Interviews
Prince Waly : «Je voulais faire un album qui traverse le temps»
Après avoir traversé l’enfer, Prince Waly est de retour parmi nous. 2022 marque l’année de la sortie de son premier album. Discussion avec Moussa.
Prince Waly aurait pu être un espoir déchu du rap français. Un de plus. Taclé en plein élan par un cancer, le rappeur de Montreuil a bien cru ne jamais en revenir. Le jeune homme, à qui l’on promettait un futur aussi brillant que le cuir de ses vestes, grâce à cette envie de rapper qui l’anime depuis toujours, n’en avait alors plus la force. Mais l’énergie salvatrice s’est faite plus forte que le désespoir. Soutenu par ses proches, Prince Waly a su trouver la force pour traverser l’enfer. Trois années de doute, plongé dans l’ombre, avant d’enfin revoir la lumière. Confrontant ses démons, affrontant ses angoisses, Prince Waly a condensé ces trois ans en quatorze morceaux. 2022 marque l’année de la sortie de son tant attendu premier album solo. Un album libérateur, un brin curateur sûrement, et réalisé sans aucun compromis. La route est encore longue, mais le plus dur semble enfin derrière lui. Le marathon continue. Discussion avec Moussa.
Prince Waly, c’est un honneur de pouvoir discuter avec toi. On a déjà beaucoup parlé de tes débuts à l’époque de BO Y Z, que ce soit en solo ou avec Big Budha Cheez. Mais tu n’as jamais vraiment expliqué pourquoi tu t’es mis à rapper au départ ? Quel est le déclencheur ?
C’est la processus d’identification. Le fait de pouvoir me mettre à la place de quelqu’un. J’ai toujours écouté pleins de styles de musique différentes, que ce soit de la pop… Pour moi le GOAT c’est Michael Jackson. C’est peut-être l’artiste que j’ai le plus écouté dans ma vie. Mes parents écoutaient de la chanson africaine, des artistes comme Youssou N’Dour. Mais quand le rap est arrivé dans ma vie, j’ai tout de suite pu m’approprier cette musique. Le style, les clips, les visuels, la façon de parler. Les mecs utilisent un langage que je peux utiliser tous les jours. C’est un mouvement que les jeunes peuvent s’approprier et je pense que c’est ce qui m’a attiré. Puis, un peu plus tard au collège avec Fiasco (ndlr : l’autre moitié de Big Budha Cheez), j’ai découvert l’univers Time Bomb, X-Men et plus particulièrement Ill. La première fois que je l’ai écouté, j’avais quatorze ans et j’entends le morceau “Blablabla”, sur Jeunes Coupables et Libres. Le refrain est juste dingue. Et je me dis : « C’est quoi ce truc ?» Le mec rappe avec un flow incroyable, j’avais jamais entendu ça avant. C’est un français mais si tu calcules pas les paroles tu peux te dire que c’est un américain. Il avait une musicalité différente de ce qu’on pouvait entendre. À cette époque là les mecs qui étaient à la mode c’était les gars comme Sefyu, Tandem, Mac Tyer, toute cette équipe là. Booba aussi. Et pour moi, Ill c’était un autre univers, un rap alternatif. Et c’est vraiment ce qui m’a donné envie de rapper. En terme de placements ou de musicalité, pour moi c’était à contre-courant de ce que j’écoutais sur le moment. Il y avait une vibe. Je suis pas un mec qui danse, mais quand je mettais le morceau, j’avais envie de danser. Sur du rap ! C’était la première fois où je m’enjaillais sur des sons de rap techniques. C’est des mecs très techniques, qui ont une écriture incroyable. Encore aujourd’hui, honnêtement à part un Alpha Wann, personne ne m’a autant choqué en terme de technique.
Ce qui est dommage, c’est qu’aujourd’hui il soit très peu référencé et pas facilement trouvable sur les plateformes de streaming. Il y a une compil’, Ainsi Soit-Ill qui réunit des morceaux et des freestyles, mais à part ça, il y a très peu de Ill sur Spotify.
Malheureusement oui. Il y a eu quelques apparitions après. Cette année il était même sur l’album de Makala, Chaos Kiss. Mais c’est ce qui fait aussi sa légende je pense. Tout le monde sait que c’est un rappeur incroyable. Demande à n’importe qui, on va te répondre que Ill c’est le rappeur préféré de ton rappeur préféré. Le mec n’a pas eu une longévité incroyable, mais juste avec la courte carrière qu’il a eu, c’est une légende pour la plupart des mecs comme moi. C’est ce que je trouve incroyable. Peut-être que ses meilleures performances on ne les connait même pas. Et tu te dis que s’il avait continué, et avait sorti ne serait-ce qu’un album solo, on aurait eu un bijou. On aurait eu un Temps Mort de Booba. C’est aussi un album qui m’a marqué. Pas pour les mêmes raisons. Mais ces deux gars m’ont marqué et je rajoute Ali dedans, car Lunatic c’est aussi un album ultime. Si je devais comparer au sport, je dirais que Lunatic c’est Zidane et Ill c’est Ronaldinho. Zidane m’a fait aimer regarder le foot et Ronaldinho m’a donné envie de jouer au foot. Il n’y a pas meilleure comparaison.
Cet été t’as donné une interview à Clique. Tu disais dedans que Moussa était le premier opus dont t’étais vraiment satisfait à 100%. Avec du recul, quels défauts tu peux trouver à BO Y Z ou à Junior aujourd’hui ?
