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Qui prétend encore faire du rap en prenant position ? Qui prétend encore faire du rap en prenant position ?

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Qui prétend encore faire du rap en prenant position ?

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Le rap est perçu comme beaucoup comme un mouvement idéologiquement situé à gauche. L’apparition du rap bling-bling ultra capitaliste dans les textes ni a rien changé. En tant que porte-parole des banlieues, l’étiquette « de gauche » est collée à la peau des rappeurs. Depuis quelques années, un mouvement semble prendre le dessus dans la famille des MCs : ni gauche ni droite mais plutôt « on s’en bat les c******s ». Retour sur la relation complexe rap français/politique.

 « J’suis ni gauche ni droite, comme les jambes de Dembélé » déclare Mac Tyer dans « Comme à l’ancienne », sa collaboration avec son prometteur poulain Rémy. Le porte drapeau d’Aubervilliers fait allusion à une fameuse déclaration d’après-match d’Ousmane Dembélé alors jeune talent du Stade Rennais, qui peinait à choisir son pied fort. Ce refrain peut paraître anodin mais il contient un double sens très politique. Ne vous méprenez pas, Socrate n’a pas rejoint les rangs de La République En Marche !, cette ligne est le symptôme de plus en plus marqué du rejet de la politique chez les rappeurs français. « Et il n’y a pas que la droite aussi » (comme le disait si bien Suprême NTM), la gauche est rejetée de la même manière.

Comment expliquer cette retenue des artistes francophones face à la politique?

En 1997, le morceau le plus engagé de l’histoire du rap français sort dans les bacs. Il s’agit du titre « 11’30 contre les lois racistes », un morceau collectif qui réunit les plus grands noms de cette décennie. Le projet est initié par le réalisateur Jean-Francois Richet à qui l’on doit le long-métrage « Ma 6-T va cra-ker », contre les lois anti-immigration Debré mais aussi les lois Deferre, Joxe ou Cresson. Au casting de ce morceau historique: Akhenaton, Assassin, Fabe, Menelik ou encore le Ministère A.M.E.R.

Les artistes du rap hexagonal ne soutiennent plus ouvertement des candidatures d’hommes ou de femmes politiques. Le monde du rap français ne s’est pas dépolitisé mais ne s’engage plus, n’appelle plus solidement à la mobilisation via le vote. La célèbre punchline prononcée par Calbo dans le classique « Boxe avec les mots »: « Qui prétend faire du rap sans prendre position ? » n’est pas pour autant vidée de son sens. Aujourd’hui les artistes prennent position en déclarant ne plus vouloir prendre de positions (ou seulement celles du Kamasutra comme Youssoupha dans « Grand Paris »).

Lors de la campagne présidentielle de 2017, Rim’K a déclaré se sentir proche de Jean-Luc Mélenchon mais ne s’est pas engagé publiquement à ses côtés. Joey Starr a rejeté une proximité idéologique avec le leader de la France insoumise jugeant qu’il ne « pensait qu’à sa gueule ». La moitié du Suprême NTM a assumé une proximité avec le leader du NPA Olivier Besancenot, qui s’est lui-même illustré dans le rap. Mokless a été plus loin en invitant le leader d’extrême gauche dans son clip « On s’habitue à tout ». Il a déclaré par la suite que le NPA était « tout de même le moins pire des partis » avant d’ajouter « la politique, je m’y intéresse, mais j’essaye tout de même de m’en détacher le plus possible ». Un soutien donné avec des pincettes, donc.

