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Chanje : « »ADN » est le projet dont je suis le plus fier»
À travers ADN, Chanje poursuit son ascension entamée avec Pacemaker et E.M.I. Rencontre avec un artiste à l’univers en pleine expansion.
Il est de ceux qui mettent l’esthétique au même niveau que la musique. Si jusqu’ici, il n’avait pas pu explorer pleinement le bouillonnement artistique qui s’échappe de son cerveau, Chanje semble enfin passer le cap avec ADN. Les visuels sont léchés et servent une trame narrative difficile à cerner, mais étonnement captivante tout au long d’un projet habillé de collaborations éclatantes et réussies. Avec ADN, Chanje poursuit son ascension entamée avec Pacemaker et E.M.I. Rencontre avec un artiste à l’univers en pleine expansion. Rencontre avec un artiste à l’univers en pleine expansion.
Chanje comment tu vas ? Près d’un an après E.M.I et notre dernière rencontre, comment tu te sens ? Qu’est-ce qui a pu changer, si tu fais un bilan de cette année écoulée ?
Ça va super. En vrai, c’était un peu compliqué évidemment, COVID et tout ce qu’on connaît. Mais en vrai que du bon. Musicalement c’est vraiment le projet dont je suis le plus fier. Concernant mon image je suis trop content de ce que j’ai réussi à faire. Les chiffres montent, j’ai plus de reconnaissance du public, donc que du bon. Cette année ça a été beaucoup de travail du coup, parce qu’il y avait le projet en préparation, mais j’ai trouvé ma formule de travail. Donc je suis content. E.M.I m’a aussi prouvé à moi-même que je pouvais me risquer à faire des formules, des morceaux plus simples. C’était un peu une exploration où je tentais des trucs, et je suis très content du résultat.
Est-ce que tu te souviens de tes premiers souvenirs liés à la musique et au rap ? Comment tu rentres dedans ?
Avant le collège j’écoutais ce qu’écoutaient mes parents. Les Beatles beaucoup, ou encore David Bowie et les Red Hot. Et après à l’école il y avait forcément un peu de La Fouine, de Diam’s mais ce qui m’a vraiment fait rentrer dans le rap c’est la Sexion avec L’école des points vitaux. Ensuite il y a eu 1995, Niro, Youssoupha, Hayce Lemsi et depuis 2010-2011 c’est vraiment devenu un truc essentiel à ma vie. Après j’ai rattrapé mon retard, je me suis mangé les Lunatic, Temps Mort, Ouest Side, Opéra Puccino. Bien sûr, j’ai écouté L’école du micro d’argent, mais ça m’a moins mis une tarte IAM ou NTM, que Booba. La Fouine et son album Mes Repères, le morceau « Rap Français » qui était vraiment mon préféré. La Fouine a trop de classiques. Après il y a eu Sniper et voilà, tout s’est enchainé après 2010.
Et à quel moment tu te dis que c’est ce que tu veux faire ?
Je chante depuis petit donc j’avais ce truc de vouloir et savoir faire de la musique, donc je voulais rapper direct, dès que je tombe dedans. J’ai rencontré mon gars Diez avec qui j’ai formé mon premier groupe : OBJ. J’ai toujours voulu faire du rap et c’était un peu un rêve au départ. Je m’imaginais en concert, en showcase, en interview, à des remises de prix. Tu t’imagines des trucs et t’oses pas trop y croire. Et après le lycée je rencontre mon manager, et je me dis que c’est ce que je veux faire de ma vie. J’ai eu la chance de pouvoir le faire aussi, car je vivais chez mes parents, Dieu bénisse je manquais de rien. J’ai la chance d’avoir pu réaliser un rêve, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Et en 2018 je sors mon premier projet : ONI. Mon tout premier quatre titres. Évidemment il y a des sons qui ont mal vieilli, mais j’ai de l’affection quand même pour ce projet, c’est mon petit bébé, pas très beau mais on l’aime quand même (rires).
Aujourd’hui on en est à ADN. Quand est-ce que tu commences à penser à ce projet et combien de temps t’as passé dessus ?
