Interviews
A2h : «Ca m’intéresse plus aujourd’hui de faire semblant que tout va bien»
15A l’occasion de la sortie de son double album Une rose et une lame, nous avons retrouvé A2H, pour parler amour, mais aussi et surtout rap.
Après un an et demi d’absence, A2h a remit les couverts avec le double album Une rose et une lame, sorti fin mars. Un projet scindé en deux parties, illustrant parfaitement la personnalité du rappeur de Melun : à la fois passionné de soul et RnB, mais aussi bousillé de rap. C’est ainsi que ce rappeur déclassé a réussi à nous surprendre par un renouvellement dans les thématiques, les images et la musicalités mises en avant avec ce nouveau projet. Nous avons ainsi eu la chance de pouvoir échanger avec A2h, qui a pu répondre à toutes nos interrogations sur cette nouvelle étape de sa carrière.
Salut A2h, on se retrouve pour Une rose et une lame, comment tu te sens un peu après la sortie du projet ? Tu as eu des retours du public ?
Franchement je me sens super bien, parce que la tournée se passe bien, l’accueil du public est fou. J’ai eu de bons retours sur le concept de l’album et sa qualité, je suis super content, on est dans une bonne période.
Pour rappeler un peu la thématique du projet, c’est un double album, avec une partie plus chantée, centrée sur ton rapport aux femmes et à l’amour. Puis une seconde partie rap en son sens propre. On ne t’avait pas entendu rapper sur autant de titres depuis ta mixtape Summer Stories Kushtape, Vol. 3 en 2017, ça t’avait manqué ?
Un peu, je suis un rappeur à la base, je kiffe kicker, mais je m’éclate aussi à faire du RnB et de la soul. Et le public m’a aussi donné un vrai love sur cet aspect, mais j’ai aussi une partie du public qui me suit pour le rap, on a commencé comme ça. J’avais envie de faire un disque qui nourrit un peu tout le monde.
Si on pousse un peu la métaphore, on pourrait dire que ce projet décrit ta personnalité dans la musique, entre ton goût pour le rap pur et dur et celui pour les chansons d’amour, en passant par tes influences blues. Tu comptes t’aventurer vers de nouveaux styles ?
C’est tout à fait moi ! On est en perpétuel apprentissage ! Les mouvements changent, on trouve des nouveaux flows, des nouvelles prods, je suis toujours curieux : la plug l’hyperpop, ça m’intéresse. J’ai des morceaux d’hyperpop de fou, on les a pas mis parce que ça n’avait rien à voir avec le projet, mais on l’a fait, on suit vraiment tout. La plug c’est pas trop mon délire, il faut rapper off-beat et c’est pas mon école, mais c’est un concept.
T’avais sorti une vidéo il y a un an pour célébrer tes 10 ans de carrière, où tu commençais à parler de ton prochain album. Tu le décrivais comme celui où tu étais à ton meilleur niveau. Tu penses que c’est ta capacité à jongler entre rap pur et chanson d’amour qui fait que tu es à ton meilleur niveau sur ce projet ?
De très loin ! J’ai une maîtrise de l’aspect hors-rap beaucoup plus affirmée, j’ai beaucoup joué de guitare ces dernières années, j’ai beaucoup composé de soul et de RnB et je suis beaucoup plus à l’aise avec la construction de ce genre de morceaux. En termes d’écriture et de thématique, je savais que je voulais continuer à explorer celles qui parlent de sexe et de relations, parce que je suis beaucoup plus à l’aise avec ça. Pour le rap, je suis un kickeur et je voulais recommencer à faire des morceaux entièrement rappés. J’ai pris le temps de bien le faire, j’ai invité que des bêtes de rappeurs et je me suis fait plaisir surtout. Donc oui je pense que c’est mon projet le plus abouti. Il est plus fin, il n’y a pas de déchets et le niveau est plus haut.
Pendant tes un an et demi d’absence, comment as-tu travaillé sur ce nouveau projet ?
J’ai la chance d’avoir monté mon propre studio avec Holeogan, avec qui j’ai composé quasiment tous les sons du projet et qui joue du clavier sur scène avec moi. On habite ensemble et on a monté un studio dans notre sous-sol, du coup on a passé tout le confinement à faire du son. On a bossé pour les autres, mais aussi pas mal pour nous. On a pu vraiment s’enfermer, peaufiner, comme des morceaux comme « Avec une rose » en mode soulful à la D’Angelo. On l’a vraiment joué comme un groupe de soul, il était sur son clavier et moi sur ma guitare.
Le morceau avec Monsieur Nov, c’est des rythmes que j’ai jouer à 4h du mat et Holeogan s’est réveillé le matin pour faire les arrangements. On n’a pas du tout bosser ça comme un album de rap, on a tout construit avec des guitares, des basses, des claviers, en studio avec les musiciens. Pour les morceaux plus rap, j’ai reçu quelques prods de Yeeshy, Pinkman, qui font partie de la famille étendue, j’ai aussi rejoué et arrangé des trucs.