Junior c’est mon premier projet. C’est du solo, mais pas vraiment parce que je suis en collaboration avec Myth Syzer. Je trouve aucun défauts à ce projet et je le porte vraiment dans mon coeur. Le seul reproche que je peux lui faire c’est vraiment au niveau technique. Il a pas été masterisé. À l’époque je travaillais encore, j’étais dans des galères de tunes, comme chaque adolescent, et donc j’ai pas pu le faire masterisé. C’est le seul regret que j’ai. Quant à BO Y Z, il a été conçu dans une période un peu compliqué. J’étais en train de me séparer de mon ancien label avec qui j’avais de gros problèmes et cet EP a été conçu à cette période là. Avec du recul, je me dis qu’il y a pleins de choses que j’aurais voulu faire différemment. Et surtout, au niveau des textes, j’étais dans une période où plein de gars disaient que le rap technique c’était compliqué et c’est pas ce qui pouvait marcher le mieux. À ce moment-là, j’étais pas trop en confiance avec moi-même, j’avais pas mal de problèmes persos et donc j’étais influençable. J’écoutais un peu ce qui se disait à gauche à droite et j’ai essayé de simplifier mon écriture, pour essayer d’ouvrir un peu plus ma musique. Grosse erreur. Chose que je n’aurais jamais du faire, parce qu’avec du recul, les morceaux je les aime, c’est quelque chose qui fait partie de moi, mais je me dis : « Putain j’aurais écrit ça différemment. J’aurais mis plus l’accent sur peut-être tel morceau ou tel texte». C’est le regret principal que je peux avoir. Mais sinon, le projet BO Y Z, évidemment que je l’aime. D’autant plus que je reçois encore des messages de mecs qui disent que ce projet les a accompagné et les a aidé. Ce genre de message, pour moi c’est ça la victoire. J’estime que la musique ça sert à ça. Moi la musique m’a fait énormément de bien, donc je veux que ma musique fasse du bien aux gens aussi.
Trois années plus tard, t’as annoncé ton retour en mars dernier avec “Walygator”. On a l’impression qu’il y a une vraie attente qui s’est créée. Comment t’expliques qu’après trois ans sans presque aucune nouvelles, Moussa soit l’une des sorties les plus attendues de l’année ?
Franchement, j’estime avoir énormément de chances d’avoir des gens derrière moi qui y croient. J’ai l’impression que les gens y croient même plus que moi. Quand je dis les gens, c’est le public, les soldats. Ils me portent. Ils me boostent, mais c’est hallucinant. Parfois je reçois des messages de motivation. Le matin de la sortie j’ai reçu énormément de messages : « On est avec toi. Aujourd’hui c’est ta journée. C’est une victoire. On va écouter ton album toute la nuit». C’est des messages de fou. Et je ne peux pas rêver mieux. Je pense que ma musique s’y prête aussi. Je n’ai plus de honte à parler avec les sentiments ou avec le coeur donc, je me livre aux gens et j’ai l’impression que ma musique les accompagne au quotidien. Et BO Y Z a pu accompagner pas mal de personnes, même si j’ai pas énormément de notoriété. J’ai l’impression que mes chansons sont intemporelles. Je vis avec mon temps, mais quand je fais les morceaux sur scène et que je vois la réaction des gens, je me dis : « C’est fou que des morceaux qui soient sortis il y a quatre ans fonctionnent encore». Mais après je réfléchis et je me dis que c’est bête. Moi-même j’écoute encore des sons qui datent d’il y a vingt ans. Mauvais Oeil je l’écoute encore aujourd’hui. J’estime que quand tu mets toute la sincérité et de l’émotion dans ton art, ça traverse le temps. C’est comme ça que je l’explique.
Moussa est bien évidemment plus personnel et sincère que ne l’était BO Y Z, mais ça, les gens ne le savaient pas forcément avant la sortie de l’album. Pourtant dès le départ ils ont été au rendez-vous.
C’est ce dont j’ai eu l’impression aussi. Après il y a aussi le fait que les gens savent désormais par où je suis passé et connaissent un peu plus mon histoire. Donc je pense qu’ils peuvent aussi être un peu touchés par ça. On est des émetteurs mais on est aussi des récepteurs. J’essaie seulement de transmettre de l’amour et de l’énergie et je pense que les gens reçoivent tout ça. Ils le sentent.
En 2022 on a vraiment eu l’impression que ça te tenait à coeur de revenir en musique. Après la sortie de “Walygator” on a pu te voir sur la Walk Tape ou en feat avec A2H, Beeby, Tedax Max et Infinit’. Tu figures aussi sur la tracklist de la Saboteur Mixtape et on t’a même vu chez Grünt ou aux Ardentes. Est-ce qu’il y avait véritablement cette envie de revenir fort musicalement, et pas forcément qu’en ton seul nom ?
Tous ces morceaux, je devais déjà les faire à l’époque. Pour la plupart en tout cas. Mais quand j’ai eu mes galères, j’ai vraiment mis la musique de côté. J’ai complètement stoppé et je ne voulais plus entendre parler de musique. Et quand ça a commencé à aller mieux, je me suis dit : « Mais au fait, j’ai plein de boulot». On appelle ça des dettes de feats (rires). Et quand les gens ont vu que j’allais mieux, ils m’ont appelé : « Ouais c’est comment ? On est trop contents que tu sois revenu, est-ce que ça te dit toujours qu’on fasse les morceaux ?» A2H, par exemple, je devais être sur son projet d’avant. Tous ces morceaux là ont été faits sur ce laps de temps, sur les dix derniers mois. Et j’avais aussi l’envie de faire cette transition. Parce qu’en vrai, quand j’ai sorti BO Y Z, je suis tombé malade un mois après. Donc BO Y Z, je n’ai pas pu l’exploiter sur scène, alors qu’on avait une tournée d’une trentaine de dates et je n’en ai fait aucune. Donc il me fallait quand même une transition, j’avais envie de voir ce que ça aurait pu être si j’avais pas eu toute cette merde et ces complications. Du coup les dates, que ce soit les Ardentes ou que ce soit les dix ans de Grünt, c’est à ce moment-là où je me suis dit que j’avais vraiment envie de défendre tout ça et de célébrer un petit peu ce projet, de lui donner sa chance. J’étais dans une période d’hésitation un peu. Je savais pas si j’aimais encore la scène, si je voulais encore en faire. Est-ce que c’était encore fait pour moi ? Ça faisait quand même trois ans que j’avais pas fait de scènes et ça a vraiment été aux dix ans de Grünt ou j’ai compris que c’était encore mon truc. Toute cette période m’a servi de transition entre BO Y Z et Moussa. Ça m’a permis un peu de tester des choses, de jauger aussi la réaction du public et ça m’a réconforté pour la suite.
Pour nous, le véritable coup de poing sur la table ça a été lors du Grünt #48 sorti cette année. Pourquoi le faire à ce moment là et comment ça s’est fait ?