Un mois et demi après la sortie d’E.M.I, je commence à avoir les premières bribes. Au début je ne pense pas à la musique, mais à l’image. Au délire que je veux amener sur le projet. Le truc sur les expériences, une organisation, une histoire, un vrai background. Et je pense que je termine le projet il y a à peine plus d’un mois. Le son avec EDGE, « Miracle », on l’a enregistré un mois avant la sortie. Mais je passe six bons mois à tout enregistrer chez moi. J’aimais bien ce délire d’être à la maison, c’est sincère. J’ai beaucoup beaucoup taffé chez moi, j’ai travaillé sur 5-6 prods du projet. Et à côté je bosse énormément l’image. Je fais des recherches sur des articles du CNRS, sur la génétique, sur le cerveau, pour pouvoir proposer un vrai univers aux gens. J’ai même écrit plein de dossiers, des fiches explicatives, qu’on donnera aux gens. J’ai créé un truc que je pourrais faire en BD. Depuis petit je suis fan de Comics, de Mangas et créer des histoires c’est un truc que je fais depuis toujours et là j’ai essayé de le mêler à la musique.
C’est un truc qui se sent, à travers les différentes interludes du projet notamment. Est ce que tu peux me parler un peu de cette histoire ?
Justement, j’ai voulu faire en sorte que l’histoire ne soit pas forcément compréhensible. Je voulais pas faire un truc trop gras pour le donner à mon public et dire : « Tiens, regarde. C’est ça. » Je trouvais ça un peu dommage de faire ça comme ça. Si c’est un peu ésotérique, ça me plaît, si t’as besoin d’aller chercher les réponses je trouve ça cool. Donc je voulais qu’on comprenne l’histoire sur plusieurs médiums : la musique, les clips et les documents qu’on va donner sur Internet. Mais je ne veux pas forcer la main aux gens. S’ils ont envie d’écouter le projet seulement sur le plan musical, c’est la musique qui prime avant l’histoire. L’histoire c’est juste un truc autour.
Parlons un peu des beatmakers. Tu m’as dit que t’avais bossé sur quelques prods, tu travailles aussi toujours avec Herman Shank, mais j’ai l’impression qu’il y a plus de monde qu’avant sur ADN.
Herman est sur toutes les prods, que ce soit en arrangements ou quoi que ce soit. Il chapeautait le tout, c’était mon directeur musical. Chaque prod passait toujours par lui. On travaille tellement bien ensemble et on a tellement l’habitude donc je préfère ça. Mais j’ai fait appel à d’autres personnes, comme Le Dim, Mingus et 4u. Je suis allé en studio avec des gens et il en est ressorti de belles choses. J’ai jamais fermé la porte à bosser avec d’autres gens mais jusqu’ici ça se faisait comme ça : j’étais avec Herman, j’aimais ce qu’il faisait donc on bossait ensemble. Après c’est cool de s’ouvrir à d’autres personnes, parce que ça t’apporte d’autres influences, d’autres styles de travail. Mais je bosserai toujours avec Herman.
C’est aussi le cas pour les featurings. Les collaborations faisaient pas énormément partie de ta musique jusqu’ici, et sur le projet il y a quand même des gros noms, notamment Aketo, qui peut-être celui qui m’a le plus surpris.
Aketo c’est devenu un très bon ami, et j’en suis fier et heureux. On essaie de se retrouver toutes les semaines en studio. C’est plus une occasion de se voir qu’autre chose, mais on fait de la musique aussi, et on a des morceaux ensemble qu’on essaiera de sortir. Jusqu’ici, les feats faisaient pas partie de ma musique mais c’était pas forcément voulu. Sur E.M.I il devait y avoir des feats, puis j’ai du en enlever certains, et d’autres ne se sont pas faits, donc à la fin on s’est retrouvé avec aucun feat. Le projet me plaisait donc on l’a sorti comme ça. Là, ça devient intéressant de s’ouvrir à des feats, musicalement je kiffe parce que tu te mets face à un autre univers que le tien. Et c’est cool de voir comment tu l’amènes dans le tien, comment tu rentres dans le sien. Sans mentir, en visibilité, c’est aussi une stratégie. Mais on m’a déjà proposé des artistes dont je suis pas forcément fan de la musique, qui avaient beaucoup de notoriété et j’ai dit non merci.
Il faut que l’univers te parle un minimum pour collaborer ?
Ah ouais, forcément. Après tu me dis Wejdene, je le fais parce que la SACEM elle doit être terrible ! (rires) Mais si la musique du mec ne me plaît pas, ça m’intéresse pas de le faire. La visibilité que ça peut t’amener, si elle vient pas par un feat, elle viendra par autre chose. Je cours pas forcément après.
Sur ADN, on sent une volonté de resserrer le tir musicalement, afin d’affiner ton univers. C’es quelque chose que tu as recherché ?
