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Slimka: «Ma musique doit aller plus loin, il faut qu’elle voyage»
A l’occasion de la sortie son premier album Tunnel Vision, on a pu échanger avec Slimka. Créativité, Suisse, featurings : bienvenue dans son monde audacieux.
Dans les tuyaux depuis plus de deux ans, on y est. Le premier album de Slimka, Tunnel Vision, a vu le jour. Couvert d’une esthétique très léchée, le projet est un réel voyage, une plongée dans l’univers musical d’un artiste aussi original dans sa proposition que déterminé et précis dans la vision artistique qui l’a poussée à construire cet album. Venu «mettre Genève sur la carte», le membre de Xtrmboyz se pose en fier représentant de la scène suisse. Annonçant la couleur dès l’introduction, on branche ses écouteurs comme on attache sa ceinture pour pénétrer un parc d’attraction, avant de découvrir la richesse et la fantaisie d’un monde sans limites.
Tunnel Vision, deux ans après
«Ce nom, je l’ai en tête depuis deux ans. Depuis que j’ai fait le morceau Tunnel Vision». Annoncé pour 2020, cet album a finalement été repoussé à cause de la crise sanitaire. Un mal pour un bien finalement. Slimka a profité de cette période de battement pour se replonger pleinement dans ses morceaux, les retravailler. Il en a profité pour offrir l’EP Tunnel Vision Prélude en guise d’amuse bouche pour sa fan-base. «Avec le début du confinement, je me suis enfermé au studio et en un mois, j’ai fait tous les morceaux du prélude. C’était important de prendre mon temps, je voulais faire les choses bien pour le premier album».
Une volonté de ne pas se précipiter pour cette étape symbolique du premier album et s’assurer une sortie dans de bonnes conditions. «Le premier album, tu peux pas le balancer comme ça si tu sais que tu pourras pas le défendre comme tu l’avais prévu. Et c’est là où le prélude m’a beaucoup servi, et m’a permis de bien préparer mon album, d’améliorer mes skills et de me faire de nouvelles connexions. J’ai fait pleins de séminaires, de passages à Paris. J’ai pu connecter avec Jok’air et Captaine Roshi. Donc finalement ça m’a permis de proposer un rendu plus abouti».
Un projet riche et différent
Slimka est parvenu à proposer un contenu très hétérogène, sans pour autant ressentir le moindre déséquilibre lors de l’écoute de l’album. Du banger « Double Penthouse » au planant « Rien sans rien », en passant par le déconcertant « Plug / Cheat code » et le puissant « Pas un Euj », Slimka a proposé sur cet album un panel musical encore plus riche que ce qu’il avait pu nous proposer jusqu’ici. «J’ai aucune barrière artistique. Donc si je dois faire de la variété, je ferais de la variété. Je suis pas bridé donc je peux tester tout et n’importe quoi sans que personne ne nuise à ce que je veux faire».
Jusqu’au morceau « Kassim Sall » (son nom), un morceau très introspectif abordant des thèmes sur lesquels on l’avait peu entendu. «C’était important pour le premier album de proposer quelque chose auquel les gens peuvent vraiment se rattacher et s’identifier. Je suis un gars de la scène, j’adore le turn up, mais j’aime bien aussi que les gens retiennent des choses de mes paroles. Donc dans un registre différent. Je vais essayer de me livrer de plus en plus comme ça par la suite. Clairement, c’est un de mes meilleurs morceaux. Et c’était important dans le sens où je me revendique beaucoup en tant que Kassim. Limite maintenant, je me dis que j’aurais dû m’appeler Kassim Sall.»
Des connexions inédites
Un album sur lequel on retrouve 6 invités : ses fidèles acolytes Di-Meh, Makala et Varnish La Piscine, ainsi que Laylow, Captaine Roshi et Jok’air. Des collaborations inédites avec des artistes français, qui semblent pour autant assez logiques. «J’aime bien toute cette nouvelle vague, ils ont leur style. Même si t’aimes pas, ils ont un délire, c’est indéniable. Ils tentent des choses, sans essayer de copier ce qui se fait à gauche à droite: c’est ça l’art !». L’artiste suisse, arrivé à une certaine maturité artistique, a senti que c’était le moment de s’ouvrir à de nouveaux publics pour aller chercher des horizons différents. «Je me suis dit que maintenant, ma musique doit aller plus loin. Il faut qu’elle voyage. Et pour ça, je suis obligé de m’adapter à l’industrie francophone, mais en l’occurrence, j’ai vraiment choisi de connecter avec des gens que je kiffe et qui ont un univers unique.»
Parmi les différents invités, on retrouve surtout le Man Of The Year 2020, celui qui a explosé avec son album Trinity : Laylow. Il est présent sur le morceau « Film Fr », une douceur estivale qui apporte un peu de fraîcheur au milieu de l’album. Une connexion réussie, mais qui ne date pas pour autant du récent succès de Laylow. «On se connaissait parce qu’il avait fait un son avec Di-meh et on s’est captés à Genève après un concert. J’ai fait ma partie du morceau il y a deux ans ! Je l’avait fait écouter à Myth Syzer, et pour lui c’était un putain de hit ! On voulait inviter quelqu’un qui est en maîtrise dans son délire et donc Laylow ça l’a fait. Il est humble, respectueux. On a fait une session après son concert, je lui ai expliqué le délire, et il m’a renvoyé son couplet récemment. Mais ma partie date d’avril 2019, et j’ai pas changé une rime !».