Totalement ouais. Il faut savoir que j’ai déjà participé à trois Grünt et je devais participer à un quatrième, celui de NeS, mais problème de timing j’ai pas pu. Il y avait eu le Grünt #17 avec Big Budha Cheez. C’était d’ailleurs la première apparition de Souffrance à une époque où il voulait arrêter le rap. Et ça aurait été un gâchis incroyable qu’il arrête. Ensuite il y avait eu le Grünt de Myth Syzer. C’est le #23 je crois, avec Ichon et Loveni. Et ensuite, Jean Morel m’a dit : « Bon c’est à ton tour. Faut que ce soit ton Grünt» (rires). Donc je trouve les gars à gauche, à droite… Il devait y avoir Benjamin Epps d’ailleurs sur ce Grünt, mais problème de timing encore, ça n’a pas pu se faire. Et au dernier moment je me suis dit qu’il fallait rendre à César ce qui appartient à César : instru’ de “Pas l’temps pour les regrets” de Lunatic. Je ne pouvais pas faire meilleure intro et c’était une bonne façon de faire une dédicace. Ali est sur l’album et c’était aussi pour attirer les oreilles des gens sur le truc. Mais ce Grünt pour moi c’était vraiment le début de la course. C’était vraiment : « Allez, là on y va. Là on est prêts et on va arriver avec du lourd». Et d’ailleurs, le Grünt a fait son petit effet, je n’ai eu que des bons retours et je pense que ça a permis à certaines personnes de me découvrir. Surtout sur Twitter, où j’ai vu des gens qui disaient : « Mais comment ça se fait que je ne connaissais pas ce mec ?» (rires). C’est trop drôle. Grünt c’est purement du freestyle, c’est du rap très technique et c’était une façon aussi de prouver aux gens que Prince Waly sait rapper. Que c’est du rap et de la technique avant tout.
Parce que tu penses que les gens ne le savaient pas ça ?
En fait, je me dis que sur BO Y Z, on s’en rend moins compte. Par rapport à Junior qui est un projet où ça se voit. Des sons comme “Rally” ou “Zero”, c’est très technique. Sur BO Y Z, j’avais un peu délaissé ce truc en simplifiant mon écriture. Là je suis revenu avec un coup de fouet supplémentaire.
En tout cas il y a du très beau monde sur ce Grünt, comme Tedax Max par exemple de qui on ne te savait pas forcément très proche. Comment se sont faites ces connexions ?
Tedax je suis tombé sur son Colors. Et j’ai eu la même réaction tu vois : « Comment ça se fait que je ne connaissais pas ce mec ?». Je suis quelqu’un de très spontané et si je suis fan de quelqu’un ou de quelque chose, je ne vais pas attendre une seconde pour lui dire. Du coup je lui envoie un message et les connexions se font si facilement que ça. Tous les mecs avec qui je fais du son, parfois c’est juste très simple et ça tient à un message. Freeze on se parlait sur Facebook depuis 2010. À l’époque je tombe sur un de ses freestyles, la première chose que je fais, c’est lui envoyer un message. C’est pour ça que je pense avoir beaucoup de connexions dans le rap. Parce que j’ai pas de honte à le dire quand c’est chaud. Dans le rap c’était un peu tabou à un moment. Fallait pas trop montrer, parce qu’il fallait pas passer pour un suceur. J’ai toujours trouvé ça débile. On se sait entre nous, on sait qui est chaud et qui ne l’est pas, ça ne sert à rien de jouer un rôle.
À l’époque de BO Y Z, t’avais mis l’accent sur le cinéma qui était largement devenu ta source d’inspiration première, au détriment même de la musique pour laquelle tu n’avais plus la même passion. Aujourd’hui est-ce que ce rapport à la musique a évolué et est ce que c’est redevenu une source d’inspiration ?
Clairement. Je t’avoue que ça me faisait flipper à cette période, dans le sens où depuis tout petit, quand j’entends une musique qui me transcende ou me fait ressentir des émotions, j’ai les frissons et les poils qui se dressent. Et j’avais perdu ce truc. À la période de BO Y Z, quand j’écoutais des sons que je kiffais, j’avais plus ce truc. J’avais perdu en sensibilité. Et je me posais des questions : « Merde, comment ça se fait que j’ai plus cette sensation, cette émotion qui me traverse le corps ?». Ça me faisait flipper. Et après BO Y Z, lorsque j’ai eu mes galères, quand je me suis remis à écouter de la musique j’ai retrouvé ce truc. Notamment avec “The Heart Part 5” de Kendrick. Je l’écoutais en venant là et j’avais ce truc, ce frisson. Et, évidemment, ça a participé à la conception de cet album, Moussa. Vu que c’est des morceaux beaucoup plus introspectifs, beaucoup plus sincères, je me suis inspiré de ce genre de morceaux pour concevoir mon album. Je suis content d’avoir retrouvé ce truc de frissons, ça m’a vraiment fait flipper.
Est-ce que tu avais peur que ça se répercute sur ton envie de faire de la musique ?
C’est clair. Parce que ma façon d’en consommer avait changé. Je ne sais pas si ça venait de moi, ou si ça venait de cette période musicale. Je ne sais pas d’ou ça venait mais j’étais pas serein. C’était une sensation assez bizarre, mais aujourd’hui je suis libéré de ça et j’en suis content.
Forcément, et on le comprend à l’écoute de certains titres comme “Broke” ou “Miroir”, il y a eu des doutes. Et pas liés seulement à la maladie, mais aussi lorsqu’il a simplement fallu se remettre à la musique. Qu’est-ce qui t’a fait tenir pendant cette période de doutes et qui t’a poussé à aller jusqu’au bout de cet album ?
