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Père Médine, raconte-nous une histoire
Le 24 février 2017 sortait dans les bacs l’album Prose élite de Médine. Un disque majeur dans la carrière du rappeur du Havre qui figure dans les plus belles propositions de l’année. L’artiste n’est pas seulement un MC talentueux, il est également un merveilleux conteur de récits à la manière d’un castor bien connu. C’est l’histoire d’un rappeur qui aimait raconter des histoires, mais aussi son histoire.
Le 2 février 2018 est une journée historique. Au delà de la sortie de XEU, le génial album de Vald, une information de premier plan vient de paraître. Les archives du Père Castor, la célèbre collection de livres de jeunesse, ont été inscrites au registre « Mémoire du monde » de l’Unesco. Le générique du dessin animé emblématique du programme « Les « Minikeums » sur France 3 dans la tête, nous sommes prêts à vous raconter la belle histoire du père Castor du rap français. 156 épisodes de cinq minutes pour la série télévisée, combien de morceaux dans la riche carrière de Médine ? Le jeune havrais était âgé de dix ans lors de la première diffusion en France des aventures de ce père qui raconte des histoires à Câline, Grignote et Benjamin ses enfants. Alors une source d’inspiration le Père Castor ?
Père Médine raconte-nous ton histoire
Issu du quartier Mont-Gaillard au Havre, Ness & Cité est un groupe précurseur du rap de la France périphérique. Ils placeront leur ville sur la carte du hip-hop français. Ils fonderont avec d’autres artistes de la ville le collectif La Boussole. Entre 1999 et 2004, l’équipe de Seine-Maritime sortira trois albums. Le premier est un onze titres porté par le morceau du groupe Bouchées Doubles intitulé « La rue s’fout d’nous ». Le deuxième projet du collectif est plus dense, dix-huit titres, où les Normands accueillent Ol’Kainry, Dadoo mais aussi Soprano. Fervents amateurs de rap français, ils nommeront le troisième album du collectif par le slogan du Ministère A.M.E.R. : « Le savoir est une arme ». De La Boussole à Din Records, il n’y a qu’un pas, le label indépendant est l’évolution structurée du collectif. Fort de 19 projets sortis, il est aujourd’hui un monument important du rap bleu blanc rouge. Lorsque nous zoomons sur les détails de ces nombreux disques, onze sont issus de la plume du Castor barbu, Médine.
Ancien Global devenu Médine, le poids lourd de la maison Din pèse cinq albums, quatre compilations, et trois EPs auxquels il faut ajouter plus de quarante apparitions en featuring ou sur des compilations. L’un d’eux attire particulièrement l’attention : Table d’écoute. Les titres de l’album ont tous comme conclusion un message vocal laissé sur le portable de l’Arabian Panther qui annonce le morceau suivant. Aucune fioriture dans cet album brut, l’écoute doit se faire petit carnet et stylo en main et l’esprit bien ouvert. Dès l’introduction Médine vide ses poches face à la police, dans lesquels s’y trouvent une boussole et un Coran, référence à son équipe et à sa religion. Deuxième piste où il imagine être sur écoute depuis son album sur le 11 septembre. Lecture d’une lettre de menace. Mandat d’arrêt international. Scénario d’un film à la Jason Bourne barbu et musulman. Refuge dans une mosquée. Arrestation au sein du lieu de culte. Il comprendra avoir été balancé par un faux imam. « Si tu dois choisir entre la peste et le choléra, choisis celui que tu ne connais pas ». Un morceau au rang de « Pucc Fiction » mythique featuring entre Oxmo Puccino et Booba. La prod de « Soul rebel » avec Tiers Monde est militaire, proche d’une marche de soldats.
