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Quel futur pour la virtualité dans les concerts ?
Lil Uzi Vert vient tout juste d’annoncer qu’il allait se prendre au jeu du “concert virtuel” le 27 août prochain. Une initiative de plus en plus récurrente dans le rap, qui pousse à mettre en lumière cette mouvance, son histoire et son avenir.
Le 31 août 2007 naissait Miku Hatsune, un personnage dépourvu de corps physique créé à partir du logiciel Vocaloid qui synthétise des paroles et des mélodies rentrées par écrit, pour qu’elles prennent ensuite une forme musicale. Crypton Future Media décide alors d’en faire leur fer de lance en incorporant à leur voix digitale une forme d’anthropomorphe nommée “moe”. Un mot argotique originaire du Japon désignant de “fortes émotions imprimées sur des personnages fictifs”. Ainsi, Miku prend forme et aborde un cosplay virtuel digne d’un antagoniste à l’allure de “deredere”, devenant ainsi l’une des pop stars les plus reconnue de l’archipel nippone, avec une accumulation de millions de vues sur Youtube et des concerts bien souvent remplis à ras bord de fanatiques sous dopamine.
Renaître grâce à l’hologramme
Si le phénomène de “concert virtuel” a plus de dix ans d’âge chez nos voisins férus de technologies novatrices, l’occident paraît n’avoir mis en place de telles démarches que très récemment. La pandémie et son confinement empêchant les artistes à se livrer à des prestations en live en auront mené plus d’un à se plonger dans la recherche de nouveaux canaux pour propager leur musique. Lorsque certains se plaisent à se filmer chez eux, comme on a pu le voir pour les Tiny Desk Home de NPR, d’autres voient les choses en plus grands. Le rappeur Travis Scott a entamé la mouvance à grand coup de pompe en effectuant un concert depuis le jeu Fortnite. Résultat : 12 millions de spectateurs, bien plus que ce que n’importe quelle salle de concert ne pourrait accueillir en terme de capacité.
Pourtant, l’idée consistant à remplacer l’artiste par une entité composée de fibres digitales n’en est pas à sa première tentative dans le milieu du rap. En effet, un phénomène avait pris de l’ampleur il y a quelques années de cela : celui des hologrammes. Le premier en date n’était autre que Will.i.am, membre du groupe des Black Eyed Peas, qui, à la fin de la décennie 2000, se découvre une passion pour la haute-technologie et notamment pour le genre de l’électronique qu’il va colporter dans sa musique suite à un voyage en Australie. Avant de faire voir le jour à l’album THE E.N.D revendiquant une identité futuriste, il aura expérimenté l’hologramme lors d’une apparition sur le plateau de CNN en 2008 à l’occasion de l’élection présidentielle de Barack Obama.
Là où le phénomène prendra tout son sens sera lors de du festival de Coachella en 2012 où une toute autre instrumentalisation du l’hologramme y est faite : ressusciter nos idoles d’antan le temps d’un concert. Ainsi, la projection de Tupac au côté de Snoop Dogg et Dre érige une vague d’exclamation aussi bien dans la foule qu’autour du globe après sa diffusion sur Youtube. En dehors des théories fumeuses à propos de la résurrection de Tupac, nous avons surtout droit à une suite d’artistes venus s’emparer de l’idée, qu’ils soient vivant ou décédés. Ol’ Dirty Bastard, M.I.A. ou encore Chief Keef, chacun se voit être reproduit sur l’écran holographique. Le concept prend alors une toute autre tournure mais s’essouffle très rapidement pour finalement revenir aux fondamentaux : un artiste en chair et en os face à son public en transe.
L’avenir des concerts virtuels
Or, en ces temps difficiles lors de ces derniers mois sur le plan événementiel, certains ont redoublé d’ingéniosité pour rester dans le courant de l’actualité. Alors qui de mieux que Travis Scott, l’homme à la voix robotique écrasée par des filtres vocaux, toujours à expérimenter les reliefs des textures sonores sur un multipiste pour s’immiscer dans le jeu vidéo Fortnite le temps d’un concert composé de pixels. Sous une figure imposante d’une centaine de mètre, le rappeur fait bouger pendant dix minutes une foule en délire, pourtant belle et bien cloîtrée chez elle lors de l’événement. L’accès au concert était quant à lui gratuit, Travis devant alors fructifier un revenu à travers d’autres canaux. Pour palier à cela, un merchandising décliné sous des vêtements, des figurines, des pistolets Nerf mais également par la sortie d’un single nommé The Scotts ont permis de rendre le concert encore plus rentable qu’un véritable face à face. Également, toujours sur le plan financier, les partenariats avec des grands marques peuvent être une alternative comme pour Alonzo, le rappeur marseillais, qui a décidé de s’associer avec Puma pour un concert dans le jeu vidéo GTA V quelques jours après Travis.
Derrière ce spectacle grandiloquent, ce sont une ribambelle d’architectes du digital qui s’y cache, et ils sont les plus en droit à envisager l’avenir du support. Parmi eux, l’entreprise Wave semble être sur la bonne voie pour s’attaquer à ce marché. En effet, ils auront su suivre la tendance pour proposer un concert de la chanteuse Tinashe ou encore du vocaliste John Legend en pur 3D grâce à un capteur de mouvement. Plus encore, le PDG de la compagnie V.A.L.I.S. Studio, alors interrogé par le média Pitchfork, manifeste son désire de pousser les limites du virtuel en faisant renaître des artistes : «Imaginez-vous vous rendre à un concert des Rolling Stones de 1972, ou celui de Bob Marley, Marvin Gaye. C’est ce genre de concept dont nous discutons actuellement.» Digital Domain, groupe derrière l’hologramme de Tupac, voit quant à lui une manière de personnaliser à l’extrême son avatar entre création de tatouage ou s’incorporer une forme anthropomorphique… En somme, laisser libre court à son imagination. A cette équation s’ajoute l’accessibilité toujours plus aisée vers les casques de réalité virtuel chez les utilisateurs “lambda”, ouvrant encore une fois de nouvelles portes.
Dans cette fournaise se dégage donc Lil Uzi Vert, prêt à emboîter son pied dans l’étrier pour partir en direction du monde virtuel. Suite à la sortie de l’album Eternal Atake, il propose des tickets à 15 dollars pour assister à sa performance peu détaillée du 27 août. De l’autre bord, Tekashi 6ix9ine a signé un deal de 5 millions de dollars pour effectuer un concert en streaming sur la plateforme GlobalStreamNow. Un choix judicieux s’il ne souhaite pas être confronter à ses assaillants. Concernant ces concerts virtuels qui semblent prendre de l’ampleur jour après jour, il n’y a aucun doute qu’ils vont envahir la toile encore un long moment et proposer des mises en scènes toujours plus folles. Pour autant, un tel concept ne peut évidemment pas engloutir tout le marché du live, ne pouvait disposer de l’aura si particulière dont recèle les rencontres en face à face entre l’artiste et son public. Alors sans s’élancer dans un élan de nostalgie geignarde, vivement le retour des salles de concert immaculées de sueurs, de boissons collées au sol et d’amplificateurs aux bass saturées.
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