La Tunnel Vision face à l’industrie musicale
Mais alors, qu’est-ce que cette Tunnel Vision ? Slimka l’explique sur « Interlude Tunnel »: «Mon objectif, c’était d’atteindre l’extrême vitesse nécessaire à mes ambitions artistiques. Une vitesse qui me permet aujourd’hui de modéliser ma vision tunnel pour éviter tout ce qui est nuisible et tracer une ligne droite de ma destinée». Eviter tout ce qui est nuisible. Dans une industrie qui pousse à la surproduction, à la surconsommation, et à un formatage évident, parfois même inconscient, de certains projets, rare sont ceux qui gardent leur concentration sur leur objectif musical. «Tu vois, c’est comme les chevaux qui ont des œillères pendant les courses: ils sont focus et il n’y a rien qui peut les déranger. Et bah moi c’est pareil, tous les haters, ceux qui parlent sur moi, le monde du rap… J’essaie de faire abstraction de tout ça et rester dans ma tunnel vision. Ca a toujours été notre ligne directrice sauf que maintenant on arrive à mettre des mots dessus. Tu vois, Di-meh avait sorti son projet Focus: on est dans cette vision-là.»
L’enjeu se trouve bel et bien ici pour certains artistes aujourd’hui. Réussir à s’incorporer dans l’industrie musicale pour faire voyager sa musique, sans pour autant laisser d’autres entités (labels, radios…) décider pour eux. «Moi, jamais de la vie je vais un son comme ce qui se fait dans le top, vraiment c’est impossible. Même faire un feat avec un mec du top, c’est seulement si il vient dans mon univers, là pourquoi pas. Sinon, si je dois me caler sur les labels, les maisons de disques, qui veulent que ton son passe en radio etc, c’est mort». Une industrie qui, si on la laisse prendre le dessus, ferme des portes et limite la créativité des artistes. «Il y a beaucoup de manque de respect dans cette industrie vis-à-vis des artistes, des décisions te concernant qui sont prises sans même te consulter avant. On n’est pas des jouets. Dans mon label, vraiment je fais l’effort de beaucoup parler. Moi, je suis quelqu’un de très humain, je parle aux gens si j’ai un problème ou quoi. Chez nous, il y a pas de star système ou quoi, on a la tête sur les épaules et on se respecte mutuellement. Je viens de Genève, personne nous a aidé à être où on est aujourd’hui, ça a toujours été nos choix, nos idées et ça restera comme ça.»
Slimka: « Mettre Genève sur la carte »
« Bruxelles arrive », sorti il y a 5 ans, a annoncé la vague de rappeurs belges qui a explosé et qui est aujourd’hui particulièrement bien installée dans l’industrie francophone. Et si c’était au tour de Genève ? Slimka, membre du groupe Xtrmboys avec Di-meh et Makala, insiste tout le long du projet sur le mouvement qui prend forme en Suisse.«Di-meh a sorti son album, Makala ça va bientôt arriver. Les gens ont envie de renouvellement, et nous on commence à se faire connaître un peu à Paris depuis quelques années. Il faut juste qu’il se passe un truc qui fait que ça pète pour qu’on rentre dans le truc». Seulement, rappeur suisse et proposition spé doivent pousser l’artiste à dédoubler d’effort pour donner de la lumière à sa musique. «A Genève, c’est compliqué de ouf donc il faut bouger, faire plus d’effort que les autres. Faut aller à Paris, pas avoir peur de perdre du biff. T’es obligé de perdre de l’argent au début pour sortir de ta zone de confort et tout donner pour faire ça qui te passionne. Ceux qui ont peur de perdre de l’argent, ils iront jamais loin »».
Fortement encouragé par les succès des rappeurs « de niche » au cours de l’année 2020 (Laylow, Freeze Corleone, Dinos, Alpha Wann…), Slimka sent que c’est maintenant qu’il faut accélérer pour s’engouffrer dans la faille qui s’ouvre. «Ça donne de l’espoir à 200% de continuer comme ça. Si ça a pris, ça veut dire que ça prendra pour moi aussi. Faut juste continuer, être vif, smart et patient parce que ça prend plus de temps aussi. Tu matraques les gens de ton délire et c’est obligé il se passe un truc. S’il se passe rien, je pars à Rio vivre dans une caravane et on m’oublie». Rempli de rêves et d’ambition, Slimka ne compte pas se reposer. La sortie de Tunnel Vision l’encourage à poursuivre son effort en proposant de nouvelles choses. Le renouveau en permanence. «La suite ? Il y a différentes choses auxquelles je pense. Peut-être un No Bad, Vol. 3, peut-être une réédition. Changer aussi de format, faire un 5-6 titres en duo avec un producteur». Quid de l’album commun avec Di-meh demandé depuis si longtemps ? «C’est sûr que ça va se faire, là on est sur nos projets solos depuis deux ans, mais t’inquiètes pas, c’est toujours dans les tuyaux». Pour l’instant, Tunnel Vision est disponible. Un projet remarquable pour cet artiste bourré de talent et de créativité.
Dans le reste de l’actualité, nous avons rencontré Grenn Montana pour MELANCHOLIA 999.