C’est vraiment les proches et la famille. Mais une personne en particulier : Enchantée Julia, qui partage ma vie. Elle a toujours eu confiance en moi et elle a toujours cru en moi. Encore aujourd’hui, c’est ma supporter numéro 1. Elle est prête à tout sacrifier pour moi, pour ma carrière et j’avais jamais connu ça avant, donc c’est très beau. Et il y a aussi, je pense, la foi, la religion, la spiritualité. C’est des choses auxquelles on s’accroche souvent quand on est vraiment au fond du trou. Malgré tout, les doutes je pense que j’en aurais jusqu’à la fin de ma vie, encore aujourd’hui. Là j’estime être quelqu’un de plus serein, en paix avec moi-même, mais on est jamais à l’abri de quoi que ce soit. Je l’ai appris à mes dépends. J’avais vingt-sept ans à l’époque quand j’ai appris que j’avais un cancer et c’est pas des choses logiques pour un mec de vingt-sept ans. Il y aura toujours une part de doutes dans tout ce que je vais concevoir et dans toutes les choses à venir. Mais j’estime être plus serein, plus en paix avec moi même et ça aussi ça m’aide à tenir le coup. Mais encore une fois, Enchantée Julia est arrivée dans ma vie à un moment critique. On était ensemble depuis un an. Un an c’est très court au final. Et c’est ce qui m’a permis de tenir. Je me suis dit : « Je peux pas lui faire ça». Le fait de tenir le coup et d’être costaud et fort pour mes proches, pour ma mère aussi. Je me devais de surmonter cette épreuve ne serait-ce que pour eux.
Enchantée Julia est d’ailleurs très présente tout au long de l’album. Voix additionnelles, ambiances, sample, on ressent vraiment cette envie de la mettre au coeur de Moussa. Pour la remercier peut-être ?
C’est même pas une question de la remercier. Quand je conçois de la musique, aujourd’hui je suis dans un rôle de D.A. sur ma propre personne. Quand je vais faire de la musique je veux vraiment qu’on fasse le meilleur son possible. J’ai réussi à tuer mon égo. Quand je fais de la musique je n’ai plus d’égo. Si on me dit que mon texte est nul, je vais pas hésiter à le changer. Si on me dit qu’il faut untel ou untel pour cette prod, qu’il faut faire de la coproduction : je n’ai plus de problèmes avec ça. Chose qui a changé. Avant j’étais trop en mode : « Non, je sais ce que je veux, c’est moi le boss». En fait quand t’apprends à tuer l’égo, la musique ne peut être que plus belle. J’ai recommencé des textes cinq ou six fois. C’est du beau challenge et ça contribue à la musique. Donc Julia, c’était juste naturel, j’avais cette envie d’avoir des voix féminines, comme le font des américains, comme le fait Kendrick. Ou comme le fait Frank Ocean, qui appelle Beyoncé juste pour faire des voix additionnelles, sans même que ce soit un feat. Je trouve ça génial, et depuis que je suis petit dans tout genre de musique, spécialement dans le rap, il y a toujours eu ce truc d’amener des voix additionnelles, amener du coeur, amener un peu de chant. Donc c’était une envie. C’était même pas une façon de la remercier. Je trouvais que ça sublimait l’album et c’était juste logique pour moi. Elle est présente sur l’intro, sur “Walygator”, c’est un sample d’un son à elle sur l’interlude, elle est présente sur le son avec Luidji et Makala, en feat avec Jazzy Bazz… Elle est présente sur presque tous les morceaux. Et c’est même pas une façon de la remercier, c’est juste parce que je trouvais ça magnifique. Et qu’elle a une voix incroyable.
Très présent à la production, quel rôle global a joué JayJay dans la création de Moussa ?
Déjà, il faut savoir que juste après BO Y Z, juste avant que je perde ma voix, JayJay m’avait envoyé un message. On était déjà connectés et il voulait qu’on se capte, qu’on fasse du son. À l’époque je commençais déjà à travailler sur mon deuxième EP. Je voulais sortir deux autres EP’s la même année que BO Y Z, et on avait donc commencé à bosser des trucs ensemble avec JayJay. Donc ça ne date pas d’hier. Et lorsque j’ai commencé à aller mieux, après ma période d’absence, il m’a envoyé un message : « Comment ça va ? J’espère que tu vas bien, passe au studio je suis avec Hologram Lo’, juste on chill». J’y vais et on parle. Juste on parle de la vie. Mais en fond ils font tourner des instrus et là je me dis : « C’est quoi ce délire ?». L’énergie, les instrus… Je me mange un truc ! Et je me dis : « Cette énergie là, je veux en faire quelque chose». À l’époque j’étais pas encore dans l’esprit de faire un album. Je pensais revenir avec un EP. Mais j’étais dans l’esprit de juste faire de la musique, reprendre goût à la musique, et je n’y arrivais pas. Je n’arrivais pas à reprendre goût à la musique, à me mettre dedans. Et JayJay m’a beaucoup aidé à ce moment là. Il m’a motivé et il a eu confiance en moi. Il a vraiment eu confiance en moi en me disant : « Mec, t’es quand même Prince Waly. On sait que tu sais rapper, alors tu vas rapper. Fini les conneries, tu vas rapper». Il m’a fait recommencer des textes cinq, six fois. Et là pour le coup, j’avais encore ce truc d’égo et j’étais en mode : « Non, tu peux pas me dire que c’est pas bien». J’ai mis toute mon âme dans le texte de “Avertisseurs (Part. II)”, qui est le premier morceau qu’on a enregistré et décidé de garder. Ensemble on a du faire plus d’une dizaine de morceaux et on en a gardé que cinq. Et du coup c’est comme ça que j’ai repris goût au studio. Parce que je ne suis pas un mec de studio, je suis plus dans la spontanéité, j’aime bien quand faut freestyler, l’exercice du Grünt c’est ce que je préfère.
Ça t’a fait changer ta manière de travailler aussi ?
