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Spider ZED : «J’ai longtemps fait des morceaux pour ceux qui ne m’écoutaient pas»
Spider ZED a publié son nouvel album Club de cœur, et il nous a à peu près tout raconté : musique, famille, stratégie et industrie musicale. Rencontre.
Question assez banale, mais tout de même importante : Spider ZED, comment ça va ?
Et bien écoute, globalement, ça va pas mal !
Question que l’on se pose d’ailleurs à la fin de l’écoute de ton nouvel album Club de cœur. C’est vrai que tu proposes des prods assez dansantes qui contrastent énormément avec ton écriture, qui elle, est beaucoup moins joviale et empreinte de doutes. Ce qui ressort de l’album, et de ta santé, au final, c’est un bilan positif ?
En ce moment, je me sens assez bien. Le truc assez drôle, c’est que, comme je le dis dans mon morceau 25 ans, quand je vais bien, la plupart du temps, on dit que je troll, que je mens. Alors que non ! Je pense justement que, vu que je dis tous les trucs glauques qui me passent pas la tête dans mes sons, ça me permet de ne pas trop y penser au quotidien et de me concentrer sur les choses positives.
Et puis j’avoue, parfois il y a quelque chose d’un peu satisfaisant dans le fait de transformer les trucs un peu nazes qui m’arrivent en quelque chose d’assez bien formulé, avec de belles rimes. Je suis presque rendu au stade où, quand il m’arrive des trucs pas tops, je suis limite content !
Et c’est intéressant de voir que, même lorsque tu te sens bien globalement, ton corps peut te montrer l’inverse. C’est ce que tu racontes dans le morceau “En ce moment”.
Ouais, c’est ça ! Je dis ça à cause des cheveux blancs que je commence à avoir. Apparemment, c’est dû au stress, et je pense que je suis souvent très stressé, mais que je ne m’en rends pas trop compte.
Tu es de nature angoissée ?
Sûrement. Mais après, c’est au jour le jour. Vu que je suis tout le temps comme ça, ça fait presque partie de moi, comme les mecs qui fument de la beuh H24 : c’est quand ils ne fument pas qu’ils sont chelous.
Et aujourd’hui, tu te sens dans quelle phase, quelques jours avant la sortie de ton album ?
Pour l’instant, je suis dans la phase où j’ai hâte que ça sorte. J’ai hâte que les gens entendent tout ça et donnent un retour quoi. Actuellement, c’est surtout le moment un peu fourbe du processus, car la musique, c’est un peu comme le casino : quand t’y vas, tu te dis que tu peux ressortir très très riche, et en fait, 99.9 % du temps, ce n’est pas du tout le cas. Tu as juste perdu ton argent.
Concrètement, tu as lancé la roulette et tu attends qu’elle s’arrête pour voir si tu as le gros lot.
Oui, c’est ça, sauf qu’à chaque fois que je me dis ça, pour chaque projet que je sors, et bien ce n’est pas le cas. Après, c’est déjà pas mal ! Je me satisfais de ce que j’ai et c’est déjà très bien.
Tu as connu des périodes de remise en question avant la sortie du projet ?
Un peu, oui. À la base, Club de cœur devait être un EP. Je voulais faire un plus petit projet avec une ambiance plus pop-rock/indie, pas en mode Katy Perry, mais plutôt en mode petite guitare et petite batterie sèche. Et puis il y un an, en novembre 2021, j’ai sorti l’EP Comme un lundi, et je me suis rendu compte que les gens n’étaient pas forcément très impressionnés par le fait de faire des petits projets comme les EP.
Je pensais que c’était la maxi strat’ de procéder comme ça, en sortant régulièrement des morceaux plus courts et plus souvent, vu tout ce qu’il se passe avec TikTok par exemple. Mais je me suis vite rendu compte que c’est peut-être la bonne stratégie quand tu cherches à te trouver une audience. Le truc, c’est que j’ai déjà un public, alors il valait mieux pour moi que je sorte un projet un peu plus gros, comme un album par exemple. J’avais l’impression que ça aurait plus d’impact auprès des gens.
L’aspect stratégique et la notion de communication autour d’un projet, c’est quelque chose que tu aimes gérer ?
Ah ouais, moi je suis matrixé ! En fait, je suis assez indépendant alors, si moi je ne me pose pas trop ce genre de questions, personne ne va le faire pour moi. Après, je ne suis pas non plus rendu au point de suivre toutes les modes pour avoir la parfaite stratégie. Ce qui est bien, c’est que je suis assez maître de ma musique et le plus important dans tout ça, c’est que j’aime la musique que je propose. Je ne vais jamais faire des choses que je n’aime pas forcément en me disant “ok, ce n’est pas mon truc mais ça peut marcher donc let’s go”.
Justement, sachant que tu es assez indépendant au niveau de ta musique et de ton marketing, est-ce que tu aimerais parfois te reposer sur certaines personnes durant les grosses périodes de rush, pour éviter d’être à bout de souffle ?
