Suivez-nous

Grands Formats

Avec 4:44, Jay-Z, ou plutôt Shawn Carter montre son vrai visage

Publié

le

[REVIEW] Avec 4:44, Jay-Z, ou plutôt Shawn Carter montre son vrai visage

Après nous avoir dévoilé de nombreuses facettes de son personnage au fil de sa carrière, sur son nouvel album 4:44, Jay-Z fait tomber le masque pour laisser place à un Shawn Carter, plus sensible et personnel que jamais.

Quatre ans que nous l’attendions, quatre longues années depuis Magna Carta… Holly Grail que Jay-Z n’avait pas marqué de son empreinte le monde du hip-hop, enfin pas directement du moins. Entre drama familiaux dans un ascenseur, vie de famille surexposés, tournée historique avec Beyoncé et création de la plateforme de streaming Tidal, nous avions plus l’habitude ces derniers temps de voir Jay-Z arborer sa casquette de businessman et de personnalité people que celle de rappeur, quand bien même celui-ci vient tout récemment d’être intronisé au Songwriter Hall of Fame. Bien que les affaires lui aient permis d’amasser une fortune gigantesque, lui permettant ainsi de se hisser parmi les premiers afro-américains multi-millionnaires, Shawn Carter aka Jay-Z n’en oublie pas pour autant ses premiers amours, à savoir la musique et la culture hip-hop. Le revoilà donc en 2017, à 48 ans avec un treizième album studio. Annoncé en grande pompe par une campagne de communication tonitruante dans les rues de Times Square 4:44, sortait enfin le 30 juin dernier. Un projet dans lequel la légende de Brooklyn se dévoile comme jamais il ne le fit auparavant, comme pour ouvrir un nouveau chapitre d’une carrière déjà légendaire.

4:44, dans l’intimité de Shawn Carter

D’abord gangster, puis caillra, en passant par la case jiggy jusqu’au milliardaire féru d’art que l’on connaissait jusqu’alors, toutes ces facettes nous montrent l’ambiguïté du personnage de Jay-Z. Chacune d’elle, il les présenta sur la totalité de ses dix-sept projets (en comptant ses albums collaboratifs avec R-Kelly, Linkin Park et bien sûr Kanye West). Dix-sept projets complémentaires qui lui ont permis de devenir au fil du temps, l’une des plus grandes légendes du rap et du hip-hop.

Mais justement, si le personnage de Jay-Z n’a plus de secrets pour personne, peu de ceux qui l’écoutent connaissent réellement Shawn Carter, lui qui n’a finalement jamais vraiment évoqué ses états d’âme dans sa discographie. Or, la surprise de ce nouvel opus est bien là. Plus de 20 ans après la sortie de son premier album sorti en 1996, Reasonable Doubt, on découvre qui est réellement Jay-Z, ou plutôt Shawn Carter l’homme de 48 ans. Cette volonté de se dévoiler, le rappeur l’entreprend d’entrée de jeu avec le morceau « Kill Jay-Z », dans lequel il déclare vouloir tuer son ego. Durant les dix titres de 4:44, ce n’est donc plus le personnage de Jay-Z qui s’adresse à nous, mais bien Shawn Carter, l’être humain multi-millionaire, celui qui choisit de se raconter sans artifice, dans un projet qui se veut résolument plus intimiste.

Par exemple, terminé l’egotrip et les histoires de nouveau riche, Jay-Z se veut plus raisonnable financièrement. Plutôt que d’exposer sa richesse à foison comme il le rappait sur « Picasso Baby », il va plutôt aborder la problématique financière de manière à gérer son argent uniquement dans un but de permettre le bien-être de sa famille. Un rapport à l’argent différent de ce à quoi il nous a habitué, mais surtout qui retourne complètement les codes du hip-hop, qui ont plutôt tendance à encourager le consumérisme à outrance. Dans cette logique de maturité, nous découvrons au fil de cet album, un homme sensible, un père et un fils aimant soucieux de l’avenir de sa famille (« Smile », « Family Feud » « Legacy »), mais aussi un mari coupable d’infidélités envers sa femme (« 4:44 »), ainsi qu’un ami blessé par les récents agissements de celui qu’il faut désormais appeler son ex-collaborateur, Kanye West. (« Kill Jay-Z »). Globalement, l’homme doute et s’interroge sur son héritage, sa situation de riche entrepreneur, mais avant tout sur sa condition d’afro-américain.