Malgré le fait qu’on ne t’ait pas entendu en 2021, on a eu le plaisir d’entendre l’album de Josué, dont tu es le producteur, qui est sorti en septembre dernier, où on te retrouve en feat. Comment vous avez travaillé sur cet album et comment arrives-tu à jongler entre tes casquettes de producteur et de rappeur ?
J’ai monté ma structure exprès pour ça et on a le studio pour travailler, vu que j’étais en construction de mon album, j’ai pu prendre le temps de finir les prods pour le projet de Josué, j’ai fait presque tous les sons de sa dernière tape. Je suis pas tout seul dans le label, j’ai mon associé et Holeogan qui s’occupent plus de la DA et du studio, on est un petit label de 4-5 personnes pour s’occuper de tout ça. Mais il n’y a pas que Josué, on a aussi signé deux artistes en développement et Kenyon, on a pas mal de trucs à sortir cette année.
Produire un jeune rappeur comme Josué, qui est aussi bon kickeur, ça a influé ta volonté de revenir plus « rap » sur cet album ?
Son énergie est communicative ! Il a la dalle, il est dans le feu de l’action, il est connecté avec une génération de rappeurs que j’aurais peut-être jamais croisée. C’est cool de voir cette nouvelle génération qui a bien assimilé mes trucs et qui me challenge aussi, cette énergie est toujours bonne à prendre.
Dans la première partie de Une rose et une lame, on te retrouve sur beaucoup de sonorités, sur de house, de la 2step, de l’afrobeat et des sonorités plus latino. Qu’est ce que tu as écouté pendant la conception de ce projet ?
J’écoute un peu tout le temps la même chose, j’écoute énormément de Kanye, je trouve que c’est un mec qui tente et qui casse les codes, j’ai beaucoup écouté My Beautiful Dark Twisted Fantasy ou Graduation. Ce sont des albums dans lesquels je me replonge avant de mettre dans mes trucs, j’aime bien l’énergie qu’ils ont. J’ai des artistes de chevet, comme Franck Ocean, Lana Del Rey et Billie Eilish aussi, je me remets dans mes CD favoris avant de bosser sur mon projet. Cette année je me suis pris Lucky Daye, Patrick Paige II, Chloe X Halle, pleins de trucs RnB alternative. Je suis aussi un buté d’afro, Rema, Burna, Wizkid, Adekunle Gold. J’écoute aussi beaucoup la frangine Yseult, j’adore ce qu’elle propose en terme d’émotions et Pomme aussi qui a parlé d’angoisse et d’introspection à un moment où j’avais besoin d’entendre ça.
Sur cette même partie du projet, il y a le morceau « Ballade pour une tox », tu peux nous parler de ce morceau ?
On était en répétition et on est parti sur une mélodie de piano à la France Galle, un peu variété française année 1980, mais il fallait la casser en parlant d’une thématique inattendue. Dans notre vie à moi et mes potes, on est tombé pas mal de fois sur des nanas toxiques et on leur à dédié un morceau. La topline du refrain m’est venue directement, j’ai enregistré ça pendant une répétition dans une vidéo sur mon téléphone pour pas l’oublier et on est allé en studio ensuite pour le finir. On l’a vraiment construit comme un morceau de variété.
De la même manière, tu as récemment sorti le clip de « Bachata », où tu montres l’amour au sens large en montrant des baisers entre personnes hétérosexuelles et homosexuelles. C’est une chose qu’on retrouve rarement dans les clips de rap. C’était quoi l’idée de ce visuel ?
Je me suis rendu compte que mes contenus visuels étaient un peu hétéronormés, alors que ma musique est faite pour parler à tout le monde. J’avais envie que des gens qui n’ont pas la même sexualité que la mienne ne se sentent pas mis de côté. Pour l’album , j’ai beaucoup dit qu’il traitait des rapports homme-femme, mais avec du recul c’est pas vraiment de ça dont je parle, ça parle d’amour en général. Mais vu que c’est du storytelling qui parle de rapports homme-femme, je voulais pas que ce soit excluant. Donc pour la suite, je voulais mettre de l’homosexualité dans mes visuels, pour que les gens captent que je parle de l’universalité. Tout le monde peut être concerné, mes morceaux sont aussi pour les gens d’un autre genre et d’un autre. Mais les ne gens sont pas encore vraiment prêts à ça, je me suis pris pas mal d’insultes.
Pour parler à présent de la partie davantage de la partie rap du projet, on retrouve trois invités sur ce deuxième disque, dont Prince Waly, qui avait mis sa carrière sur pause le temps de sa convalescence. Comment s’est organisée cette collaboration ?