Bien sûr. Après ça va beaucoup mieux à ce niveau-là car maintenant j’ai un distributeur, une attachée de presse… Ce qui fait que je ne suis pas tout seul. En revanche, pour tout ce qui concerne la stratégie de mon album, sa sortie ou sa cover par exemple, c’est vrai que je gère tout. La musique, c’est : mes potes et moi, tandis que la stratégie au sens large du terme, c’est moi tout seul.
C’est certain que j’aimerais parfois me reposer et déléguer, mais en même temps, est-ce que ça vaut vraiment le coup de signer dans un très gros label, d’être cinq fois plus connu, mais pour au final gagner cinq fois moins de royalties ? Je ne sais pas. Je ne cherche pas forcément à être très célèbre, je cherche juste à ce que les gens écoutent mes sons et que ça me permette d’en vivre correctement. C’est déjà très cool comme objectif.
Pour parler de ton album, Club de cœur, on a l’impression que tu t’es détaché de tes précédents projets. Tu as l’air beaucoup moins axé vers le sarcasme et l’ironie et plus tourné vers la sincérité et le premier degré.
C’est vrai que ce projet est beaucoup plus premier degré. Avant, on m’a pas mal mis une étiquette de rappeur parodique ou humoristique, alors que je ne pense pas l’être. On dirait un mec qui essaie de justifier, mais c’est juste que les thèmes dans mes sons ont toujours eu une espèce de profondeur, même si la forme est très second degré. Pour moi, ça a toujours été très sérieux.
Bon après, c’est sur lorsque je dis “sous la douche j’ai retrouvé un de tes cheveux dans mon cul”, là je me doute bien qu’on ne va pas écrire une dissertation dessus. Mais quand tu y réfléchis deux secondes, derrière ça, il y a quand même une suite. L’idée part d’une rupture et ça reste quelque chose de triste finalement.
Donc c’est vrai que dans cet album, j’ai un petit peu arrêté ce genre de tournures très second degré, qui sont directement interprétées comme des blagues. Il y a sûrement moins cette essence-là dont on parle dans ce projet. Mais je trouve qu’il reste toujours un peu de sarcasme et d’ironie là-dedans. C’est vrai que maintenant que j’y pense… je me dis qu’il n’y a pas vraiment de phases qui peuvent être interprétées comme des vannes, alors qu’avant c’était un peu le cas.
Le titre Club de cœur est un morceau assez touchant, où tu avoues aimer ta famille, et ce, malgré leurs défauts et le fossé qui vous sépare. Tu as eu du mal à le dire ?
Non pas trop. J’en parlais avec un pote lors d’une discussion qu’on a eu en rentrant de repas de famille. On était en train de se dire “putain, c’est dingue comme les gens qui sont censés être les plus proches de toi, peuvent parfois ne pas du tout te comprendre, et peuvent ne rien partager avec toi, mise à part ton nom de famille”. Et je me suis dit ok, c’est un peu glauque, mais en même temps, ça reste ma famille, je ne vais pas les renier ou arrêter de les voir. Donc chanter ce sujet-là, ça allait de soi.
Et le fait d’assumer d’aimer ta famille, c’est quelque chose d’assez nouveau, non ?
Oui, c’est vrai ! Après, dans le titre Overdose (Jeune intermittent), j’avais déjà fait une sorte de “déclaration” à mon père donc ce n’est pas un exercice que je n’avais jamais fait. Mais j’avoue que je n’en parlais pas énormément. Ou alors si j’en parlais, c’était plutôt pour leur mettre des grands tarifs. Maintenant, je leur mets toujours des grands tarifs, mais je leur dis que je les aime juste après, comme ça passe mieux quoi.
Vu qu’on parle des premières fois, est-ce qu’on peut dire que ton titre Tous les deux est ton premier son d’amour ?
Alors je ne sais pas si c’est mon “vrai” premier son d’amour. Il y a aussi les sons Toi et Moi et Mes exs part.3, mais c’est vrai que pour le coup, je parlais plutôt de rupture, tu as raison. Tous les deux est assez premier degré comparé aux autres… Putain, je deviens vieux.
Tu as dit que 25 ans était ton son le plus intime, pourquoi ?
Déjà, le couplet est très très long et il n’y a aucun refrain, donc j’étais plus enclin à me livrer sur quelque chose d’aussi long. Parfois, je me livre vraiment dans mes morceaux, mais quand je le fais, je le fais sur un couplet de 8 mesures pour passer tout de suite à un refrain. Donc tu peux passer d’une ambiance deep, à une grosse ambiance où tu chantes, ça rend la chose moins profonde. En plus, j’en avais déjà parlé avec Mario Roudil, qui avait fait des clips avec moi à l’époque, et qui m’avait dit que je devais absolument faire un son de 4 minutes, où je dis tout ce que je pense, et je me suis dit “putain, il n’a pas tort”.
Les prods de cet album sont largement inspirées du style indie-pop, et se démarquent beaucoup de ce que tu as pu proposer auparavant. Quelle a été ta démarche pour proposer de nouvelles sonorités ?