Même dans son flow, hors de question pour lui, dans un album aussi personnel que celui-ci, de faire preuve de prouesses techniques. Ainsi, sa voix se veut globalement bien plus douce, presque trop parfois, par rapport à ce à quoi il nous avait habitués. Finalement, 4:44, c’est ça : la psychanalyse d’un homme proche de la cinquantaine qui choisit de se rapprocher des questions essentielles de la vie : vivre heureux et avoir une famille unie et épanouie. Comme s’il souhaitait se détacher de cette image de multi-millionnaire croulant sous le champagne.

4:44, un morceau central

En plus de donner son titre au projet, 4:44 est bien le titre phare du projet. D’une part par son positionnement central sur l’album (piste 5 sur 10), et d’autre part par le thème crucial qu’il aborde, à savoir la relation tumultueuse de Jay-Z & Beyoncé. En 2014, suite à une altercation entre Solange et le rappeur dans un ascenseur, des rumeurs d’adultères se répandent dans le couple Carter. Suite à cela, Queen B s’était exprimée sur le sujet dans son album Lemonade sorti en 2016, notamment dans le morceau « Sorry ».

Après quoi, tout le monde attendait du prochain album de Jay-Z, une réponse aux attaques virulentes de sa femme. Cette réponse, la voici, « 4:44 ». Un morceau de pile 4 minutes et 44 secondes qui, selon les dires du rappeur, aurait germé dans son esprit pendant une nuit de gamberge à 4h44 du matin. La symbolique ne s’arrête pas là puisque Jay-Z est né un 4 décembre, Beyoncé un 4 septembre, et les deux se sont mariés un 4 avril.

Symboles et sens profond mis à part, sur ce morceau, Jay rend les armes et reconnaît bel et bien les soupçons d’adultères de sa femme. Ici, pas de nouvelle confrontation, ni de clash, le mari coupable assume ses erreurs et se porte en faux. En plus de se dévaloriser de par ses mauvaises actions, ce dernier met sa dulcinée et ses enfants sur un piédestal, en affirmant qu’il ne les mérite pas. Jay-Z nous transporte ainsi dans l’intimité de son couple, en espérant tirer un trait sur le passé et repartir sur de bonnes bases avec les jumeaux qui arrivent. Dénouement de cette histoire : les Carters sont une famille en or, comme en témoigne la présence cachée de Beyoncé dans le morceau suivant « Family Feud ». Bien que le titre parle de la fracture générationnelle qui existe dans le rap, on ne peut s’empêcher d’y trouver un double sens évident. Le clin d’œil est somptueux.

Jay-Z et No I.D., le duo gagnant ?

Musicalement, sur 4:44, Jay-Z a pris tout le monde a contre pied. Lui qui nous avait habitués à une multitude de collaborations, a choisi de s’entourer uniquement de No I.D, producteur dont la réputation n’est plus à faire. Bien qu’il soit le mentor historique de Kanye West, et que la relation entre Jay-Z et ce dernier semble avoir atteint son point de non-retour, cela n’a pas empêché le duo de fournir un travail musical d’exception. Loin de s’inscrire dans une mouvance mainstream de son précédent opus, cet album s’adresse musicalement aux fans de hip-hop de la première heure et non au grand public. Les raisons ? L’absence totale de hits potentiels et des samples habilement intégrés par No I.D., d’artistes phares de la musique afro-américaine tels que « Four Woman » de Nina Simons (« The Story of OJ »), « Love in Need of Love Today » de Stevie Wonder (« Smile ») ou encore « Fu-Gee-La » des Fugees (« Moonlight »). Ces choix musicaux témoignent une nouvelle d’une volonté de Jay-Z de s’émanciper de cette image d’entrepreneur qui lui colle à la peau, pour revenir davantage à sa culture d’origine. Une démarche qui fait écho à sa célèbre punchline, « I do this for my culture, to let them know », extraite du morceau « Izzo » lui-même issu de l’album The Blueprint. Autre subtilité des samples : les échantillons utilisés parlent exactement de la même chose que ce dont traite Jay-Z dans ses textes, comme s’il existait entre les deux pièces musicales, un effet miroir.

