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Lomepal, son « FLIP » et sa schizophrénie fascinante
Après plusieurs E.P. pour développer avec précision son univers, Lomepal a dévoilé son premier album, jonglant entre ses multiples facettes et sa folie artistique brute.
Les dernières notes de « Sur le sol », viennent de résonner et, les yeux écarquillés, j’ai du mal à comprendre ce qu’il vient de se passer. « Je t’aime maman ». Ce sont précisément sur ces mots que se referme l’opus. Ces mêmes mots qui font, d’une manière aussi étrange qu’épatante, écho au premier morceau, « Palpal » : « Un connard et un mec bien dans le corps ». Palpal, c’est, par ailleurs, cette double identité autour de laquelle se construit FLIP : un arrogant à l’ego surdimensionné crevant le cœur des filles et un autre, plus humble, essayant de se convaincre tant bien que mal qu’il est un mec bien. Une schizophrénie pure, qui offre une double lecture fascinante de l’album, plongé dans un univers artistique envoûtant.
Ok, ça suffit, je prends le relais. Pour une double lecture, on a besoin de deux personnes, alors faisons de très brèves présentations avant de passer à l’analyse concrète. Lui, le mec qui vous a parlé ci-dessus, c’est un peu le petit ange qui fait le pendant au démon. Le gars cool, qu’offre des fleurs à sa mère et qui préfère emmener sa copine au cinéma plutôt que de mater un match de foot avec ses potes. Vous l’avez compris, moi, en gras, je m’assimile plutôt au démon. Les émotions, les sentiments, très peu pour moi ; je préfère que l’on m’aime et qu’on m’adule pour mes sons. Le reste, j’y laisse à mon alter-ego.
Une dualité fascinante
Pal et Pal, tels sont les deux personnages qui construisent l’artiste, tout au long de l’album, à son effigie. En fait, je me permets, mais ils sont bien plus que ça. On a le mec à l’ego aussi gros que le postérieur de Kim K, on a le skateur innocent des années ’70, on a le loveur qui se pose des questions sur « Yeux disent », le mec qui veut juste bais-. On a compris. S’articule alors toute une romance jonglant entre les différents personnages, critiquant par ailleurs, sous couvert de masque artistique, la société, avec brio.
S’il estime vouloir, dés l’introduction de l’album, « un monde avec que des miroirs, une radio qui passe que ma musique », c’est que Lomepal est parfaitement lucide sur son trait de personnalité narcissique poussée à l’extrême. Il demande même aux autres d’être « un peu plus stylé », comme s’il était la seule attraction de la Terre. C’est sûrement le cas : les gens ne sont pas intéressants et ne méritent que trop peu d’attention. L’ego-trip, c’est l’artère principale du rap, et si certains préfère insulter la concurrence, la meilleure manière de le concevoir, c’est encore de se convaincre soi-même qu’on est le meilleur. On a peut-être tendance à crier trop vite au génie quand un rappeur tente d’assumer sa folie, c’est le cas avec Vald par exemple. Mais en fait, le mec est peut-être simplement barge et l’assume complètement.
Sûrement pas. Depuis ses débuts, Lomepal développe un univers autour de lui, son ego et sa personnalité. FLIP respire l’arborescence de cette volonté, tout en soulignant ses limites. C’est vrai que, même si j’aime bien le gars, il a tendance à beaucoup trop assumer sa fragilité. Dire « je t’aime » à sa mère ou mettre une photo de soi maquillé en cover, je n’aurais pas osé. C’est justement là que Pal est intéressant : ce maquillage, délavé, c’est un peu comme s’il se risquait à jouer un rôle qu’il ne maîtrisait pas forcément. Ironiquement, cette cover, déguisé, est peut-être celle qui lui correspond le plus, ce « fou » comme son entourage le décrit.
Se maintenir les pieds sur Terre
Pourtant, plusieurs facteurs tentent, tant bien que mal, de dégonfler l’ego de Pal. Ils sont trois, précisément, explorant tous un attrait fascinant de l’album. Premièrement, évidemment, l’amour. A ce sujet, je suis le mieux placé pour parler. Le thème amoureux se balade tout au long de l’album. Lomepal choisit de l’aborder de deux manières, une nouvelle fois, contradictoire. De manière très crue d’un premier abord, comme en témoigne les morceaux « Danse » ou « Malaise », avec des punchlines à ne surtout pas répéter en repas de famille. Puis, il évoque l’amour sous une forme plus douce, se posant même parfois des questions, à la manière d’un Orelsan dans son diptyque « Double vie »/ »Finir mal », dans son morceau « Yeux disent ». Mais quoiqu’il en soit, si Lomepal veut avant tout qu’on l’aime, il se refuse d’avouer que l’inverse lui ferait du mal. Son tee-shirt ensanglanté concluant le clip, illustre parfaitement cette idée.
La deuxième idée, c’est cette forme d’innocence – j’emploierai plutôt le terme « niaiserie » – qui dessinent plusieurs morceaux de l’album. Son affection pour le skate dans « Bryan Herman », sa déclaration d’amour aux 70’s ou son invitation dans son monde dans « Pommade » : tant de thèmes qui soulignent le besoin d’évasion de l’artiste et par ailleurs, sa simplicité.
L’ultime facteur reste la figure de sa mère, qui semble le chahuter à plusieurs reprises. Il évoque les conseils qu’elle lui a donnés dans « Palpal », comme il expliquait dans son précédent projet, avec le morceau « Achille », qu’il l’avait écouté étant plus jeune. Bon, ces histoires, c’est bien joli, jusqu’au moment où il dit « T’es-tu déjà dit que la mort de ta mère te ferait du bien ? Moi, oui ». Justement, cette phrase témoigne de tout le mal-être qu’a pris l’ego de Lomepal. « Souhaiter » la mort de sa mère pour se soulager, c’est arriver à un stade où cette dualité devient maladive. « Sur le sol », dernier morceau de l’album démystifie tout le personnage sculpté pendant l’album : s’il souhaite arborer un regard fier, presque d’icône, il prouve malgré lui qu’il n’est qu’un être humain avec des émotions.
Une composition artistique exemplaire
Les interprétations philosophiques, la double lecture, c’est cool, mais faudrait peut-être qu’on essaye de parler de rap, au moins à la fin. C’est vrai, et que dire une nouvelle fois du travail orchestré par Lomepal sur l’intégralité de l’album. Des productions planantes, mêlant électroniques et beats classiques ; des rythmes rapides, lents ; un travail sur les mots et la plume terrible : FLIP est quasi parfait. « Quasi », peut-être parce qu’il manque une rigueur sur les featurings. Caballero, Roméo Elvis, 2Fingz n’apportent pas la dimension artistique qu’on aurait pu espérer d’eux. En effet, et c’est bien dommage. C’est comme si l’album était tellement personnel, que quand Lomepal ne parle pas de lui, ou que quelqu’un d’autre se glisse entre l’auditeur et ses paroles, on perd le charme du personnage.