Plus aucun rappeur ne souhaite devenir le Bruno Beausire de la décennie. Doc Gyneco a longtemps payé son soutien à Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007. L’exemple est extrême. L’ancien ministre de l’intérieur avait cristallisé la haine des quartiers populaires pendant son passage à la Place Beauvau. Afficher son soutien à une candidature politique correspond à assumer le risque d’être assimilé à vie à ce prétendant pour le meilleur, mais surtout pour le pire. En 2007, Kery James avait soutenu publiquement la candidature de Ségolène Royal pour la présidence de la République. La représentante du Parti Socialiste avait même cité un texte du rappeur de la Mafia K’1 Fry lors d’un discours. Le rappeur a déclaré regretter son soutien affiché à cette candidate. Il faut malgré tout replacer la situation dans un contexte pour comprendre cette prise de position. Il y a 10 ans, un nombre important d’artistes hip-hop avaient appelé à faire barrage à celui qui voulait « nettoyer la cité au Karcher ».

En dehors de la période de l’élection présidentielle 2007 et le mandat de Nicolas Sarkozy, la scène rap française s’est toujours bien gardée d’afficher un soutien à une personnalité politique même de gauche. Au contraire, pendant la présidence de François Hollande, Nekfeu a proposé un petit concert gratuit sur la Place de la république à Paris pour le mouvement de contestation Nuit debout contre la politique des socialistes au pouvoir. Ces rassemblements n’étaient pas affiliés à un parti politique.

« Racailles », la signature de l’acte de divorce

Au-delà du côté politique du rap français, il est important de souligner son côté social. Le mouvement n’a jamais payé sa cotisation pour adhérer à un parti politique. Il n’a aucune carte d’un parti même gauche, il est plutôt le miroir de la rue. Le taux de participation aux élections dans les quartiers populaires est faible. Joyeuses au soir de l’élection de François Hollande, les réactions ont été plus mesurées lors de l’accession au trône d’Emmanuel Macron. Est-ce l’arrivée au pouvoir de François Hollande ou la fin des espoirs d’un second mandat pour Nicolas Sarkozy qui était fêté ? Le rap français, comme la rue, s’est senti biaisé par le mandat du socialiste, le divorce est alors consommé. La tendance est au rejet de la classe politique déconnectée des réalités et des attentes de la population des banlieues, mais aussi des zones périurbaines.

Les rapports entre les personnalités politiques et les rappeurs français ont donné des confrontations épiques comme La Rumeur/Nicolas Sarkozy, Sniper/ Nadine Marano puis Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui le ressenti est que la polémique n’est plus recherchée, la France semble lassée de la politique intérieure qui semble toujours plus déconnectée des problématiques du peuple. Le rap tricolore n’échappe pas à cette tendance. Le point d’orgue de ce rejet est résumé pendant six minutes dans le morceau « Racailles » de Kery James. La messe est alors dite. L’immense succès de ce titre est révélateur de la symbiose existante entre l’artiste et son public. L’insulte de Nicolas Sarkozy est reprise pour démembrer la classe politique à coup de boomerang.

Toujours privilégier le monde associatif au politique

Est-ce pour autant la fin du rap politique et militant ? Le cœur de ce rap bat encore mais il ne penche plus ni à droite ni à gauche. Il se préoccupe des questions sociales, des affaires Adama Traoré ou Théo, de la question des réfugiés… Les rappeurs français sont très engagés dans le monde associatif. On ne compte plus les concerts de charité où les têtes d’affiche sont des artistes hip-hop. La politique du terrain via les associations est le moyen de s’engager sans avoir une étiquette partisane accolée à son image. Le rap est le véritable reflet de la société française ; aucun courant musical ne peut prétendre aussi bien représenter le pays dans les mots. Le peuple de France tend à devenir anti-système et évite la politique. Les rappeurs aussi se disent contre le système. Notre musique reste revendicatrice et engagée, plus besoin de l’intermédiaire des politiques.

Attention, il ne faudrait pas confondre les engagements personnels derrière un candidat et une prise de position publique sur un thème via un morceau. Les textes acerbes contre le Front National ou Eric Zemmour existent toujours dans la nouvelle scène.

Comment expliquer cette retenue des artistes francophones face à la politique ? Remplacez « artistes francophones » par « français » et vous aurez votre réponse.

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