J’ai archi changé ma manière de travailler. Avant j’écrivais jamais en studio. Le morceau avec Freeze on l’a fait en cinq heures, du texte à la création de l’instru jusqu’à l’enregistrement, tout compris. On s’était croisé avec Freeze peut-être trois jours avant et on s’était dit qu’on devait se capter en stud’. Quand il arrive, on parle. En fait, avant chaque session studio il y a des grandes discussions, pareil pour Arthur Teboul on avait parlé pendant trois ou quatre heures avant de faire l’intro. Avec Freeze, on écoute du son et tout, puis à un moment on se dit : « Vas-y, on s’y met». Il y avait JayJay, 3010 et Lama dans le studio, ils commencent à bidouiller un peu, et c’est juste des génies ces mecs. Ils vont très vite et c’est très efficace. Avec Freeze on commence à écrire, je lui fais mon couplet, il me dit que c’est incroyable. Il y avait Alpha Wann aussi dans le studio, ça a été enregistré dans son studio. Donc pleins de cerveaux, plein d’ébullition et à partir du moment où Alpha valide c’est bon. Il me dit : « Lourd le couplet», je me suis dit : « Ok c’est bon» (rires). Après on a fait le refrain, refrain terminé, tout le monde valide et le morceau est né comme ça, hyper instantanément. On s’est retrouvé peut-être à 22 heures, jusqu’à une heure on a écouté du son, on a mangé, discuté. Puis à partir d’une heure jusqu’à cinq, six heures du matin on a bossé le morceau. Et cette énergie là, j’ai trouvé ça incroyable, cette spontanéité. Je retrouve le truc du freestyle en fait. J’aime pas être au studio, écrire, essayer, re-calibrer et recommencer. Là, c’était vraiment du feeling pur et j’estime que ça fonctionne. Il y a un mec sur Twitter qui a mis qu’il n’avait pas entendu un aussi bon couplet de Freeze depuis Projet Blue Beam. Et franchement, Freeze c’est un mec que j’estime énormément et il m’a vraiment respecté, que ce soit dans le morceau, ou même pour le clip. J’ai beaucoup d’amour pour Freeze, parce que c’est un mec qui a un grand coeur et surtout il n’a qu’une parole. Dans le rap t’as des mecs qui vont te dire des choses et le lendemain ça aura changé. Lui, si il te dit ça aujourd’hui, il te dira la même chose demain, et ça bougera pas. Et ça je trouve ça très rare et c’est vraiment un grand gars. Il respecte sa parole.
T’as dit que tu voulais revenir avec un EP au départ. Comment et pourquoi ça s’est transformé en un album ?
Parce qu’encore une fois, je suis quelqu’un de pudique, d’assez timide et je ne voulais pas parler de moi. Je voulais pas exposer ma vie aux yeux du public. Quand je dis ma vie, c’est des choses assez deep quand même, des trucs très profonds. Et à la base je voulais revenir en mode Waly, le mec cool. Le mec toujours stylé, toujours propre sur lui. Et on m’a dit, surtout mes proches : « Avec ce que tu viens de traverser, tu ne peux pas te mentir à toi même. Tu peux pas garder ça pour toi». Au final, c’est ce qui m’a rongé de garder les choses pour moi. Je déteste le conflit, et à chaque fois que j’en ai eu dans ma vie, la seule façon de régler ces conflits c’était de garder les choses pour moi et de ne pas les dire. Et mec, c’est pas bon, c’est ce qui fait la maladie. Mon médecin m’a dit que dans le mot maladie, il y avait Mal-à-dire. C’est quand même dingue. Donc il faut dire les choses. Très vite, je me suis dit que cet album serait peut-être le moyen de… C’est ce qui pouvait me servir de thérapie. Et c’est vrai que ça m’a fait énormément de bien.
Ça a été compliqué à écrire ?
Ça a été très compliqué. Moi-même, quand j’écrivais ces trucs là, ça me replongeait dans des trucs. Je suis allé puiser au plus profond de moi même, que ce soit dans l’enfance, que ce soit des choses assez compliquées. Je suis allé puiser dans des énergies que je ne voulais pas forcément affronter. Et au final, le fait d’affronter ces choses là, ça m’a libéré de quelque chose et j’estime avoir fait le bon choix. Je suis content aujourd’hui d’avoir parlé de tout ça.
Tu penses que sans cette épreuve, Prince Waly n’aurait jamais osé se livrer à un tel point ?
Clairement. J’allais droit dans le mur. Après BO Y Z, je n’aimais pas trop la personne que je devenais. Vraiment. Je faisais des sons, mais je les aimais pas forcément. Je le faisais parce qu’il le fallait. Parce qu’il fallait être présent sur le terrain. C’était l’époque ou on disait qu’il fallait être là tout le temps, mais en fait c’est pas vrai. La meilleure preuve, c’est là Luidji, qui fait disque d’or trois ans après. C’est trop beau. Première semaine il fait 1000 ventes, trois ans après il fait disque d’or. C’est un moyen de montrer que ce n’est pas vrai. Faire du rap fast-food, ce n’est pas ce qui va te faire durer dans le temps, ça n’est pas vrai. Alpha Wann avec UMLA, c’est pareil, disque d’or en plus de deux ans. Je trouve ça trop beau. Donc c’est pas vrai. Faut pas être là tout le temps. Faut juste faire de la qualité. Qualité en guise de promo. Je pense que si tu parles avec le coeur, les gens sont touchés. La musique vit avec son temps. La musique va accompagner les gens. On écoute encore Michael Jackson aujourd’hui. Une fois que j’avais compris ce truc là, je me suis dit : « Fais juste de la musique, pour faire de la musique. Pour faire kiffer les gens, pour les motiver. Ne fais pas de la musique parce qu’il faut en faire, parce qu’il faut alimenter quoi que ce soit». C’est pas le bon processus.
Sur cet album on retrouve Arthur Téboul, le chanteur de Feu! Chatterton. Il était déjà présent sur BO Y Z, qu’il clôturait. Aujourd’hui il ouvre Moussa. Est-ce que c’est fait exprès ?
C’est bizarre, parce qu’à la base je n’avais même pas vraiment ce truc de clore et d’ouvrir. Mais ça s’est fait naturellement, et je pense qu’indirectement, ça a peut-être été réfléchi un peu je pense. C’est vrai qu’il termine BO Y Z, et pour l’intro, à la base je voulais une voix de film. Au final, après avec du recul je me suis dit : « Mais pourquoi t’appelles pas Arthur tout simplement ?». Il y a vraiment un feeling artistique mais humain aussi avant tout et quand je fais appel à Arthur et que je lui envoie un message, il me répond direct. Il me dit : « Mais mec avec plaisir. C’est même un honneur pour moi donc on y va !». On va boire un café, je lui raconte ma vie, il me raconte la sienne et on se pose au studio. Je lui fais écouter le couplet et le refrain que j’avais déjà. Il s’imprègne de tout ça et me dit : « Ok, vas-y. Je suis prêt». Et il se met devant le micro, et il fait ce qu’il sait faire de mieux. Il interprète à la perfection. Chaque mot, chaque placement, chaque intonation, c’est juste magnifique. À la base, je ne le voulais que sur le début de l’intro, mais finalement il est revenu sur la deuxième partie du morceau. Et quand il termine par : « Le Walygator continue son marathon« , c’est juste incroyable. Et c’est totalement l’état d’esprit.