Arrive le tube de l’album, le morceau hommage de Médine, personne ne fera mieux après lui : « Lecture Aléatoire ». Qui mettrait son ego de côté comme lui pour encenser les héros du conte du rap français : IAM, NTM, Idéal J, Lunatic et Ärsenik. L’élite méritait une révérence, elle est d’autant plus forte lorsqu’elle sort de la bouche d’un homme aussi talentueux que Médine. Il assume d’ailleurs sa préférence pour Lino. Le refrain est un slogan que Jacques Séguéla n’aurait pas trouvé, « le rap n’est pas une machine à sous mais une machine à penser« . En 2006, la période est au bling-bling, ce discours tranche et sonne différemment. De Marseille au Havre c’est Soprano qui laisse son message dans la bien riche boite vocale qui sera complétée par les voix de Diam’s. Aucun artiste n’est aussi brillant en terme de story-telling. 17-oct mériterait qu’un réalisateur se saisisse du scénario et en fasse un long-métrage. Rien n’est à jeter dans ce projet de dix titres. Politique, cinématographique, rebelle, enragé : un condensé de Médine. L’artiste n’est pas là pour rire, et plusieurs écoutes sont nécessaires pour comprendre le sens exact d’un morceau. Médine est un auteur, un scénariste, Médine c’est Père Castor hardcore, c’est Émile Zola, Victor Hugo, des textes aussi bons à lire qu’à écouter. Morceau 7 : une lettre ouverte aux internautes avant l’avènement de Facebook et Twitter, Médine est dans le futur, en avance sur son temps.
Après avoir copié son discours pour les boites Hotmail de la première génération des haineux de l’internet, Médine coupe et colle des couplets de ses histoires pas toujours pour les enfants, dans « Reconstitution ». Les deux dernières claques de l’album ont pour titre « Arabians Panthers » et « Jeune vétéran », deux excellents titres qui clôturent 48 minutes intenses.
Père Médine, raconte-nous l’histoire des enfants du destin
À chaque sortie de projet, les auditeurs assidus scrutent la présence d’une suite à la saga « Enfant du destin ». Le schéma est toujours respectueux d’un cahier des charges précis, un focus sur l’histoire d’un enfant confronté à une situation géopolitique. Médine ne parle pas au nom d’un peuple opprimé, il raconte une histoire précise et détaillée pour dénoncer une situation dans une région du monde. Ce petit récit sur musique réveille les consciences et amène à la question, voire au débat. Les tristes contes de l’artiste du Havre déchirent les coeurs car ses héros malheureux sont des enfants. Ils s’appellent Petit Cheval, Sou-Han Nour, Daoud, David, ils sont les personnages d’un dessin animé pour adulte, engagé et poignant. Ils sont les témoins des horreurs que l’on nous sert lors de la grande messe du 20h de TF1, ou pire, en non-stop sur les chaînes d’informations. De la plume journalistique à la plume littéraire, la frontière est souvent mince. Médine est global, il narre avec une immense précision des réalités violentes, parfois, peut-être trop. Les grands conflits sont décrits via les yeux de ces enfants que l’on imagine, que l’on voit, que l’on entend pleurer à l’écoute de rimes tristes et malheureuses. Médine choque volontairement son public, il pousse à réfléchir à travers ses textes. À la fin d’un morceau de la saga, on lève les yeux au ciel en remerciant Dieu de ne pas être né au même endroit et au même moment que ces enfants.
Des enfants du destin aux enfants de Médine, de la musique à la story Instagram. Pas de mise en scène dans ces scènes de ménages quotidiennes où le rappeur fend l’armure pour le plus grand bonheur de ses fans. Avec ses vidéos quotidiennes, nous suivons les aventures de ses trois enfants, deux garçons et une fille. Un père de famille drôle, chiant, tendre, sarcastique. Un vrai Super Castor. On s’attache à une famille que l’on ne connaît que virtuellement. Il ne s’agit pas d’une stratégie pour adoucir une image controversée. Médine s’en moque, d’ailleurs sa famille écrase la famille du Père Castor. Et puis merde, c’est quoi ces blases : Câline, Grignote ? Seul Benjamin sauve l’honneur. Entre nous, Massoud (personnage historique présent sur le merveilleux morceaux « Du Panjshif à Harlem« ), Mekka et Genghis c’est beaucoup plus stylé. Regarder la story Instagram de Médine fait toujours rire, à se prescrire après avoir écouté un morceau de la série « Enfant du destin ».