Culture
On a parlé films d’action, violences policières et « Validé » avec Ramzy
À l’occasion de la sortie de Balle perdue sur Netflix, rencontre avec Ramzy Bedia pour parler de sa plongée dans les films d’action, du climat social actuel et de son amour pour le rap.
Regard froid, visage fièrement dressé, lunettes de soleil teintées et flingue à la main : difficile de reconnaître en Charas, le personnage charismatique de Balle perdue, le quelconque air benêt de l’interprète de Sabri, dans la série H, vingt ans plus tôt. Ce grand écart de genre et d’esthétisme résume plutôt bien la carrière de Ramzy Bedia. Si sa filmographie respire les beaux jours de la comédie française, elle est également parsemée de quelques rôles dramatiques, comme avec Jeanne Balibar dans Merveille à Montfermeil. Un changement de registre subtilement évoqué par son binôme Éric Judor dans Platane : «Tu sais, j’ai l’impression que tu en as marre de faire le “gogol »». Une allusion amusante à un Ramzy qui ajoute, à 48 ans, une nouvelle ligne à son dense CV, celle du « film d’action », grâce à la nouvelle production de Guillaume Pierret sur Netflix.
Vers un élan des films d’action “à la française” ?
Dans un rôle cousu à son effigie, Ramzy a ainsi pu répondre à une envie de longue date. «J’affectionne particulièrement les films d’action. On ne m’en avait jamais proposé, donc j’ai sauté sur cette proposition», explique-t-il. Dans ce long-métrage, Ramzy interprète Charas, un flic qui dirige une brigade anti-go fast, aidé par un génie de la mécanique, interprété par Alban Lenoir. Une production musclée au casting excitant, déjà pompeusement qualifiée par une certaine presse spécialisée de « Fast & Furious à la française ». Avec La Tour Montparnasse Infernale, on assistait à une parodie en règle du Die Hard de John McTiernan ; avec Balle Perdue, Ramzy s’exerce dans un véritable film d’action, qui aurait bien digéré les influences du cinéma américain. Un film d’action « à la française », donc. Si ce n’est pas le premier, il est clair que le genre se démocratise timidement dans l’hexagone.
Ramzy y voyait un certain «complexe d’infériorité» par rapport aux blockbusters américains, qui se résorbe à la vue d’une nouvelle génération de réalisateurs. «Les moyens techniques pour tourner ont changé, il n’y a plus besoin d’autant d’argent qu’avant. Il faut beaucoup de talent aujourd’hui, et Guillaume Pierret en est l’exemple. Je pense qu’il doit y en avoir d’autres, des Guillaume Pierret». Autre levier qui permet de populariser le genre : les plateformes de VOD. Tandis que Netflix a fait confiance au réalisateur de 37 ans, alors qu’il n’avait réalisé que des court-métrages, Ramzy prédit l’explosion du phénomène. «On est dans une dynamique qui va de mieux en mieux, et Balle perdue en est la preuve.»
Ramzy : «Heureusement que j’ai la notoriété qui m’a enlevé les contrôles de police»
Évidemment, le rôle de Ramzy, sous le costume d’un policier, résonne avec l’actualité. Un contexte que l’acteur a d’ailleurs du mal à définir comme « actuel ». «Depuis que je suis petit, j’y pense. Heureusement que j’ai la notoriété qui m’a enlevé les contrôles de police», précise-t-il. Le comédien explique que bon nombre de ses proches subissent encore ces mêmes contrôles. «Je ne me suis pas remis de Zyed et Bouna, des Algériens dans la Seine en ’60, de Malik Oussekine, d’Adama Traoré. Je ne me remets pas de tous ces contrôles au faciès et de toute cette hagra». Ce traitement de faveur, lié à sa célébrité, lui a même parfois presque fait oublier l’injustice sociale. «Ils ont presque réussi à me faire croire ça», constate-t-il tristement. «Je ne subis plus ça. Mais alors plus du tout. Ça me fait très étrange. Donc je me disais : « Ah bah, ça y est, c’est fini ».»
Il grimace également quant à la montée du Rassemblement national en France, alors que l’extrême droite grossit à travers le monde. «Quand on y passera, on va en avoir beaucoup des « Aziz Floyd », nous. Et ça me fait peur». Pourtant, l’acteur tend vers l’optimiste, et insiste sur le besoin que tout le monde se reconnaisse en tant que Français. «Il faut pas leur répondre en disant : « D’accord, on est des Noirs et des Arabes, on n’est pas comme vous. » Faut qu’on leur rentre dans la tête qu’on est encore mieux qu’eux. Qu’on est des meilleurs Français qu’eux.» Et à propos des policiers, Ramzy balaye tout amalgame : «Il y a des super-flics, on a besoin de la police ! S’il y avait pas de police, tu te rends compte un peu ? On vivrait dans la jungle, dans un pays sous-développé où tout serait possible.»
Ramzy : «Je ne supporte pas le rap d’aujourd’hui qui ne dit rien»
Évidemment, Ramzy sourit aussi lorsqu’on lui évoque une énième fois le succès de Validé, la série de son comparse Franck Gastambide, avec qui il a passé son confinement. «J’ai été dans tous les projets de Franck Gastambide, et à chaque fois, ça me permettait de lui dire : “Tu vois, c’est parce que je suis dedans que ça marche”. Et son meilleur carton, c’est quand je suis pas là !». Il explique d’ailleurs son absence de la saison 1 par le tournage de Balle perdue, en confirmant qu’il apparaîtra dans les prochains épisodes. «Même si je ne montre que ma tête, je serais obligé», rigole-t-il.
Grand fan de rap, il porte toutefois un regard complexe sur la nouvelle génération. «Je ne supporte pas le rap d’aujourd’hui qui dit rien», tempère Ramzy, en déclinant le rap sous deux formes : dansant et ambianceur ou conscient et politique, qui raconte des choses. «Et qui a fait avancer des choses !», martèle-t-il. S’il reconnaît des «gars formidables qui ont encore une conscience de la street», Ramzy regrette que le rap ne raconte plus rien, s’avouant particulièrement réticent aux histoires d’amour. «C’est équivalent à du Lara Fabian en rap, avoue-t-il. C’est bien qu’il évolue, ou qu’il aille en pop urbaine, mais les histoires d’amour en rap : non. C’est pas fait pour ça.»
Quand on lui demande un mot de la fin, Ramzy retient seulement le nom d’Adama Traoré, «que l’on n’oublie pas, comme tous les autres». Comme un trait d’union de notre discussion, dans laquelle le comédien rappelle la conscience politique et sociale de la rue. Le rap y figure comme un canal de transmission immuable.
Hannah Taïeb, Justin Noto