C’est une formule qu’il a trouvé tout seul ?
Ouais. Je lui avais fait écouter certains morceaux et moi j’avais écris quelques mots, quelques bribes. Il a tout ré-interprété à sa façon, il a changé les mots. « Pas de mensonges, pas de romance« . Le fait de répéter « Vérité, vérité, vérité« . Il est trop fort pour ça. La musique c’est dans ses veines. Il n’y avait pas meilleur interprète que lui pour le faire. Ça fait du bien de l’entendre. J’ai l’impression qu’il pose tout de suite le décor. Il plante un truc. En gros, c’est comme si c’était une notice. Quand t’écoutes l’intro, c’est la notice de l’album. « Pas de mensonges« . « Vérité« . « Il a traversé l’enfer« . « Le marathon continue« . Pour moi, c’est les mots clés de l’album. Et t’es obligé d’écouter cette intro, si tu veux comprendre le propos.
Au sein de la tracklist, “Avertisseurs (Part II)” arrive juste avant la collaboration avec Ali. Est-ce que t’avais prévu de l’appeler comme ça avant qu’Ali soit sur l’album ?
À la base, il s’appelait “Téléphone”, parce qu’on simulait un appel téléphonique. C’est pour ça qu’il y a la voix un peu pitchée au début. Mais par la suite je me suis dit : « Non, mais en fait ce morceau il sonne comme un avertissement« . Comme je disais toute à l’heure : « Eh les mecs, Waly il sait encore rapper« . “Walygator” qui était sorti avant est un peu technique, mais il y a du refrain un peu chanté. C’est ce que je voulais d’abord montrer aux gens. Mais “Avertisseurs (Part II)”, j’avais cette frustration et cette envie de montrer aux gens que je sais rapper. Prince Waly, avant tout, c’est du rap français. Que t’écoutes Big Budha Cheez, que t’écoutes Junior, il y a de la musicalité, mais c’est le rap, l’écriture, le texte au centre du propos. Et “Avertisseurs (Part II)”, pour moi c’est un pur son de rap. Ça va tout droit, il n’y a pas de refrain. Et ça me faisait penser au morceau “Avertisseurs” de Lunatic, ou ils te préviennent qu’ils arrivent et qu’ils vont te montrer ce qu’ils savent faire. Donc, par la suite lorsqu’on a fait “Rottweiler” et qu’Ali nous a donné son accord pour apparaître sur le morceau, c’est là que je me suis dit que ça serait incroyable d’appeler le morceau “Avertisseurs (Part II)” et que juste après Ali arrive. C’est comme un hommage. L’album est truffé d’hommages et de références et je voulais que ça se ressente. D’autant plus que sur “Rottweiler’, Ali commence son couplet de la façon la plus magistrale possible.
On pouvait pas faire plus Lunatic que cette entrée
Exactement. Il a fait un feat avec Dinos juste avant, qui est incroyable. Et à la base on voulait partir sur cette énergie. Mais je suis tellement un fanatique de Lunatic que je me suis dit que le son “Rottweiler” avait déjà cette texture qui rappelait Lunatic. Mais Ali voulait écouter d’autres choses, des trucs un peu plus colorés. Je lui ai dit : « Moi je vais pas te mentir, franchement je veux du Mauvais Oeil« . Et il me disait : « Mais moi j’ai envie de tourner la page. C’est comme si toi aujourd’hui on te demandait de refaire du Big Budha Cheez« . Et quand il m’a dit ça, je me suis dit qu’il avait raison, donc on devait partir sur un truc plus coloré. Dans le studio il y avait Géraldo (ndlr : producteur historique de 45 Scientific et donc de Lunatic). Il a dit : « Ouais mais, moi quand on me sert mon plat préféré tous les jours, je vais quand même le bouffer ! » (rires). C’est ça qui a fait pencher la balance, Ali a dit : « Ok, on y va”. Du coup, je pense que ce sera le dernier morceau où il accepte de replonger dans Lunatic. Je pense qu’il n’y reviendra plus et qu’il n’en fera pas d’autres comme ça. Il veut juste tourner la page. Chose que je peux comprendre. Et, encore une fois, un grand merci à lui d’avoir accepté le challenge. C’est une preuve de respect immense pour moi.
La façon dont t’as teasé et dont tu parles de ce feat, ça nous a directement fait penser à Makala qui ramène Ill sur Chaos Kiss, avec la même énergie, en en parlant comme la meilleure collab’ de sa carrière. Forcément, quand tu fais ça, on imagine qu’il y a une part de toi qui a juste envie de se faire plaisir en ramenant les mecs qui t’ont donné envie de rapper sur ton album. Mais est-ce qu’il y a aussi un truc de transmission ? Faire comprendre aux plus jeunes générations qui t’écoutent qui sont les Ali, les Ill et tout ceux qui font que vous en êtes là aujourd’hui ?
