Fianso avant qu’il ne soit passé chez So

En tant que fidèles du rap français, nous avons tous une pratique différente de notre foi. Il serait faux d’affirmer que les amateurs de la musique urbaine ont une écoute similaire d’un même morceau. Lorsque l’on écoute un projet, on ne peut s’empêcher de chercher à comprendre le parcours de l’artiste, afin de mieux appréhender sa musique. Nos sensibilités, nos parcours, nos références musicales et même notre humeur au moment de l’écoute nous amènent à apprécier ou non un album. Lorsque l’on écoute un morceau de Sofiane, on sent la rage de la rue à travers sa voix, ses années de lutte afin d’arriver où il est aujourd’hui. Il possède une force dans ses prononciations, dans ses intonations, dans son utilisation de la langue arabe ou d’expressions étiquetées « nos cités ont du talent ». Sofiane est authentique, authenfiable, et aujourd’hui authentifié par la rue.

Plus de dix ans de carrière, mais l’impression d’être un nouveau-venu qui transmet déjà le flambeau aux jeunes rappeurs. Sofiane est un rappeur traditionaliste, un adepte des freestyles, un travailleur. Il n’a pas apporté une nouveauté à la musique mais il a respecté la tradition du rap français. Au-delà de la qualité de ses albums, l’artiste est respecté pour avoir atteint les sommets à force d’acharnement. Entre la fin des années 1980, et l’âge d’or du rap français autour de l’année 1995, ils sont nombreux à avoir mis plus de dix ans à éclore face au grand public. Sofiane a longtemps été perçu comme l’éternel espoir du mouvement. Il sort son premier projet en 2007, sûrement l’une des pires années de l’histoire du rap français. La Mafia K’1 Fry sort en début d’année son projet « Jusqu’à la mort », Fatal Bazooka et Tony Parker urinent sur le rap, et seuls quelques projets sauvent l’honneur comme ceux de Soprano, Rim-K, Salif, Youssoupha ou Haroun. Une compilation bien nommée sort d’ailleurs cette année: « Il faut sauver le rap français – Deuxième assaut ».

En cette triste année 2007, apparaît dans les bacs le premier projet de Sofiane intitulé Première claque toujours disponible sur les plateformes de téléchargement. Le projet sort sous le label Karysmatik. L’artiste est tellement investi dans le label qu’il aura le surnom de Sofiane Karysmatik à ses débuts. Sa carrière musicale avait déjà quelques années avec son groupe Les Affranchis déjà sous le même label. Remarquez que ce film lui colle à la peau, il s’agit du nom de son nouvel album mais aussi de son label, similitude avec Lunatic de Booba.

Karysmatik qui a pour slogan « indépendant depuis la naissance », est décrit par Abdel le visage de la marque, comme un collectif ou une équipe plutôt qu’un label. Dans une interview à RapÉlite en 2010, il se fait remarquer en qualifiant le rap d’Orelsan de merde et en le comparant à K-Maro. Sofiane n’est à cette époque pas la tête de gondole de la maison Karysmatik, ce rôle est détenu par l’artiste Kenza Farah. Fort des morceaux « Je me bats » et « Lettre du front » avec Seyfu (proche du label sans y être un artiste), son album Authentik est un immense succès de l’année 2007. Quelle année… Les autres artistes du label se nomment Kayline, Asso, AK93 ou encore Les frères de la rue qui sortiront le projet « L’école ou la barrette ».

Le premier projet de Sofiane ne fait pas grand bruit malgré neuf titres de qualité. La pochette de l’album est symptomatique de l’époque. La bouteille de Jack brandie par le rappeur arborant un t-shirt de la même marque. Booba visera un spectateur du concert Urban Peace avec une bouteille toujours de Jack quelques mois plus tard. Sofiane rappe son département, ses rimes giflent dès la première écoute, les morceaux sont tranchants. La production old school sur le titre « So-Fiane » et la présence d’une voix féminine enlacent un egotrip au sens noble du terme. Mention spéciale pour le morceau « Avis à mes frères de France », à écouter absolument. Ce titre aura le droit à un clip. Petite imitation réussie de Booba sur le morceau « Des millions » sur son intonation de « si je perd un tête à tête, j’te tire dessus » du morceau Gun in Hand, qu’il reprend à sa sauce en « Moi les mythos du rap j’leur pisse dessus ». Amateurs de rap bien rue, bien cru vous serez servis. Au-delà de la photo aujourd’hui ridicule, le projet porte bien son nom: « Première Claque ».

Deux ans plus tard, l’enfant de la Seine-Saint-Denis sort le projet « La vie de cauchemar » toujours sous le label Karysmatik. L’album est difficilement trouvable aujourd’hui. Toujours très estampillé 9.3. l’album est aussi percutant que le Maxi précédent. Sofiane accueille Mc Kregor la moitié de Tandem et Ol’ Kainry. La présence de ces deux poids lourd n’y changera rien, il peinera à se faire une place au sein d’une scène Hip-Hop pourtant très pauvre. Ainsi se terminera son histoire chez Karysmatik. Il clôturera son aventure au sein de son label historique avec ce projet. En 2010, il sera proche de signer chez Banlieue Sale de La Fouine, mais le deal ne se fera pas. DJ Belleck sort en 2010 une compilation au titre « Very Insolente Personnality », dans la tracklist se trouve un Remix Insolent du morceau de Sofiane « J’ai l’équipe » avec le morceau Satisfaction de Benny Benassi, le rendu est surprenant, nous vous laissons juger.

