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Le jugement dernier de « Xeu », la dernière légende de Vald
Cette chronique de XEU de Vald est tirée d’une histoire vraie. Ou presque.
Un ciel bleu surplombe de grands nuages blancs. Le paysage est plutôt calme, seul un illustre inconnu marche, sans trop savoir où aller, cherchant un brin de lumière. Devant lui, à quelques mètres, se dresse un immense portail doré. Une fois devant, il s’entrouvre, et le jeune homme pénètre de l’autre côté. Il est blanc, mince, des cheveux blancs à peine coiffés, affichant ce genre de rictus malsain au coin des lèvres. Certains le surnomment le « Eminem du rap français », et ça le fait rire. D’autres préfèrent le prendre pour ce qu’il est peut-être : un ahuri qui tente de faire rimer des mots avec d’autres. Pour autant, tous s’accordent à dire que ce gars-là, il s’appelle Vald. Et il traverse ce paysage blanc.
Enfin, il arrive devant un immense présentoir en bois. Il lève les yeux au ciel et se plonge dans le regard d’un homme qu’il a souvent caricaturé, Dieu. Ce dernier tient dans la main un petit livre carré, entièrement blanc, avec deux simples mots écrits en noir au sommet de la couverture. Valentin sourit à la vue de l’oeuvre, c’était donc ça : son jugement. Sous ses pieds, l’enfer, un endroit qui l’inspire, sans trop qu’il sache pourquoi. Au-dessus de lui, le paradis, qu’il considère comme un mirage, une idylle fictive et abstraite. Lui, désormais, entre les deux, fixant Dieu droit dans les yeux, appréhendant le jugement qui va s’abattre sur ce qu’il a lui-même nommé : Xeu.
Beaucoup de noir pour une oeuvre blanche
Dieu ouvre le livre, et conte le premier chapitre. « Bénéfice, gang-gang, bénéfice. Première pensée : toujours primitive » récite-t-il. De son côté, Vald, tête basse, sourit. Cette introduction, c’est la mosaïque complète et épurée de son oeuvre. Les phases respectent un nombre de syllabes quasi-identique et la rythmique imposée par l’ambiance calme et froide de l’instrumentale est une véritable merveille. Valentin a 25 ans, son premier projet date de 2011, et en sept ans, jamais il n’a renvoyé cette image de lyriciste si accompli, performant. Dieu est impressionné, conquis même. « Primitif » est une entrée en matière sublime, qui dépeint l’univers de l’artiste, sans pour autant tomber dans l’auto-cliché duquel il peinait à se décoller ces dernières années. Vald tient les rênes de la production, mais étrangement, c’est la production qui rythme ses mots. Quelques messages sont parsemés dans les paroles, Dieu les remarque, les souligne. Le rappeur s’en amuse.
Les morceaux qui suivent dépeignent un univers terriblement sombre, noir, dérangeant. Dieu poursuit sa lecture, et se laisse prendre dans l’ambiance narrée par l’artiste qui rappelle, finalement, le monde qu’il a lui-même crée. Vald est le reflet très surjoué mais aussi particulièrement sincère d’un rap engagé qui n’en a plus rien à foutre. Dieu le sait : l’artiste a bâti sa carrière sur des polémiques, des morceaux plus suaves, à l’image de « Je t’aime« , « Selfie« , ou même le plus récent « Désaccordé« . Pourtant, les titres s’accumulent et approfondissent le sombre passage vers l’enfer. Etrangement, c’est le morceau « Possédé » qui vient rapporter un peu de fraîcheur au milieu d’un paysage glauque. Dieu se surprend même à bouger la tête sur le refrain. « Gaffé quand je suis possédé » fredonne-t-il, comme s’il souhaitait que Vald ne l’entende pas. Mais Vald l’entendait, et il ne se faisait pas d’illusions : Dieu kiffait.
Une claque, puis deux, puis trois
Enfin, les premières notes de « Résidus » résonnent. Et alors que Dieu tourne les pages de son petit livre blanc, l’émotion le submerge à son tour. « Résidus » est incroyable. Sûrement l’un des meilleurs morceaux de la carrière de Vald. Le storytelling, l’enchaînement des rimes et, surtout, la manière avec laquelle il rappe, témoigne de la force artistique inouïe qui réside en lui. N’en déplaise à certains : « Résidus » rappelle Eminem et ses morceaux d’antan, la larme à l’oeil, la plume en sang. La voix enrouée, la gorge nouée, le rappeur décroche même quelques rares regards de Dieu. Lesquels semblent le féliciter, à juste titre. Des regards vites atténués alors que le rappeur semble tuer un fan dans l’introduction de « Jeantertain ». Au coup de feu, Dieu fait un signe de tête au rappeur, comme s’il voulait dire « Oh, quand même ! ». Le rappeur hausse les épaules, baisse les yeux.
Puis Dieu tourne une nouvelle page et le morceau « Rituel » démarre avec son rythme effréné. Le deuxième couplet de Vald est, encore une fois, un bijou inexplicable. Sirius n’a d’ailleurs pas à rougir de sa performance, son timbre de voix rappelant un SCH à ses grandes heures. Le morceau se referme dans son ambiance survoltée et surviennent les premières notes de « Désaccordé ». « Ah ouais, ouais, ouais » s’emporte Dieu, décrochant un bref rire du MC. Ce morceau est le véritable facteur X de l’album. Le single parfait pour attirer l’attention des auditeurs avec une sorte d’ambiance fourre-tout, indiscernable, qui détache finalement avec le reste de l’opus. Entre « Rituel » et « Gris », le morceau est une brèche lumineuse dans la tracklist.