Bien sûr. Je pense que indirectement et même inconsciemment oui. Encore une fois, ces gars là méritent tellement. Ils ont tellement oeuvré pour le rap, avant les chiffres, avant l’argent. Eux, c’était la passion. Ils rappaient pour rapper, quitte à y perdre des plumes, quitte à y perdre de l’argent, quitte à y perdre la santé. C’est des mecs qui vivaient pour le rap. Et on se reconnaît tellement dans cette énergie, et je pense qu’on leur doit tellement, qu’au final c’est une façon de leur dire merci. Et comme tu le disais, de dire aux jeunes générations : “Mais les gars, regardez ce qu’ils ont fait avant nous”. Parce que nous on arrive, c’est beau, on fait les guignols et tout mais on n’aurait pas pu faire ça si ces mecs là n’avaient pas existé. À l’époque rapper c’était pas facile. Il n’y avait pas les radios, les concerts. C’était pas encore à la mode, c’était un truc genre : “Ah toi t’es un rappeur ? Mais t’es un guignol en fait”. Et ces mecs ont jamais rien lâchés. Donc je trouve ça trop fort. Pour nous aujourd’hui c’est facile de rapper mais c’est un luxe. On a de la chance, on fait des interviews. À l’époque, eux, personne ne voulait entendre parler d’eux, c’était vu comme un truc de sauvage. Lunatic c’était vu comme du rap de village comme dirait un célèbre programmateur de radio (rires). C’est beau je trouve d’avoir tenu le coup malgré ça et d’avoir prouvé à des mecs comme nous, à une génération entière, que c’est possible. Et c’est totalement le message que je veux véhiculer, ne serait-ce que pour l’outro. Si t’as des rêves, réalise-les. C’est ces mecs là qui m’ont fait comprendre qu’ils avaient des rêves et ils les ont réalisés. Et je trouve ça trop beau. Makala est sur l’album aussi et je pense qu’on est exactement dans la même énergie. On sait pourquoi on fait de la musique. Parce qu’on aime ça avant tout, et que ça peut faire kiffer des générations qui eux le feront aussi à leur tour. Je trouve ça juste beau. Et effectivement, c’est pour me faire plaisir aussi. C’est pour me faire plaisir et ça me donne confiance en moi de me dire qu’un mec comme Ali valide. C’est incroyable, je peux pas espérer mieux. Le mec que j’écoutais il y a vingt ans, vingt ans après je fais un morceau avec lui, c’est trop beau.
Que serait un album de Prince Waly sans story-telling ? Ça ne loupe pas sur Moussa avec “Movie” et on dirait que c’est limite devenu un espèce de running-gag.
(Rires) Ouais clairement. Même quand j’essaie de m’en débarrasser, je n’y arrive pas. Il y a une période de ma vie où j’ai été matrixé par Oxmo Puccino. C’était juste après Junior. Et à chaque fois que je devais traiter d’un sujet ou écrire un truc, je le faisais sous forme de story-telling. J’ai été trop matrixé par des morceaux comme “John Smoke” ou « Pucc’ Fiction”. Cet exercice est tellement impressionnant. Quand je voyais Oxmo le faire je me demandais comment il faisait pour écrire un truc si fourni, et pourtant que ça rime, les images qu’il dessine… Et du coup quand je me suis plongé dans cet exercice j’y ai pris goût, et une fois que je pouvais le faire je me suis dit que j’allais le faire tout le temps. Et c’était une facilité pour moi, j’étais identifié comme le mec qui savait faire ça, c’est un exercice impressionnant. C’était devenu une façon aussi pour moi de me cacher. J’avais pas envie de parler de moi. À cette période je ne voulais pas parler de ma vie, donc raconter les histoires d’autres personnes, ça m’arrangeait. Mais avec du recul, aujourd’hui j’ai appris à le faire mais en parlant de moi. En racontant ma propre vie. Parce que j’estime au final que mon histoire aussi est intéressante et surtout, elle peut motiver et inspirer certaines personnes. J’ai réussi à transformer l’exercice. Ce n’est plus vraiment du story-telling pour du story-telling, mais pour raconter ma vie. Si je vais parler de Mercedes, ce n’est plus juste pour parler Mercedes. C’est dans un cas précis.
C’est ce qu’on ressent aussi. Ton rap est toujours aussi référencé mais désormais ça sert beaucoup plus ton propos.
Exactement. C’est dans un cas précis. Pour mettre des images. Ce n’est pas juste pour faire une rime avec Mercedes. Parce que ce mot est vraiment beau, je le trouve trop beau. Il y a des mots que je trouve moche. Il y a des mots que je n’utiliserais jamais.
On peut avoir un exemple ?
La moula, j’utiliserais jamais ce mot (rires). Je préfère dire le biff. La maille. C’est harmonieux. J’ai toujours eu ce truc de m’interdire d’utiliser certains mots. C’est ce qui fait mon univers au final.
“Movie” c’est donc un story-telling. Mais c’est aussi une prod qui nous a complètement retourné le cerveau.
Incroyable. C’est JayJay et Lama. D’ailleurs c’est marrant parce que ce son, JayJay était en mode : « Je suis plus trop fan de la prod, j’ai envie de l’enlever”. Et si je te dis le nombre de morceaux qu’on a dans cette énergie et qu’on a retirés. Il y a des sons encore plus incroyables en terme de prod que “Movie”. Mais JayJay c’est tellement un génie qu’il repousse toujours ses limites. Donc il va te faire un truc incroyable aujourd’hui, mais le lendemain il va te faire une prod encore mieux. Du coup il va te dire : « Ah mais celle d’hier en fait non, je ne l’aime plus trop » (rires). Et c’est archi frustrant pour un mec comme moi. On a des morceaux dingues, mais qui ne sortiront jamais. Et “Movie” a failli ne pas être dans l’album. J’ai réussi à le convaincre de le mettre et maintenant c’est un des sons qui ressort le plus. Et je lui dis à JayJay : « Tu te rends compte, il y a tellement de sons qu’on n’a pas mis« . Pour lui si ils y sont pas, c’est qu’on ne devait pas les mettre. Et j’accepte. Encore une fois, je ne suis plus dans ce truc d’égo. Peut-être que ça finira par sortir un jour. Même “Avertisseurs (Part II)” il ne voulait pas le mettre dans l’album. C’est un assassin (rires). Pour dire à quel niveau d’exigence il est. C’est un mec méga pointilleux, j’ai jamais vu ça. Il est très impliqué, même sur un morceau comme “Rottweiler” : on a fait dix mix différents. Dix mix. C’est énorme. Mais je respecte, parce que c’est ce qui me pousse aussi à aller plus haut. Il me challenge. Donc je suis content de travailler avec lui. Heureusement qu’il fait partie de l’aventure, sinon l’album n’aurait pas eu cette couleur-là. Pour l’anecdote, à la fin de “Rottweiler”, on entend quelqu’un siffler. C’est JayJay. Faut savoir qu’on a gardé la première prise. Il a mis la prod, et mon couplet je le fais en one-shot. À la fin du morceau, JayJay siffle genre « Pfiouu, c’est chaud« , en rigolant. Et on a juste laissé le sifflement et enlevé le reste. Il y a eu ça où il a validé direct et “Messe”. C’est les deux seuls morceaux qu’on a fait en one shot et gardés dès la première prise. Donc finalement, il est exigeant mais il sait reconnaître quand c’est fort. C’est trop bien de travailler avec lui.