Devenu patron de son propre label « Ineedmoneyganggnmg », il sortira en 2011 l’album BlackList. L’introduction annonce la couleur, le rappeur exhorte avec force son public à se réveiller sur une prod énervée portée par des bruits de tirs comme pulsation, et un air chantée par une voix féminine à la fin. 16 titres pour un album bien construit qui connaîtra un succès commercial. Le rap de cette période est très « nique la France », Fianso n’y échappera pas mais rajoute également « nique le bled, nique le reste », seul le 9.3. y échappe. Premier morceau tube pour l’artiste qui s’osera au chant sur le morceau « Elle était belle », le refrain rappelle La Fouine. Cette teinte La Fouine sera aussi présente sur « N’oublie jamais l’homme » qui commence avec un « Yeah Fianso Baby » très fouinien. Preuve que l’artiste est capable de proposer autre chose que du rap brut. Une histoire d’amour, d’une femme qui quitte un homme, le titre est entraînant et nostalgique. Les paroles ne sont pas incroyables, au contraire de son morceau Falestini. Un titre engagé pour la cause palestinienne dans la lignée des titres de Kery James, Sniper ou Médine sur le sujet. Il ose même un Remix de « GhettoYouth » classique du génie Salif. Un GhettoYouth du 9.3. moins bon que l’original, toujours le risque du remix. Considérons ce morceau comme un hommage d’un rappeur qui a toujours donné un très grand respect aux anciens. « Des regrets » son morceau introspectif est malheureusement gâché par un refrain très faible chanté par Soumia et une fin bâclée.

Sofiane a vraiment une inclination très forte pour les hommages que l’on retrouve dans le récent « Laisse pas traîner ton fils » en collaboration sur l’album de Ninho, un clin clair au morceau référence du Suprême NTM. Il ne s’agit pas d’une reprise comme « Boxe avec les mots » présent surBlackList II.

Deuxième projet sur son propre label BlackList II surpasse les trois précédents. Toujours respectueux de la tradition du rap des années 1990, l’album s’ouvre sur une tirade extrait d’un film emblématique. Il s’agit ici de l’introduction du morceau « Échec et mat » qui provient du film « Fresh » et de la bouche de Samuel L. Jackson. Au cœur des années 1990 le procédé était fréquent, la tradition les amis, la tradition. Il réitérera le procédé au début du titre « Un ami à nous » avec l’excellent échange entre Al Paccino et Johnny Depp dans Donnie Brasco. La voix du rappeur évolue sur ce projet, plus rocailleuse, plus proche du Fianso actuel. « Je ne rapperai jamais devant un champion sauf devant un miroir » punchline de morceau 100% egotrip, toujours avec les bruits d’armes comme sur le premier BlackList. L’album est plus riche en featuring, Lea Castel sur les morceaux « Ciao Bonne Vie » et « Juste une larme », Dosseh présent sur le remix de « Boxe avec les mots », mais aussi Rohff. Preuve que dans le milieu du rap Sofiane est regardé avec respects par ses pairs, le succès auprès du grand public arrivera, Fianso ne le sait pas encore à ce moment de sa carrière, mais il persévèrera avec force pour obtenir une notoriété méritée.

« La rue parle donc fermes ta gueule et écoute » matraque Rohff dans cette connexion entre deux représentants de la rue. Sofiane rappe comme Rohff sur ce morceau, reprend ses mimiques, preuve de son talent. Refusant de choisir entre Booba et Rohff, il reprendra « viens pas mettre ton nez dans nos affaires » du DUC dans son morceau « Un ami à nous » mais aussi le très connu « Tu fermes ta gueule tu niques ta mère » réutilisé sur « #FTGNTM ». Petite pique pour La Fouine mais aussi en direction de son ancien label sur le chef d’œuvre de l’album « Lettre à un jeune rappeur » (clin d’œil à Kery James non?). Il règle ses comptes avec force avec le game. Les mots sont forts, le message est clair. Le morceau fleuve de sa belle carrière serait-il le meilleur ?

Alors Sofiane, un rappeur-hommage? Non il serait réducteur de le cantonner à cela. Nous dirions plutôt qu’il parlait à un public rap dans ses premiers premiers, qu’il connaît parfaitement les codes du mouvement. Il n’est pas non plus un rappeur anachronique, il représente parfaitement le rap de la fin des années 2000 et encore mieux celui d’aujourd’hui. Il est d’ailleurs très aimé des anciens, preuve en est sa présence sur la scène du Casino de Paris avec Ärsenik lors du concert l’Âge d’or du rap français et lors du Planète Rap consacré à la tournée