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Veerus : «L’art, c’est surprendre et être maître de sa démarche»
A l’occasion de la sortie de son dernier projet Post Scriptum, nous avons eu la chance de discuter avec Veerus.
Avec près d’une dizaine d’années de carrière dans le rap, Veerus est de cette génération de découpeurs qui ont fait le choix de bannir le mot « format » de leur vocabulaire. Sous-marin du game, le rappeur de Dunkerque a tout au long de son aventure su convier des partenaires d’armes dans sa course, faisant de lui aujourd’hui un des porte-étendards de son genre. C’est ainsi que nous avons eu la joie de nous entretenir avec ce passionné de rap, amoureux de la rime et de la punchline. Il a pu nous faire part de sa vision du game, nous expliquer ses choix qui l’ont mené aujourd’hui jusqu’à Post Scriptum.
Salut Veerus, on se retrouve pour la sortie de Post Scriptum, comment tu te sens peu après la sortie de ce nouveau projet ?
J’ai eu des super retours du public, j’ai reçu pleins de messages ! Je craignais que les gens se focus uniquement sur les featurings, vu qu’il y en a beaucoup, et que je n’ai pas de retour sur les solos, mais franchement j’ai reçu des messages qui parlent de tous les sons de l’album. J’ai fait un live Twitch avec Laskiiz, les gens ont pu me donner leur ressenti. Je crois que l’album a été compris et j’en suis super content. Ca a été difficile de choisir 13 morceaux sur les 60 qu’on a faits, mais on a l’impression d’avoir pu livrer quelque chose qui nous plait et qui a réussi à plaire aux gens.
Tu peux nous expliquer pourquoi tu as choisi ce titre ?
D’abord parce que c’est les initiales de mon quartier, Petite Sainte et parce que c’est ce que tu vas spécifier à une personne en bas d’une lettre, même si tu as dit déjà beaucoup de choses, c’est la dernière chose que la personne va retenir. J’aimais bien cette idée de ce qu’il y a tout en bas de la page, parce que j’ai déjà sorti des projets avant et on arrive sur le bas de cette page. En plus je kiffe les titres en latin, je trouve qu’il y a un truc poétique que j’aime beaucoup.
Tu considères ce projet comme le dernier ?
Non, je le considère pas comme le dernier, mais l’avenir est bien incertain. Et j’aime aussi bien l’idée du dernier message de la lettre, parce que veut aussi dire que je prends pas les choses pour acquises, je ne sais pas ce que je ferai demain. Parfois je sors un projet et même pas une semaine après sa sortie on me demande déjà « C’est quand le prochain ? », mais c’est dur de se projeter, alors que je sais déjà pas si je vais me réveiller demain. Donc j’essaie d’être terre à terre en mettant de la qualité dans ce projet, pour que j’en sois le plus content possible, comme si c’était mon dernier.
En 2020, quand tu sortais Monark. Tu définissais déjà cette EP comme le projet où tu avais mis les morceaux qui ne figureraient pas dans l’album qui arriverait par la suite. Comment as-tu construit Post Scriptum ?
J’ai commencé à faire pas mal de morceaux à partir de 2020, mais j’avais pas d’idée claire sur la direction. J’ai juste commencé par faire pleins de sons, jusqu’à ce que quelques morceaux qui me plaisent vraiment aillent dans une vraie direction. J’ai sorti Monark avec des sons qui étaient trop différents pour être dans le projet et après on a pris du temps pour la logistique, les featurings, les clips, etc, donc le projet s’est construit relativement vite. Mais j’avais surtout souvent l’impression qu’il manquait quelque chose, du coup j’ai fait beaucoup de morceaux. J’ai essayé de pas me prendre la tête et de faire de la musique comme ça vient, et après dans l’assemblage j’ai sélectionné les morceaux en fonction des ambiances que je voulais pour le projet, ça me tenait à cœur de faire quelque chose de cohérent.
Ça faisait deux ans que tu n’avais pas sorti de projet, ton dernier EP Monark date de 2020, là où la mode est à « un album par an ». Depuis tes débuts tu suis ton propre rythme de sortie, c’est un choix qui se conjugue assez bien avec ton statut de rappeur indé. Ça a toujours été un vœu pour toi de t’affranchir toutes ces règles imposées par l’industrie ?