Pour “Messe”, ça n’est pas forcément étonnant. Comparé à “Avertisseurs (Part II)”, “Balotelli” ou “Movie” qui sont tous très marqués de l’empreinte de JayJay et du son RPTG, “Messe” apporte une autre couleur musicale.
Clairement. C’est parce qu’il y a Selman Faris qui est intervenu dessus. Il a fait un peu de réalisation sur le morceau. C’est un très gros musicien, qui a bossé avec les meilleurs : Laylow, Alpha, Nekfeu. Et Selman a une musicalité juste dingue. Ses projets solos je ne peux qu’inviter les gens à aller les écouter. Il m’a cassé le crâne. C’est super beau, il a une esthétique affirmée. On prépare un projet avec Enchantée Julia et il a bossé sur pas mal de tracks, parce que j’estime qu’il a une musicalité internationale. Et c’est ce que je vise. Si ma musique peut plaire à l’étranger, je serais le plus heureux. Et je pense que Selman peut m’amener dans ce genre de choses. C’est mon but ultime. Et je me dis que c’est possible quand je vois Luidji faire des concerts à Londres par exemple. Maintenant on voit même des américains s’inspirer de français. 6ix9ine qui reprend l’instru de “Bande Organisée”, c’est incroyable. Et nos meilleurs réalisateurs français qui vont faire des clips pour les américains, comme Valentin Petit qui clippe pour Rosalía ou A$AP Ferg. Ils ont un oeil sur nous et il faut en profiter.
Plus haut, tu nous as dit que Prince Waly c’était du rap français. C’est parfois le reproche que l’on pouvait faire à ton rap sur tes anciens projet qui semblaient parfois sonner comme « du rap américain en français« . Sur Moussa, on a l’impression que t’as épuré certaines intonations, que tu forces moins sur ta voix. On a l’impression que tu fais vraiment du rap français et que t’as délaissé ce mimétisme qu’il pouvait y avoir avant.
Ouais, clairement. En fait, j’ai vraiment mis l’accent sur le texte. BO Y Z, c’était vraiment des flows, c’était un peu plus de technique. C’était un peu plus un EP de démonstration. D’autant plus qu’en 2018, ce rap alternatif n’avait pas encore trop sa place j’ai l’impression. C’était seulement le début de ce qu’on vit aujourd’hui. Comme je l’ai dit, à ce moment là j’avais perdu en texte et j’étais moi-même moins touché par ce que j’écrivais. Je me suis souvenu que ceux qui m’avaient donné envie de rapper avaient une plume exceptionnelle. C’est ce qui m’a poussé à travailler sur mon texte et moins m’attarder sur la fioriture, les flows et tout ce qui sert à enjoliver un morceau. Là, je voulais vraiment que les gens soient happés et concentrés sur les mots plus que sur les flows. C’est pour ça qu’il y a peut-être moins de folie, mais il y a plus de chants à contrario, plus de mélodies. Il y a des refrains chantés. Les prises de risques se sont faites sur d’autres terrains. En fait, je pense que je suis un mec du texte. On sait que j’ai des flows, on sait que je suis capable de faire tel flow, telle technique. Encore une fois, je l’ai démontré avec le Grünt. Mais l’album je ne voulais pas que ce soit un album de freestyle. Je voulais que ça soit un ALBUM. Quelque chose qui traverse le temps.
Il y a un mantra que tu as beaucoup répété et qui semble au coeur de la création de cet album : « Aucun compromis« . Qu’est-ce que ça signifie pour Prince Waly de ne faire aucun compromis dans sa musique ?
C’est écouter mon coeur. Tout simplement. Parler avec mon coeur. Ne pas être influencé, déjà par des avis, qu’ils soient positifs ou négatifs. Quand je dis aucun compromis, par exemple tous les feats qui figurent sur l’album sont vraiment des feats de coeur. Chacun d’entre eux est une histoire. J’aurais pu appeler tel mec parce qu’il vend énormément. J’aurais pu appeler tel nom parce que c’est untel. Mais non, je n’avais pas envie. Pas de compromis. Ma musique c’est vraiment, pour le coup aujourd’hui, quelque chose qui m’appartient, et je voulais vraiment que mon album me ressemble à 100%. Que ce soit en terme de musicalité, en terme de productions, en terme de textes, en terme d’invités, en terme de cover, en terme d’imagerie : aucun compromis. J’ai jamais fait de clips avec des grosses caisses et des meufs à poil, sachant que c’est ce qui rapportait le plus de vues à une période. Je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai jamais. Pas de compromis à ce niveau là. Je ne veux pas avoir de regrets dans cinq ou dix ans, regarder en arrière et me dire : « Putain t’as fait ça, t’aurais pas du« . Ou, si j’ai des gosses, leur montrer des trucs en ayant honte. Ça serait ma pire erreur. C’est une phobie pour moi. Ali a dit : « Pas l’temps pour les regrets« , donc toute ma vie je me suis empêché d’avoir des regrets (rires). C’est pas aujourd’hui que ça va commencer. Pas de compromis. Les compromis amèneraient les regrets. Et je ne veux pas.
Qu’est ce que c’est la suite désormais ? On va notamment avoir la chance d’enfin avoir une tournée de Prince Waly.
Ouais ! Enfin. Comme je dis, le marathon continue et je suis sur la fin de ma maladie. Mais je vais pouvoir assumer une tournée, enfin. Je vais pouvoir célébrer avec les gens, partager avec eux, donner de l’amour, en recevoir en retour. 2022, 2023, 2024, ça ne va être que défendre ce projet. Le plus longtemps possible. Et je commence déjà à voir ce que je pourrais faire après. Pour l’instant je n’ai pas encore en tête de refaire un album, parce que Moussa est un morceau de ma vie. C’est mon histoire et j’estime l’avoir déjà beaucoup racontée. Donc ce sera peut-être de EP’s, ce sera peut-être des EP’s en collaboration, des featurings, peut-être une mixtape ou une compilation. Je ne me refuse rien. Mais j’ai surtout envie de donner toutes ses chances à cet album et le défendre au maximum. Je ne me vois pas ressortir un album dans six mois, ce serait le court-circuiter. Je pense qu’il vaut le coup d’être écouté.
Prince Waly – Moussa