Par ailleurs, dans une interview accordée à Rollng Stone le jour de la sortie de l’album, le beatmaker de Chicago dévoilait les dessous de son travail sur l’album. Il expliquait notamment s’être mis en retrait quant à la direction artistique et que tous les choix musicaux des samples jusqu’aux boucles avaient été décidés par le rappeur « Tous les choix musicaux sont ceux de Jay-Z, j’ai simplement fait la bande son à partir de ses idées ». Ainsi, expertise de No I.D. oblige, les productions de 4:44  collent parfaitement aux textes et aux ambiances dans lesquelles Jay-Z a voulu nous transporter. De plus, celui-ci se permet des variations de genre allant jusqu’à flirter avec le reggae, un style dans lequel, il faut le reconnaître, l’artiste semble particulièrement à l’aise. Seul bémol, le fait de s’entourer que d’un seul beatmaker rend visible parfois, un manque d’audace et de prise de risque. Résultat ? Les prods sont parfois trop lisses, surtout quand on compare 4:44 avec ses précédents projets.

No I.D. en studio pour 4:44 (Crédit photo : Rolling Stone)

Jay-Z le chef d’orchestre

En témoigne le recul pris par No I.D. dans la direction artistique, Jay-Z est bien le seul et unique chef d’orchestre de son album, bien que celui-ci sonne presque comme un album collaboratif avec le producteur. C’est clair maintenant, 4:44 est la psychanalyse d’un rappeur ayant atteint une maturité nouvelle. Il apparaît donc normal que ce dernier y occupe une place prépondérante. Cela pourrait aussi expliquer la raison du faible nombre de morceaux. Jay-Z a voulu aller à l’essentiel et il y parviendra en un peu plus de 37 minutes. Certes, pour quatre ans d’attente, seulement dix morceaux, c’est court, mais cela donne bien plus d’impact à chacun des mots prononcés par le MC. Une raison qui poussera l’auditeur à se replonger à plusieurs reprises dans cette courte expérience musicale pour en saisir toutes les subtilités.

Même en terme des collaborations, c’est toujours Shawn qui tient les rennes. D’abord annoncé par Joe Budden comme un projet ouvert avec tous les plus grands noms du rap game en guest tels que Kanye West, Chance The Rapper, Andre 3000, Travis $cott ou encore Future, l’album sera finalement un comité réduit. Outre Frank Ocean et Damien Marley, le rappeur / entrepreneur a aussi invité sa maman Gloria Carter sur « Smile », un morceau dans lequel il en profite pour annoncer l’homosexualité tardivement assumée de celle-ci. A noter par ailleurs en plus de Beyoncé qui est non-créditée, on retrouve également la fille du couple Blue Ivy le temps d’une intro. Preuve ultime que cet album est avant tout intimiste et familial. Avouons néanmoins qu’après l’annonce d’une telle tracklist, même si celle-ci s’est avérée fausse, la pilule fut difficile à avaler.

A lire aussi >> Jay-Z invite Blue Ivy sur l’un des trois titres bonus de son nouvel album

Même si probablement peu de morceaux resteront dans les mémoires à long terme, 4:44 restera sans aucun doute parmi les albums les plus importants de la discographie de Hova. Evidemment de par l’attente que celui-ci a suscité auprès du public, mais aussi et surtout par sa sincérité. Certes, Shawn Carter n’a définitivement pas tué Jay-Z, mais celui-ci a au moins réussi la difficile étape d’entamer un nouveau chapitre de sa vie d’homme, mais aussi d’artiste, et ce, dix ans après la sortie de Kingdom Come, à l’heure où tout le monde le disait fini. Et rien que pour ça, chapeau bas.

Parce que ce n’est plus une exclu Tidal, vous pouvez maintenant écouter 4:44 sur Apple Music.

Commentaires

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *