Musique
Damso : c’est l’heure du grand bilan de « QALF »
Moins impactant que ses prédécesseurs, QALF semble être le fruit d’une stratégie d’épuration pour Damso, chargé de reconstruire sa fan-base autour de ce qui l’inspire par dessus tout : la musique.
Parfois, la rédaction d’un sujet nous amène à nous questionner sur des éléments immensément plus profonds. Ainsi, en analysant la valeur promotionnelle et commerciale de QALF, on en est finalement venu à conclure que Damso a changé. Sa position vis-à-vis du rap a changé. Monstre commercial, il a pourtant pris quelques généreux pas de recul pour faire de la musique. Pas de streams, pas de disque d’or, pas de promotion exagérée : de la musique, point. Le mois qui nous sépare désormais de QALF semble nous glisser subtilement que le rappeur bruxellois ne compte pas s’éterniser au cœur du rap francophone et ses artifices. Exilé dans son pays d’origine à l’heure d’un quatrième et essentiel album, cette distance ne semble pas être seulement physique, mais pourrait bien marquer le retrait assumé de plus en plus prononcé de Damso. Un artiste à l’indifférence commerciale parfois paradoxale, qui semble chercher à fidéliser sa communauté autour d’une seule passion commune : la musique.
QALF, une perte de vitesse commerciale
Avant de tirer des conclusions fatalistes, il semble toutefois nécessaire de porter un regard sur le tournant commercial qu’aborde Damso. Catégorisé comme l’un des vendeurs incontestables de la scène rap francophone, le Bruxellois perd peu à peu de son aura. D’abord, il y a les chiffres : en cinq semaines, QALF a enregistré 94 278 ventes. Un score évidemment hallucinant, mais presque quotidien à l’heure du rap. Cette année, Maes, Ninho ou encore PLK ont réalisé des ventes aussi impressionnantes dans un laps de temps similaire. La vérité, c’est que, comparé aux mastodontes commerciaux auxquels on le confronte régulièrement, Nekfeu ou encore PNL, Damso ne fait plus le poids.
La faute, surtout, à une obsolescence de ses albums de plus en plus rapide. En comparant les cinq premières semaines de ses trois derniers albums, Ipséité, Lithopédion et QALF, on constate que les opus de Damso résistent de moins en moins au temps. Il n’aura fallu que quatre semaines à QALF pour descendre en-dessous du seuil des 10 000 ventes, selon les chiffres obtenus par le média spécialisé Ventes Rap, via le site du Snep. Là où Lithopédion a conservé sa place dans le top 5 des vendeurs hebdomadaires pendant onze semaines consécutives en 2018, il n’en aura fallu que trois à QALF pour en sortir. Ipséité, quant à lui, bénéficie des anciens modes de calcul du Snep.
Damso et la stratégie de la « disparition »
Damso et QALF témoignent certainement des limites du modèle de la « disparition ». Habituellement très discret, le Bruxellois n’a livré des informations sur ses comptes personnels qu’au compte-goutte. Au détour d’un jeu de piste avec ses fans, il a mis régulièrement à jour l’avancée de son album, en restant très flou sur sa date de publication. Mais pour se permettre cette gestion délicate, la popularité grandiloquente que semble avoir Damso ne suffit pas. Il faut également être sûr de son schéma promotionnel. Là où Nekfeu est revenu avec un film-documentaire et un double album, là où PNL a fait son retour au sommet de la tour Eiffel, Damso s’est contenté de capitaliser sur les précommandes de son opus via une campagne d’affichage, en le livrant le vendredi à minuit. Comme prévu.
La sortie de QALF a été trop sobre, contrastant terriblement avec des fans qui ont imaginé pour et avec lui, toute une promotion fantasmatique. Selon sa communauté, il était évident que QALF n’était qu’une entrée vers un double-album. C’était faux, l’artiste l’a dit lui-même, sans pour autant nier que l’alphabet grec initié dans Ipséité verrait le jour bientôt. Des déclarations qui en deviennent presque contradictoire, et surtout, très difficiles à comprendre pour un fan, qui a eu droit à une œuvre délibérément incomplète, avec une conclusion mystérieuse. Si QALF n’a pas livré tous ses secrets, l’album a surtout perdu en chemin une bonne partie des fans de Damso, lassés de toute cette facette mind-fuck. On aperçoit là, d’ailleurs, l’ultime contradiction de Damso, qui espérait remettre la musique au centre des préoccupations avec QALF, sans pourtant proposer toutes les clés pour comprendre s’ouvrir à son univers.
«Ne te donne pas une excuse pour aimer ; une excuse pour détester»
On en vient donc à une hypothèse définitive : QALF n’est qu’une promesse de Damso à sa communauté. Un Damso exténué de tout ce que l’industrie musicale a fait de lui. Après tout, il a été clair là-dessus : son schéma de carrière s’épuisera à partir de 2022. On y est bientôt, et d’ici là, l’artiste ne cherche qu’à multiplier ses expérimentations musicales, en écartant toute promotion superflue. Sa notoriété n’aura cherché qu’à mettre en avant son pays d’origine, la République démocratique du Congo. Il sera parvenu à mettre la lumière, via les différents médias français et belges, sur l’Afrique, au détour d’une promotion uniquement imaginée à Kinshasa. D’ailleurs, s’il n’a clippé aucun de ses morceaux en solo, il a toutefois participé à un visuel auprès de Inoss’B, ainsi que Kalash Criminel, qui évoque la RDC. Une fierté apparente.
Aussi, bien qu’il ait confirmé l’apparition prochaine de l’alphabet grec, il précise qu’il s’agit là d’un pacte avec ses fans. Comme une dernière paraphe de sa carrière. Après ça, il sera libéré de tout artifice et pourra définitivement s’enfuir loin du monde. Voilà qui explique pourquoi Damso ne cherche pas à gonfler ses ventes, où à reprendre son costume de « Streamso », qu’il s’était auto-proclamé à l’époque de Ipséité. Finalement, tout le cheminement de QALF nous plonge dans une intense réflexion sur notre rapport à l’industrie musicale. Avec des clips et une promotion plus originale, l’album aurait clairement pu devenir l’un des plus gros succès commercial de ces dernières années. Mais ses retombées seront plus softs. Pourtant, à l’image d’une sorte de filtre placé en dessous de sa fan-base, Damso ne serait-il pas en train d’user de QALF pour en extraire une communauté moins vaste, mais plus fidèle ? Une communauté qui s’intéresse pleinement à son art ?
Pour Damso, la suite se jouera en plus petit comité, et c’est certainement voulu. «Arrêtez de juger, appréciez tout simplement, avouait-t-il auprès de Tarmac. Dans le sens où, quand tu aimes, tu aimes. Ne te donne pas une excuse pour aimer ; une excuse pour détester. Point. Si tu aimes, tu likes, tu follows». Qui aime, like, follow. QALF.
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