On se connait depuis des années, on voulait faire un feat depuis longtemps mais on n’arrivait pas à se croiser. Je lui ai demandé comment il allait et il m’a répondu qu’il allait mieux, il préparait déjà son projet. Je l’ai invité et il est venu au studio le lendemain. J’ai fait la prod avec Holeogan, il a kiffé et on est parti sur ça, ça s’est fait très naturellement.
On retrouve également Benjamin Epps, qui est un gros kickeur de cette nouvelle génération, qui prône d’ailleurs le rap de compétition. On assiste à beau combat de rime sur « Me confonds pas ». A une époque où le rap dans sa forme originelle revient à la mode, est-ce que c’était pour toi l’occasion de montrer sur un long format rap que tu avais de quoi te défendre dans ce domaine ?
Je l’ai fait parce que j’aime bien Benjamin Epps et j’avais envie qu’on fasse un morceau, mais je voulais pas prouver quoi que ce soit. Et bien il est comme moi, si on passe derrière le mic c’est pour en découdre. On n’est pas là pour enfiler des fucking perles ! Du coup on savait très bien tous les deux qu’on allait vouloir casser le truc, donc on a fait un gros morceau de rap sans refrain, on s’est fait plaisir, c’est juste du kiff. Ça s’est fait naturellement, je l’ai appelé il était dispo et je l’ai rejoint à l’hôtel, il a kické dans l’hôtel même.
Là où on pourrait croire qu’on allait te retrouver sur des sons majoritairement egotrip pour ce retour, on retrouve beaucoup, voir majoritairement d’introspection et de regard sur le passé.
J’aime bien écrire des morceaux à thème, j’ai tellement fait d’égotrip dans le début de ma carrière que ça m’excite moins.
Tu parles aussi beaucoup plus du passé que sur tes anciens projets.
J’en parlais aussi avant, mais c’était dilué, ça ne m’intéresse plus aujourd’hui de faire semblant que tout va bien. Avant je m’étais mis dans une esthétique de rappeur un peu « feel good », on me bookait avec des Set&Match, le public me kiffait pour des morceaux sur la fête, la foncedé, la weed, donc leur parler du fait que mon meilleur pote est mort d’overdose, de la vente de crack ou des gars qui tabassaient des gens de ma famille, des trucs difficiles de la vie de quartier, ça n’avait pas de place dans le A2h de 2012-2013. Du coup j’ai mis ça de coté à cette époque. Depuis Libre, je suis dans un truc où je me dévoile plus, mais avant ça je voulais être le Wiz Khalifa français !
A partir de quel moment tu t’es dit que c’était le bon moment pour aborder cette nouvelle esthétique plus introspective ?
Ce qui m’a débloqué c’est des trucs de la vie : des décès de proches, des galères, la maladie, pleins de trucs qui m’ont rappelé que la vie c’est pas toujours cool, c’est pas toujours la fête, le turn-up. Quand je me suis retrouvé à l’hosto pour des problèmes de santé, on m’a dit qu’il fallait que j’arrête de bédave, que je retrouve un rythme. J’ai capté que la vie c’est pas rock n roll, au bout d’un moment tu te crames. Je suis allé trop loin, je pouvais ne pas dormir pendant 2-3 jours, tout le temps faire la fête, mal manger, mal dormir, tu le payes tout ça et la vie m’a rattrapé et ça a changé mon écriture.
Malgré le fait que cette partie de Une rose et une lame soit plus rappée, l’amour reste omniprésent, tu parles de celui que tu portes pour ta famille, pour ta mère et ta tante surtout, celui que tu portes pour tes proches et tout ton entourage. On pourrait même dire que l’amour avec un grand A, c’est l’essence de ton art.
Maintenant c’est mon thème de prédilection, même les autres thèmes découlent de ça, moi je fais tout avec le cœur, ça se ressent dans ma musique, mon équipe, ce que je construis et la mif. Dans ma musique il y a très peu de fiction. Il y a quelque romance, mais c’est presque mot pour mot ce que je vis.
Entre production, ghostwritting et rap, quelles sont tes ambitions pour le futur ?
J’ai des ambitions de ouf, je veux que A2h ça pète encore deux fois plus que ça l’est, on a des singles d’or, on rempli une Cigale, mais maintenant il faut des disques d’or et remplir des Zénith, je vais rien lâcher. Chaque année on nous disait « A2h ça ira pas plus loin que ça » et à chaque fois on a fermé des gueules, l’intelligentsia Twitter n’a pas misé sur moi, du coup je suis dans une position où je peux que surprendre. Les gens sont surpris que je remplisse des salles, que j’ai des certifications. Même pour ceux qui me kiffent de ouf, ils veulent me garder comme confidentiel. Mais je sais que j’ai une musique qui mérite d’être mainstream, même en concert on arrive avec une vraie expérience, avec des instruments, c’est une grande fête.
Dans le reste de l’actualité : Lesram, Makala et DA Uzi : on écoute quoi aujourd’hui ?