C’est un peu le délire ouais. Je me suis pas forcé, je me suis pas dit qu’il fallait que je fasse comme ça, j’ai pas du tout eu cette gamberge là, c’est plus venu naturellement. Et avec l’expérience, je sais que je peux te faire des grosses zumbas de fou, mais je les mets pas dans le projet. Je trouve qu’il y a pleins de morceaux qui sont différents au sein d’ADN. Genre « Canette » et « Main gauche » qui n’ont rien à voir avec des piano voix comme « Bon pour la santé ». Il y a plusieurs univers différents mais ça fait une belle peinture avec une très belle cohérence. C’est un truc dont je suis très fier.
C’est aussi un projet plus sombre que les autres.
Pacemaker était aussi pas mal dans la déprime. ADN est plus assumé sombre, mais sans « Canette » et « Main gauche » le projet aurait été pesant. Même « Miracle », c’est un peu plus lumineux. Je n’ai, je pense, jamais écrit un texte très joyeux. J’adore faire des trucs très joyeux musicalement avec des paroles pesantes. Donc oui, ADN est très sombre, parce que c’était la merde dans ma vie, c’était dur, donc c’est ce qui en est sorti. Mais il est pas trop pesant. Et t’as plusieurs moods différents.
L’autre gros travail qui a été fait c’est sur ta voix. Est-ce que t’as le ressenti d’avoir trouvé un peu plus ton empreinte vocale ?
Pas du tout. Mais c’est peut-être parce que j’ai pas assez de recul. Je pense que c’est ça, c’est comme quand tu te vois pas grandir. Je pense que c’est plus naturel, mais après si ça se ressent c’est trop cool. Après c’est peut-être aussi une technique de mix. D’ailleurs je fais un gros big up à mes ingés sons parce que je suis vraiment une galère là-dessus. J’essaie d’avoir un peu l’oeil sur tout. Je laisse l’expertise aux gens qui sont experts, dans le sens où c’est pas mon travail et qu’ils sont bien meilleurs que moi, donc j’écoute leurs conseils. Mais si j’ai un truc où j’ai pas envie de faire de compromis, je mets mon grain de sel.
De quel oeil tu vois la sortie d’ADN ? Qu’est ce que tu penses que le projet peut t’apporter ?
Très honnêtement, pour parler très français, j’espère évidemment qu’il va me faire passer un cap. Mais c’est un truc que j’espère à chaque projet et ce serait mentir si je disais que j’ai pas envie que chaque projet fasse disque de platine. Mais je me promets rien, je m’attends à rien. Déjà, je suis très fier de ce que j’ai fait, vraiment ultra fier. Vraiment, je crois que c’est le projet dont je suis le plus fier. E.M.I et Pacemaker quand c’est sorti j’étais très content, très fier aussi mais… Il y avait des petits trucs qui allaient pas, que ce soit la musique, que ce soit l’image. Là vraiment j’ai fait au mieux et je suis refait. Tout me va. Alors évidemment t’as toujours ce truc de perfectionnisme avec ce petit détail que tu voyais autrement. Mais dans la globalité, je suis extrêmement fier, ému et très content d’avoir fait ce projet. Surtout qu’il raconte des trucs très personnels, mais de manière moins brut qu’avant donc ça m’a permis de dire plus de choses. Après pour réussir à passer ce cap, c’est le public qui en décide aussi. Mais là où je suis maintenant, le Antoine d’il y a trois ans il aurait tué pour y être.
Comme tu le disais c’est un projet dans lequel tu te livres plus qu’avant. Est-ce que c’est un cap qui a été compliqué à passer de parler autant de soi ?
J’ai toujours fait que ça. La première chose que je fais quand j’écris, et c’est extrêmement égoïste, c’est que je ne pense à personne d’autre et je fais de la musique pour moi. Je pense à rien d’autre, je le fais que pour moi… Parce que c’est ce qui m’a sauvé la vie quand j’étais plus jeune. L’écriture en elle même est super importante pour moi, même si je raconte pas forcément grand chose dedans. Après les interludes c’est des métaphores, donc c’est un peu difficile à comprendre mais c’était ce que je voulais aussi comme je l’ai dit. Et dedans je parle de traitements, de trucs dans le genre que j’abordais très vite fait sur les deux derniers projets, mais c’est un truc que maintenant j’assume un peu plus… J’ai pas forcément envie d’en parler à fond, mais c’est des trucs qui ont une énorme importance dans ma vie, depuis que je suis petit donc je suis obligé d’en parler. Et si certaines personnes peuvent se reconnaître la dedans, si ça peut aider, c’est tout bénef. Il y a eu des moments où c’était dur à écrire parce que j’avais trop de sentiments, et du coup il n’y a rien qui sort. Mais je me suis pas forcé à le faire, parce que je voulais pas me forcer à le faire. Sur E.M.I j’avais pas envie de le faire donc je l’ai pas fait. Sur ce projet, j’avais envie de le faire, j’avais besoin de le faire donc je l’ai fait. J’ai pas envie de forcer l’écriture pour tirer la larme à l’oeil des gens.
