourrait penser que Booba critique la punchline de Fabe en la qualifiant de «rime de bâtard», dans le sens où il la trouverait médiocre. Ou alors, qu’il pourrait reconnaître la force de la punchline de son aîné, avec une brève pique, taquine. Koma, fondateur de la Scred Connexion avec Fabe, était plutôt partisan de cette version, expliquait-il aux Inrocks. «Je pense que c’est à la fois une attaque et un hommage, note-t-il. Booba savait que Fabe est un excellent auteur et qu’il lui avait fait mal. Leur clash était réglo, deux visions du rap se confrontaient. Ni l’un, ni l’autre n’étaient passés dans des insultes personnelles. Tout se jouait en finesse».

Pour autant, la punchline de Booba était en fait bien plus frontale. Et il l’a avoué lui-même. «C’était une attaque, car à l’époque, il disait qu’avec Lunatic on parlait de flingues pour se la raconter et qu’on se prenait pour des mecs de New York. Il faisait le relou, genre rap conscient. Mais viens, on va te n*quer ta mère, tu vas voir si on rigole !», explose-t-il pour Les Inrocks, en 2015. «C’était l’époque Lunatic contre le rap conscient, poursuivait-t-il quelques années plus tôt pour L’Abcdr du Son. Le rap conscient qui casse le cerveau où les mecs critiquent le fait que tu parles de rue et d’armes.» 

Booba explique qu’à l’époque, ils étaient vivement tancés, car il parlait trop de violence, sans être considérés comme «de vrais gangsters». «Moi le rap conscient comme ça il me casse les couilles. Tu veux faire du rap conscient vas-y mais arrête de parler. Si on parle de rue, c’est qu’on sait de quoi on parle. On n’est pas des imposteurs.» Même si, pour Les Inrocks, il reconnaissait évidemment du fantasme : «Évidemment, il y avait du fantasme dans nos textes et on extrapolait beaucoup de choses. C’est un truc que je faisais dès mes premiers textes d’ailleurs. Tout le monde extrapole dans le rap.»

Ainsi, ce « clash », ou plutôt ces piques interposées entre Fabe et Booba, ont marqué le glissement d’une génération au sein du hip-hop français. Surtout lorsque l’on constate qu’elles ont été dispersées au sein de deux des plus gros classiques du rap français : « La lettre » et « Des Durs, des Boss… des Dombis ! ». À réécouter sans aucune modération. Et joyeux anniversaire à « La lettre », par ailleurs.

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