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L'indéfinissable Disiz La Peste L'indéfinissable Disiz La Peste

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L’indéfinissable Disiz La Peste

Crédit photo : Denys Malik

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Près de vingt ans de carrière. Peu de rappeurs français encore en activité peuvent se vanter d’une telle longévité. C’est le cas de Disiz la Peste, ou parfois Disiz, et même Disiz Peter Punk. Serigne M’baye de son vrai nom, s’apprête à sortir vendredi son 12e album solo. On cite souvent Booba comme LE rappeur ayant traversé sans encombre les époques, mais Disiz, lui aussi, peut prétendre au même titre.

Il est légitime de placer Disiz dans la liste des rappeurs importants qui ont compté dans l’histoire du rap français. Lui qui a accompagné son évolution, dès 2000 avec l’album Le Poisson rouge, jusqu’à Pacifique, sorti l’an passé. Dans sa musique, les sonorités ont changé, les flows ont évolué, à l’image du rap français. Ses propos, son discours, sont restés sensiblement les mêmes, ils ont juste mûri. L’artiste a accompagné des générations d’auditeurs autant que de rappeurs, comme pour 1995 qu’il soutenait en studio à leurs débuts (sur les titres « Validé » et « Gagne Pain »). Parfois, son aide est indirecte, car son univers inspire des rappeurs plus contemporains. Damso, l’une des têtes d’affiche du rap francophone actuel, affirmait dans l’émission La Sauce que le morceau « Le Rituel » de Disiz La Peste l’avait beaucoup inspiré, comme l’artiste dans son ensemble.

Crédit photo : JD Bey

Du rock à la musique africaine

Plus qu’un pilier du rap francophone, le rappeur d’Evry peut être considéré comme l’un de ses précurseurs. Même s’il n’est pas le tout premier à l’avoir fait, il a glissé, tout au long de sa carrière, des sonorités africaines, bien avant que ces dernières soient démocratisées par MHD et son afro-trap. Dès 2004, Disiz rend hommage à son pays d’origine, le Sénégal, avec « Itinéraire d’un enfant bronzé », composé de nombreux samples de musiques africaines. Une véritable ode au pays. Ce « pas de côté », cette distance avec le rap, il semblait en éprouver le besoin. Dans l’album qui a suivi, il affirmait : « Écoute mon album du bled, tu verras qui je suis ».

Puis Disiz a mis en suspend sa carrière le temps d’un disque rock, Dans le ventre du crocodile, sorti en 2010, sous un nouveau nom de scène raccord avec son nouveau style musical : Disiz Peter Punk. Certains des morceaux présents sur l’opus auraient pu être sortis sous le nom de Disiz, le rappeur, sans que l’auditeur ne se sente floué. Cependant, à cette époque, les genres musicaux étaient plus définis, catégorisés. Aujourd’hui, les frontières entre rap et rock sont poreuses et tendent à l’être encore plus. Les rappeurs actuels posent des flows sur des sons de guitare quand d’autres adoptent l’imagerie et l’attitude de rockeurs.

Disiz sait faire beaucoup de choses, des sons d’ambiance, des titres « photographies » du monde qui l’entoure, et des textes introspectifs dans lesquels il nous révèle intimement ses nombreuses névroses. Celles-ci semblent d’ailleurs l’avoir suivi durant toute de sa carrière. C’est presque logique quand on sait qu’il a, à l’origine, choisi de s’appeler Disiz pour « disease », qui signifie maladie, en anglais.

Crédit photo : Denys Malik

Un artiste généreux avec son public

La propension de Disiz à changer de style est un atout autant qu’une difficulté pour l’artiste qui peut être perçu comme « trop consensuel » , comme l’écrivait dès son premier album nos confrères de L’Abcdr du son. Il est en effet parfois compliqué de déceler une cohérence dans ses projets, raison pour laquelle il tente de les lier entre eux, avec notamment la trilogie Lucide. « Mes enchaînements sont nazes mais mes choix sont bons, je capte les bonnes vibes, je mets les bonnes chansons ». Avec cette phrase issue du très (très) bon featuring « Chaque week-end » avec Aelpéacha – bien qu’il parle là de ses compétences de DJ en réalité – Disiz résume bien son point faible.

