Musique
De 13 organisé à 93 Empire : l’équilibrage, le vrai problème des compilations locales
Entre la densité de 13 Organisé et la longueur de 93 Empire, les compilations locales soulèvent l’évident problème de l’équilibrage des morceaux. Parlons-en.
Quel est le point commun entre 13 organisé et 93 Empire ? Ce sont toutes les deux des compilations locales. Certes. Mais aussi, elles font approximativement la même longueur : 1 heure 17 pour les Parisiens, 1 heure 13 pour les Marseillais. Sauf que de vingt-deux à treize morceaux, on distingue aisément les stratégies différentes amorcées par les deux collectifs régionaux. Alors que la mode des compilations échelonnées à l’échelle d’un département semble se populariser, les deux premiers exemples témoignent du difficile équilibrage des forces en présence. À l’heure des inévitables comparaisons entre ces précurseurs, zoom sur les processus adoptés et les conclusions que l’on peut déjà en tirer.
13 organisé la densité, 93 Empire la longueur
Les Bouches-du-Rhône, comme la Seine-Saint-Denis avant elles, ont donc leur compilation. Deux ans après l’initiative fédératrice menée par Sofiane, Marseille a répondu en élevant sa voix au détour d’un album qui sent bon les couleurs olympiennes. Jusque-là, les comparaisons entre les deux entités, réunies autour du 93 Empire et de 13 organisé ne s’effectuaient que via leurs dignes représentants. Après leurs sorties respectives, et bien qu’en glissant les tracklist côte à côte, on remarque qu’un nouveau vecteur s’ajoute à la difficile équation d’une collectivité locale : la gestion des artistes. Comment se réunir ? Qui rappe sur quoi ? Quand ? Combien de fois ? Tout un tas de questions que les deux entités ont géré de manière différente.
Le 93 a ouvert la danse avec une tracklist à rallonge, de 22 morceaux. Outre « Woah », premier single, et le remix de « 93 Empire », aucun morceau ne dépasse les quatre invités. En optant pour un nombre de morceaux plus large, l’équipe de Sofiane étale ses individualités au fil des tracks avec chacun leur univers. À lui-seul, Sofiane cumule également sept duos, dissimulés tout au long de la tracklist. À Marseille, la stratégie est complètement différente : avec seulement treize symboliques morceaux, la tracklist est plus courte mais les productions sont plus chargées. Le morceau « Miami Vice » recense le moins d’invités, avec tout de même sept personnes. « 13 balles », de 4 minutes 28, est le moins long, mais regroupe neuf invités.
Ces approches relèvent également d’ambitions artistiques différentes. À Marseille, ces longues fresques de cinq minutes se veulent plus fédératrices : chacune dispose de plusieurs générations, de plusieurs acteurs aux diverses notoriétés. Elles se retrouvent autour de thématiques et d’instrumentales communes. Les productions choisies servent aussi bien les anciennes que les nouvelles têtes. Fédérer pour mieux régner. À Paris, chaque morceau abrite sa pertinence, sa raison d’exister. Les mélanges sont moins denses, mais les artistes se réunissent via différents prismes. Tout aussi gagnant.
Pas de recette miracle
Les conclusions sont alors différentes. Sur 13 organisé, les morceaux sont longs. Très longs. La multitude de performances rend la lecture souvent indigeste, force la concentration. Ajoutons à ça des couplets aux cadences parfois déséquilibrés, et on rentre dans un faux-rythme maintenu par les différences forces en présence. En revanche, l’ambiance est plus chaleureuse et le mélange d’artistes qu’on aurait jamais cru voir poser ensemble accentue le fan-service d’un album marseillais. Mais là encore, on relève une pointe d’amertume : Soprano, Keny Arkana ouu Akhenaton se retrouvent cadenassés au milieu de l’armada imaginée par Jul. Si l’introduction d’Akhenaton dans « Je suis Marseille » relève d’une symbolique et d’un charisme hors-pair, les couplets de Soprano et Keny Arkana, eux, se veulent quasi-anecdotiques et surtout beaucoup trop courts.
À ce niveau, la gestion de 93 Empire est meilleure. Si le mélange est plus timide, il laisse une présence davantage consolidée aux artistes. Nakk Mendosa, Busta Flex, Shone, Alpha 5.20 ou Mac Kregor ont droit à de véritables couplets sur des morceaux à thème et dressés pour eux. Et que dire des membres de NTM, accueillis en rois dans « Sur le drapeau ». Mais force est de constater que les regroupements sont bien moins surprenants : on aurait peut-être aimé un Nakk Mendosa avec Dinos, un Busta Flex avec Sadek ou un Alpha 5.20 avec Vald. Bref, des mélanges qui permettent de rendre encore plus palpable l’effervescence de la Seine-Saint-Denis autour du projet.
Le 93 aurait donc eu plus à gagner en entrecroisant ses générations, avec un poil plus d’audace dans ses réunions. Les présences nichées de Dabs, NTM, Dadju, Vald, Vegedream ou encore Alpha 5.20, élargissent certes l’horizon, mais peinent à la construire sous le seul et unique étendard du 9.3. Un étendard qui donne finalement l’impression d’être éparpillé entre diverses sphères incompatibles. Aussi, à Marseille, la question de la compatibilité ne se pose pas, mais l’identité de certains morceaux aurait gagné à être plus approfondie. Il aurait été peut-être préférable d’utiliser moins et mieux certains artistes, les regrouper sur des titres moins denses, avec deux ou trois invités, pour qu’ils puissent laissés éclater leurs verves différemment.
Après deux modèles, il n’y a donc pas de recette miracle pour les compilations locales. Certains préféreront l’âme chaleureuse mais longue de Marseille, d’autres les initiatives plus raisonnées de la Seine-Saint-Denis. Même les deux entités à l’origine des opus, Sofiane et Jul, sont utilisées de différentes manières. Là où Sofiane déborde de morceaux en duo et forge la colonne vertébrale de 9E Empire, Jul glisse son nom également sur chacun des titres de l’album, avec néanmoins plus de confidentialité. Une chose reste sûre tout de même, le charisme des deux artistes aura permis de réaliser des exploits locaux tonitruants, à la résonance nationale, voire internationale. Les prochains pourront généreusement suivre et manipuler leurs exemples.
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