Je trouve qu’il y a beaucoup de codes dans l’industrie et la chose à laquelle je tiens le plus c’est la liberté, surtout dans ma musique. J’ai pas de rythme, ce qui veut dire que je peux ne pas sortir de projet pendant deux ans, comme sortir 4 projets cette année. Maintenant j’essaie d’être dans la spontanéité, là où tout le monde est dans le calcul, pour moi l’art c’est la liberté. Je fais constamment des morceaux, même quand j’écris pour d’autres artistes, ce qui fait que je crée tout le temps. Donc si demain je trouve une cohérence dans une suite de morceaux, je peux, si j’ai l’envie, sortir un EP. J’ai été signé aussi, donc il y a eu des moments où j’ai été un peu moins libre et maintenant je suis sur mon propre label, j’ai tenu à retrouver cette liberté, à gérer mon rythme de sortie et ma créativité. Je m’impose aucun rythme et j’aime aussi que les gens soient dans la surprise. Je pense que Freeze Corleone nous a rappelé qu’il n’y a rien de plus fort que le côté organique. L’art c’est surprendre et être maître de sa démarche.
Plusieurs rappeurs qui partagent le même univers que toi ont aussi fait ce choix de l’indépendance, comment s’est fait le choix de ton coté ?
J’ai toujours voulu être indépendant, j’ai jamais été signé en artiste, j’étais associé à des labels, maintenant je suis 100% maître de mon truc et je bosse juste en distribution avec quelqu’un. Mais je diabolise pas du tout les labels, il y a des gens qui font très bien leur travail, je pense surtout que chaque artiste doit trouver la formule adaptée à ses besoins et sa volonté. Avec les membres de L’Entourage, on a un rap qui est difficile à manœuvrer pour un label et il y a personne qui sait mieux que nous ce qu’on veut faire. Chez des Américains comme Nipsey Hussle, dont les rappeurs qu’on a cité sont fans aussi, il y a cette volonté d’indépendance. C’est pas de l’orgueil de vouloir rester maître de sa musique, parce que quand tu fais cette musique, tu fais des sacrifices dans ta vie pour avancer et t’émanciper. Donc tout donner à une tierce personne qui n’a pas forcément la même vision que toi, c’est un risque. En France on a des années de retard sur les Etats-Unis dans la musique, mais je sais très bien que c’est pas le même pays, c’est pas la même économie, mais il faut pas qu’on ait peur de tenter des choses et de casser les règles. Sinon on n’avancera jamais, on restera dans des règles dictées par l’industrie, des stats, de la data. Mais l’art c’est l’inverse des mathématiques. La stratégie c’est bien pour certains artistes, mais c’est pas ma vision de l’art.
En ce moment plusieurs artistes se plaignent justement de l’incompréhension artistique et financière qu’ils peuvent avoir avec les majors, par rapport aux bénéfices qu’ils arrivent tirer de leur musique.
Je pense qu’il faut connaitre la musique pour la juger et la travailler, et le problème c’est le manque de culture. Il y a des mecs comme Joke ou Freeze Corleone, qui sont très durs à marketer parce qu’ils ressemblent à rien de ce qui s’est fait avant, donc si tu as pas la culture pour connaitre l’équivalent à l’international, tu auras pas le recul nécessaire. Je pense que malgré le fait que certains fassent très bien leur taff, il y a beaucoup de DA qui ont un manque de culture sur le rap américain, le rap à l’ancienne et qui sont là simplement pour les diplômes. C’est cool de faire une école de commerce, mais malheureusement on vend pas des vitres. Pour convaincre quelqu’un d’écouter quelque chose, il faut que toi-même tu sois déjà spécialiste dans le domaine. Du coup il peut y avoir de la frustration chez les artistes qui sont conseillés par des gens qui ne les comprennent pas.
Tu as l’air plus influencé par le rap américain ?
J’écoute du rap français, il y a des artistes que je trouve super chauds, mais les propositions aux Etats-Unis me parlent plus. Je suis plus influencé par ça même dans ma façon d’écrire. J’utilise beaucoup d’images, comme des Lloyd Banks, Conway The Machine, Pusha T, Jay-Z, c’est vraiment ça qui me stimule. Aux Etats-Unis, les « bars » c’est un truc qui est ancré depuis longtemps, c’est pas des punchlines, c’est plus des lignes fortes. Freeze, Joke sont très forts dans ça, le point commun c’est qu’on a écouté à la fois du rap français actuel et à l’ancienne, mais on écoute surtout beaucoup d’américains. C’est pas forcément ce qui marche le plus, on pourrait faire des sons plus efficaces, mais moi c’est dans ça que je me reconnais.
On retrouve Freeze, Limsa, Nahir et Caballero & JeanJass sur Post Scriptum. Même si tu as toujours été un artiste solo, on t’a souvent retrouvé au coeur de groupes et collectifs importants du rap français, avec qui on sent que t’as une bonne alchimie.
C’est une question d’influence, on a tous des influences communes, en rap français on a tous écouté les mêmes classiques à peu près au même moment, de la même manière on à commencé à rapper à peu près au même moment. On s’est tous connus au début des années 2010, il y a d’autres gens avec qui aussi tu sais que tu vas feat un jour, mais pour ceux que tu as cité, j’entretiens de très bon rapports avec eux, on se parle tout le temps, c’est des frérots, donc c’est simple. Il y a souvent eu un respect dans mes feats, parce qu’on se reconnait dans les styles et les volontés qu’on partage. Je capte tout de suite quand quelqu’un partage un peu mon univers et ça facilite le contact quand tu parles la même langue et que tu vis dans le même monde qu’un autre.