L’autre qualité qui peut parfois le desservir : Disiz fournit beaucoup de musiques, à chaque album. Aucun de ses opus ne contient moins de 14 morceaux, hormis Lucide, ovni comptable de la discographie du rappeur avec sept titres, et s’apparentant plutôt à un EP. La longueur de ses disques leur confère un caractère hétérogène, avec des moments fatalement moins forts que d’autres. Les albums longs sont cependant aujourd’hui des stratégies, avec des artistes qui proposent des sortes de playlists comme Kanye West avec Life of Pablo ou des projets quasi-interminables, comme Drake et les 25 titres de Scorpion. Cela permet à l’auditeur de faire ses choix, et à l’artiste d’avoir plus de chance que le public érige un morceau au rang tant convoité de « tube ».

Sur scène, Disiz donne tout. Il n’hésite pas à se plonger et couper la foule en deux. Sa volonté ? Offrir le meilleur des spectacles à son public. Voilà pourquoi, faute de résultat parfait à offrir au public, le perfectionniste a annoncé le report de tous ses concerts à l’année prochaine.

Crédit photo : Denys Malik

Toujours à la page après douze albums

Après avoir convaincu en musique, il lui a fallu s’essayer à la littérature, puis au cinéma, pour tenter de satisfaire son besoin d’expression. À 40 ans, avec ses 16 nouveaux titres et ses collaborations avec Sofiane et Niska, Disiz n’en a pas encore fini. Les deux rappeurs n’ont pas le même univers que lui, mais Disiz la Peste a quasiment toujours réussi ses featurings, allant même jusqu’à faire des albums communs, au sein du collectif Rouge à lèvres, aux côtés de Grems. Récemment, il avait trouvé l’alchimie parfaite avec Hamza sur le titre rafraichissant « Marquises », issu de Pacifique, son dernier projet. Ces croisements de micro avec de nouveaux artistes prouvent bien que l’auteur de « Ghetto Sictom » ne subit pas l’épreuve du temps. « Pas de l’ancienne ni de la nouvelle, moi je suis de l’éternelle école », assurait-il sur « Toussa Toussa », morceau remixé en compagnie du défunt rappeur Mac Miller.

Disiz la Peste a teasé son prochain opus avec trois extraits. Le premier, « Hiroshima », est un condensé de ce qu’est désormais le rappeur natif d’Amiens. Plus actuel que jamais dans la production et les flows chantés (qui ont d’ailleurs rappelé « Festival de rêves » de Damso à certains), il aborde, avec la métaphore nucléaire, son rôle de père, sa vie de famille. Il évoque également ses soucis qui le poursuivent, encore, à 40 ans : « irradié par mon passé ». Alors qu’il semblait quelque peu apaisé sur Pacifique, l’interprète de « Jeune de banlieue » revient plus révolté que jamais dans « Kaïju », fort en égotrip dans « Disizilla » et soucieux d’asseoir sa position dans la rap jeu : « J’ai écris deux romans, vous voulez gratter un 16 ». Il apparaît désabusé d’un milieu où il perdure depuis longtemps : « Votre game on dirait Intervilles ». Si c’est vraiment le cas, Disiz a grimpé une bonne partie du mur des champions, mais il lui manque encore quelques marches pour atteindre le sommet. Peut-être trouvera t-il l’impulsion dans cet album ?

« Disiz, disiz, disiz, c’est qui, c’est qui, c’est qui ? » répétait Serigne M’baye Gueye dans le très personnel « Il est déjà trop tard », en 2009, avant sa première retraite. Neuf ans plus tard, nous n’en savons pas encore tout, et lui non plus, poursuivant ses expérimentations musicales et textuelles. « Heureusement qu’il y a eu le rap dans ma vie » assurait-t-il dans l’album « Rap Machine ». Et pour tout ce qu’il a produit, heureusement qu’il y a eu Disiz dans le rap.

Le nouvel album de Disiz « Disizilla » est disponible ci-dessous.

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