Puis arrive « Gris », et le temps s’arrête. La production est voluptueuse. Le refrain autotuné est millimétré. Et même Dieu met sa main sur sa bouche, plissant les yeux lorsque Vald balance « Y’a plein d’trucs dans ton cul qui n’devrait pas y être comme matraque de CRS ». Dieu est choqué, l’auditeur aussi. La violence du morceau et ses paroles s’entremêlent à merveille avec sa force artistique. Et alors que Dieu aimerait relire attentivement, comme tout le monde, les paroles de ce qu’il vient d’écouter, il est finalement interpellé par le piano qui ouvre « Réflexions basses ».
L’alchimie au milieu de la fumée
Vald n’est pas un story-teller à proprement parler, il ne raconte pas d’histoire. Sur la quatrième de couverture du livre que tient Dieu, il n’est d’ailleurs pas inscrit le mot « Roman », il s’agit plus d’un essai, d’une réflexion philosophique poussée. Ou presque. Mais pendant les 3 minutes 37 qui façonnent « Réflexions basses », l’auditeur est plongé dans un bar, au milieu de Vald et Suikon Blaz AD, écoutant ce que le rappeur a à dire. On imagine le serveur voulant les mettre dehors. On imagine ce bar un peu glauque, ouvert tard la nuit. On imagine tout, parce que l’ambiance est parfaite. On se laisse prendre à écouter Vald comme un pote bourré, son bras sur nos épaules, un soir en rentrant. Et Dieu se laisse submerger par la force du morceau.
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D’ailleurs Suikon Blaz AD figure sur le track suivant. Et quel morceau. Un morceau qui s’écoute, qui s’apprécie, qui enivre. Les deux rappeurs se retrouvent autour d’une alchimie extraordinaire, vaporeuse : « Offshore ». La collaboration avec Fianso, « Dragon », est aussi incroyable dans une atmosphère fusionnelle similaire. Les artistes se fixent une ligne directrice qu’ils suivent à fond. Et le rendu est exquis. Au milieu de ceux-là figure l’immanquable « Rockin’ Chair ». Un morceau indescriptible, car jamais entendu jusque-là dans l’Hexagone. Dieu bouge la tête, se laisse emporter en scrutant néanmoins attentivement la fin de la tracklist. Il ne reste qu’un seul morceau : « Deviens génial ». Et comme une bouffée d’air pur, un regard extérieur frais, « Deviens génial » conclue à merveille l’opus. Définitivement. Vald s’adresse à son fils en lui narrant toutes les horreurs du monde, sur une touche synthé, électro étrange. Mais parfaite. Un délice final.
Le jugement dernier
Et Dieu referme le livre. Il se lève. Vald ravale sa salive, comme s’il avait oublié, emporté par son disque, pourquoi il était là. D’ailleurs, c’est la question que lui pose Dieu : « Sais-tu pourquoi tu es là ? ». Le rappeur fait « Non » de la tête. Dieu met la main sur son cou, tire sa peau avant de finalement retirer un masque. En dessous de celui-ci apparaît la tête d’un gros lézard vert, la langue fourchue, deux yeux globuleux rougeâtres. Vald n’esquisse pas le moindre geste. Il le savait, il avait compris depuis longtemps. « Ton album est un échec Valentin, ce n’est pas ça qui était prévu, reprend le Reptilien, visiblement plus virulent. Tu dois brouiller les pistes, tu dois tourner en dérision notre espèce, pour que les gens continuent de nous prendre pour des fous. Si tu les fais rire, ils s’enfonceront dans leur ignorance ». Vald baissait désormais les yeux, comme s’il avouait malencontreusement son échec. Son album était, en effet, son plus sincère, à mille lieux de ce qu’il avait pu faire d’extravagant, avant ça. Exit les morceaux conceptuels et extravertis, place à des rimes crues pour de véritables réflexions. Les portes d’Agartha semblaient refermées, XEU avait nourri sa propre légende, et elle était définitivement sa meilleure.
« Il y a sept ans, lorsque l’on t’a embauché, on t’a accordé notre confiance. Désormais, tu la trahis, avec une espèce de satire sociale pseudo-consciente. C’est pathétique. » Désemparé, l’immense Lézard jette le livre par terre, descend de son présentoir et se présente devant Vald, ses deux yeux monstrueux plongés dans ceux du rappeur. « Les gens ne doivent pas savoir si tu es un troll ou un génie, enfin ! Dorénavant, que vont-ils penser ? » crie Dieu. Vald hausse les épaules. « Pfff » pouffe le Reptilien, en serrant les poings. « Mais sais-tu seulement ce que tu es, toi ? ». Vald relève la tête, fixant son interlocuteur. Il met la main à son cou, et se tire, à son tour la peau. Lui-aussi, il retire son masque. Ce n’était néanmoins pas un Reptile, c’était Dieu, ses cheveux grisonnant, son regard froid. Le Lézard recule d’un bon mètre, se protégeant le visage avec ses mains, apeuré. Le Tout-Puissant s’avance, fixe le reptile et lui lance : « Ah ouais, ouais, ouais ».
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