On voulait aussi revenir sur cette outro très acoustique qui dénote complètement avec le reste du projet. Comment tu l’as pensé ?
J’ai composé le piano chez moi, la prod a beaucoup changé après ça mais le piano est resté le même. En fait sur E.M.I, le premier morceau s’appelle « Mauvais pour l’éducation », et je voulais que le dernier morceau de ce projet s’appelle « Bon pour la santé ». C’est en référence à Akira, «Good for health, bad for eductaion», c’est ce qu’il y a écrit sur les pilules dans Akira. Je savais que je voulais un morceau qui s’appellerait comme ça, mais je savais pas ce que j’allais raconter dessus. Sur la partie acoustique c’est un truc qu’on a toujours voulu avec Herman, parce que c’est un truc qu’on aime. On a poussé le truc sur « Bon pour la santé » avec une vraie batterie et j’aime bien avoir sur chaque projet, un morceau un peu chelou qui dénote du reste. Très honnêtement c’est mon morceau préféré du projet et c’est un truc vers lequel j’aimerais, pourquoi pas, tendre plus souvent.
C’est un projet qui semble être charnière dans ta carrière. Est ce qu’il clôt un chapitre ou est ce qu’il en ouvre un nouveau ?
Il en… Continue un chapitre. Dans l’histoire, E.M.I et Pacemaker ont une importance. Donc ça continue cette ère là. Mais ça ouvre un nouveau cycle un peu musical, mais aussi dans la narration, dans l’histoire et dans l’image.
T’as d’ores et déjà annoncé une date à La Boule Noire. Toutes ces histoires de concerts commencent à revenir à la normale. T’as hâte de remonter sur scène ?
Évidemment j’ai hâte, c’est trop bien les concerts. C’est là où je suis le plus à l’aise, c’est même mon terrain de prédilection. C’est vraiment le truc que je sais le mieux faire, j’étais même meilleur avant sur scène qu’en studio. J’ai commencé par ça, et donc évidemment que ça me manque de fou. Et surtout à La Boule Noire je vais pouvoir rencontrer mon public, et c’est génial. J’ai juste envie de chanter devant des gens et devant mon public.
Comment tu vois ADN ? Est-ce que c’est un EP, une mixtape, un album ?
Rien à péter (rires). Personne n’est très très au fait de ce que sont les projets aujourd’hui. Est-ce que c’est un EP, un maxi, une tape ? Il y a un milliard de titres et j’ai l’impression que ça dépend juste de la promo et l’oseille que tu mets dessus. Dire EP en vrai c’est prendre moins de risques, mais moi je l’ai construit comme un album. Il y a genre 13 titres en comptant les interludes… Ça fait quand même un gros EP. Pour un album, le format parfait ça serait de 14 à 16 titres, grand max. Plus, ça me casse les couilles. Après il y a des albums de 18, 20 titres qui sont exceptionnels, mais c’est rare. Là j’ai fait 13 titres, on appelle ça un EP. J’en rajoute un, c’est un album ? Je l’appelle EP. Mais pourquoi ? Je sais pas trop.
Parce qu’il peut y avoir ce truc du premier album, qui est encore un milestone auquel certains artistes peuvent être attachés.
Ouais, mais qu’est ce que ça change pour moi ? Parce que moi, ma manière de travailler ne va pas changer selon les projets. Ce qui va changer c’est l’oseille qu’on va mettre en promo, l’oseille qu’on va mettre sur les clips, c’est comment on va en parler, comment les gens vont le percevoir. En fait, quand tu parles de premier album, c’est censé être le truc qui va faire du bruit, sur lequel on t’attend. Mais moi, un EP de 13 titres ou un album de 15 titres, je vais le bosser exactement de la même manière. Donc je pense que dans la forme, ADN est un EP mais… C’est un projet. C’est de la musique.
J’avais envie de conclure l’interview par un adage que tu répètes souvent. Tu vois où je veux en venir ?
(Rires) Souhaite nous santé et bonheur le reste on l’achètera. C’est toujours la même chose, il n’y a rien de plus important. La santé et le bonheur de mes proches et moi.
Chanje – ADN