D’ailleurs tu peux nous expliquer comment s’est fait la connexion avec Nahir ?
A la base on se connaissait pas, mais ça s’est fait très simplement ! Je l’ai connu avec « Moneygram », le feat avec Freeze, je l’ai trouvé super fort et j’en ai parlé avec Freeze. On a un mec en commun, Sazamizy, je lui ai parlé de mon projet et de ma volonté de bosser avec Nahir et il lui en a parlé et lui aussi m’a validé donc on a fait une session ensemble. C’est un frérot qui est entouré par les mêmes gens que moi, donc la connexion est logique. Et ça s’est super bien passé, on était tous les deux très contents du morceau. Moi je fais pas de concession, il faut que tous les critères soient réunis, je peux pas faire un feat avec un mec que j’aime pas ou avec qui on n’a aucun rapport. Il faut vraiment que je kiffe là où il veut aller.
T’as démarré ta carrière en 2011, mais t’as su rester dans l’ère du temps sans te dénaturer et sans changer ton propos, que ça soit par ton évolution, en featant avec des rappeurs de la nouvelle génération ou en écrivant pour des artistes d’autres univers. C’était difficile pour toi ?
C’est ce qui est le plus dur, de rester dans l’ère du temps sans se dénaturer ! Mais j’essais d’être naturel, au quotidien j’écoute de tout, toutes les nouvelles sorties françaises et américaines. Il faut évoluer en même temps que la musique, et je considère que je serai toujours fidèle à moi-même, le fond ne changera jamais. Je vais jamais rapper des choses qui me ressemblent pas, mais la forme peut évoluer. Si demain j’ai envie de faire un projet RnB, comme un projet drill, je vais le faire.
Depuis quelques temps maintenant, on a droit à un retour du rap dans sa forme originelle. De même, tu es un habitué des projets cours entre tes EP et tes autres projets qui ne dépassent pas les 13 titres. Aujourd’hui les rappeurs se remettent à faire des EP, mais également des sons plus courts. Toutes les conditions ne seraient elles pas réunies pour que ce soit à ton tour d’arriver sur le devant de la scène ?
Forcément, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus de portes qui sont ouvertes, il y a beaucoup plus de gens qui sont disposés à écouter du rap pur avec de la technique. Je suis dans la démarche de créer et maximiser les sorties le plus possible, mais je me pose pas ces questions. Je suis juste convaincu que c’est la meilleure chose à faire, que je veux faire un bon projet et je le sors. Quand tu te projettes trop, c’est déjà plus ce que tu as envie de faire. J’essaie d’être le plus simple et spontané possible. L’époque est plus favorable, c’est sûr, mais ça n’impacte pas pour autant la manière dont j’ai envie de faire et sortir ma musique.
On retrouve souvent des extraits de films qui introduisent ou clôturent tes sons, ce qui donne une dimension cinématographique à tes projets. C’est quoi les films qui ont pu influencer ton univers artistique ?
Je suis un grand fan de Di Caprio, le côté insolent que j’ai dans mes phases, c’est un peu ce qu’il peut avoir dans certains de ses rôles comme Attrape moi si tu peux ou Le Loup de Wall Street où tu sais qu’il est intelligent, mais il reste arrogant. Sinon mes influences vont plus être dans les ambiances, je vais écouter une prod et ça va me faire penser à un film. Les films comme Boyz N The Hood, Menace II Society, m’ont matrixé. Je trouve plus le même charme dans les films récents, c’est surtout le cinéma des années 1990 qui m’inspire. J’étais trop petit, mais quand j’ai grandi c’est les classiques que mon grand frère voulait que je regarde. La culture rap c’est aussi la culture afro-américaine, donc c’est important pour moi de connaitre ça, si tu veux connaitre les références de pleins de rappeurs c’est mieux d’avoir vu ces films.
Comme a pu le dire, tu n’es pas de ceux qui s’imposent un rythme de sortie strict, mais à quoi pouvons-nous nous attendre pour la suite ?
On peut s’attendre à tout, mais surtout à de la nouvelle musique en 2022. Je vais pas attendre aussi longtemps que je l’ai fait, je fais beaucoup de musique en ce moment et j’ai un bon élan avec le projet. Pour l’instant on va bien défendre le projet, pour qu’il soit entendu par le plus de gens possible, parce que j’en suis fier. Je sais pas encore sous quelle forme et sous quelle quantité mais il y aura de la nouvelle musique cette année.
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