Musique
Trois leçons à tirer des chiffres de ventes de Gambi
«Décevante», «méritée», «sous-côtée» : la première semaine de ventes de Gambi livre des réactions paradoxales. On a choisi d’en parler en trois points.
Qu’il était difficile à jauger, ce phénomène. Après deux singles de diamant et une hype à son paroxysme, Gambi a finalement livré son premier album La vie est belle. Et après une semaine d’exploitation, l’artiste a écoulé 10 723 exemplaires. De quoi engendrer différentes questions : que représentent ces chiffres comparés aux autres grosses pointures de la scène rap ? Sont-ils inférieurs aux attentes ? Aurait-il pu faire plus ? Parlons-en.
La barre des 10 000 ventes franchie
C’est peu dire que le rap français baigne dans un océan de données abstraites. Chaque vendredi, à la sortie des chiffres de ventes de la semaine, se compilent tentatives de comparaison bancale et jugements commerciaux à la seule valeur des chiffres diffusés. Mais certainement que chaque artiste devrait être jugé indépendamment avec comme seuls vecteurs la qualité artistique et promotionnel. Dans ce contexte, Gambi a alors écoulé un peu plus de 10 000 exemplaires de son album en première semaine.
Mais 10 723 exemplaires, c’est quoi ? C’est un peu plus d’un cinquième d’un disque d’or. C’est ce que la très grande majorité des artistes, chaque semaine, n’arrivent pas à atteindre. 10 000 ventes, pour un premier album, à 22 ans, c’est énorme. Le phénomène Gambi s’est toutefois fait aspirer par les singles dévoilés en amont, « Hé Oh » et Popopop » : deux énormes succès, déjà diamants, qui prédisaient une aura à l’échelle de ce que peuvent faire les plus grands vendeurs de la scène francophone. Gambi y est encore loin et doit tout prouver. Surtout que son album, par ailleurs très intéressant artistiquement, a de jolis arguments à défendre, qui feront leur nid peu à peu au coeur des ventes de singles hebdomadaires.
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Une promotion trop discrète de Gambi ?
Toutefois, s’il reste difficile de juger les espérances de Gambi quant à ses ventes en première semaine, peut-être que l’artiste a manqué de lucidité dans sa promotion. Car si ces chiffres prometteurs confirment son statut de « rookie », sa promotion, elle s’inspire des immanquables du milieu. Gambi n’a pas livré la moindre interview, et a trop peu suscité l’engouement pour La vie est belle. Il ne s’est appuyé que sur la (grosse) force de frappe de ses propres réseaux sociaux, sans s’offrir l’opportunité de conquérir de nouvelles fan-bases. Finalement, la sortie de La vie est belle s’est limitée à la sphère rap, sans prétendre au phénomène musical auquel l’album aspirait.
Aussi, certainement que la crise sanitaire a perturbé les plans de Gambi. Beaucoup ont jugé la sortie de La vie est belle tardive : un an après le buzz de « Hé Oh », 9 mois après « Popopop ». Le problème, c’est que l’album aurait pu être prévu au printemps, mais la paralysie de l’industrie musicale a forcé les grosses échéances à s’entasser au début de l’été. Entre temps, il est probable que le buzz autour de l’artiste se soit essoufflé, comme en témoignent les chiffres plus sobres de « MACINTOSH », dernier single de Gambi avant la sortie de l’album.
Enfin, si l’absence de collaboration est louable, permettant à l’artiste de développer seul son univers artistique, il perd certainement en visibilité. Surtout que Gambi est frappé du sigle « REC 118 », où les connexions internes sont facilitées. Un seul featuring au milieu des 15 morceaux de l’album ne l’aurait pas réellement dénaturé, et aurait offert un single bulldozer à Gambi. Ninho, Aya Nakamura ou même SCH : les perspectives étaient multiples. Ce sera certainement pour le deuxième.
Gambi : où sont les singles de diamant ?
Rappelez-vous, il y a quelques semaines, aux États-Unis, Future obtenait un disque d’or en une poignée de minutes seulement, car tous les streams générés par ses singles ont été cumulés, et ont permis à l’artiste de franchir le seuil de la certification sans les premières écoutes de son album. En France, le système est différent : tout ce qu’il s’est passé avant la sortie du projet est ignoré par le SNEP. La première semaine française prend en compte uniquement ce qu’il se passe entre le jour de la sortie, le vendredi, et le vendredi suivant. Rien d’autre.
Gambi souffre évidemment de ce modèle puisqu’il dispose, dans sa tracklist, de deux singles de diamant. C’est rarissime qu’un album sorte avec déjà, en son sein, de si grosses certifications. Le problème : s’ils ont été reconnus indépendamment, dans l’album, ils pèsent désormais le même poids que les autres titres. Donc si Gambi a intelligemment attendu quelques temps pour dévoiler son univers au grand public, il a également perdu la puissance de frappe de ses plus grosses armes, qui pointent à plusieurs dizaines de millions de streams.
Toutefois, Gambi a pu désormais évaluer sa force commerciale dénuée de ce qui avait déjà été acquis avec « Popopop » et « Hé Oh ». Et les conclusions sont plutôt optimistes : en plus d’avoir sorti un album épatant, en traversant plusieurs univers musicaux et en s’affranchissant délibérément d’un rap auquel il n’a jamais prétendu appartenir, Gambi s’impose comme un phénomène aux ressources multiples, qu’elles soient créatives ou commerciales. Prometteur.
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