Je n’ai pas fait de recherches en soi parce que de base, ces musiques-là sont des musiques que j’aime. Je ne suis pas forcément dans la stratégie de me dire « Qu’est-ce que je peux proposer de nouveau ». Je suis plutôt dans une logique de me dire « ok, j’aime ce style, c’est chan-mé, donc je veux faire ça ». Je crois que les premiers morceaux de ce style (indie-pop) que j’ai écouté sont de Metronomy et Benny Sings, qui est très très fort d’ailleurs.
Et, vu que j’écoute moins de rap, en tout cas le rap qu’on entend beaucoup en ce moment (à part certains artistes), j’ai beaucoup plus écouté d’autres styles de musique, un petit peu plus mélodiques et chantés. Donc je me suis dit que si j’écoutais plus souvent ce genre-là, c’est peut-être plus “moi” si je tente des morceaux qui y ressemblent.
En plus, j’ai l’impression qu’en France, il n’y a pas beaucoup de gens qui font de la pop ou de la variet’, en disant des trucs de lesquels je me reconnais. Je trouve que les sujets sont toujours très vagues et que tout le monde peut se reconnaître dans un son “pop”, mais qu’en même temps, personne ne se reconnaît vraiment parce qu’on ne sait jamais de quoi ça parle en réalité.
Au final, même si ta musique évolue et prend des aspects un peu « moins rap », tu gardes toujours ce processus d’écriture bien spécifique au rap.
Oui, totalement. Je veux vraiment garder cette écriture, c’est la plus compréhensible selon moi : tu dis une phrase, tu peux peut-être l’interpréter de plusieurs manières, mais si tu veux le sens premier, tu as juste à lire la phrase pour le comprendre. Il n’y a pas trop à se creuser la tête pour comprendre ce que le rappeur veut dire, même si souvent, on peut trouver plusieurs sens derrière une phrase ou un mot. Donc je me suis dit que ce serait cool de faire ça, sur des mélodies un peu plus pop.
Comment tu t’organises pour concevoir un album en 2 ans ?
Au niveau de l’écriture et de la création en général, j’ai pas mal changé ma manière de faire. Avant, je faisais mes prods tout seul (même si je ne suis pas un grand musicien) et dès que j’avais une boucle de 8 mesures et un semblant de refrain, je considérais que le son était fini.
La différence, maintenant, c’est que j’ai commencé à travailler avec des potes : Jules Coulibaly, Pierre Pleure, Herman Shank. Mais surtout avec Jules, car c’est un pote que j’ai rencontré quand on était dans la même école de son. Et lui, c’est vraiment un artiste dans la mesure où il aime bien se prendre la tête sur les détails. Le genre de mec qui est très très fort, mais qui ne sort pas de musique parce qu’il se pose trop de questions.
Donc je me suis dit qu’il fallait qu’on allie nos deux forces avec moi, qui sors un peu trop vite mes sons parce que je me dis très vite que c’est fini, et lui, qui ne sort jamais rien parce qu’il se dit que ce n’est jamais fini. On a donc fait toutes les prods ensemble, pour ensuite repasser dessus, refaire pleins de petits arrangements, etc. Choses que je ne faisais pas du tout avant. Pour mes autres projets, je me limitais surtout à faire : couplet, refrain, couplet, refrain et c’était terminé. Là, on s’est un peu plus pris la tête sur des tout petits détails, sur des harmonies, des sonorités. Et je pense que ça a vraiment rendu le projet meilleur.
Et ce côté plus travaillé, comme tu le dis, tu penses désormais le mettre en œuvre plus souvent ? Ou tu restes tout de même un adepte de la spontanéité ?
J’ai adoré bosser comme ça, mais j’aime tout de même quand ça va vite, jusqu’à arriver à un semblant de maquette. Quand mes couplets et mes voix sont posés, ça ne me dérange pas de passer du temps sur le son. C’est surtout au début. Je n’aime pas passer trop de temps sur une prod parce que je sais que je vais devoir écrire par la suite, et si on passe une semaine à l’arranger avant de se lancer dans l’écriture, ça va me gonfler parce que je n’aurais plus d’inspi’. Il y a un côté un peu “magique” lors des premières heures où tu écoutes une prod, et c’est aussi le moment où tu as le plus d’inspiration.
Tu considères avoir eu du mal à te lancer dans tes phases d’écriture ?
On ne peut pas dire que j’ai galéré, mais je n’ai pas écrit d’un coup non plus. En fait, je me force beaucoup. L’inspiration pour mes textes, ce n’est pas forcément quelque chose qui me transperce comme si j’étais guidé par une voix divine. Souvent, je me mets devant mon bureau, et je me dis “bon bah aujourd’hui, il faut que j’écrive un morceau”, et au bout d’un moment ça passe.
C’était un choix de ne proposer qu’un seul feat sur l’album ?
Non pas forcément. De base, j’avais envisagé d’en faire plus, c’était d’ailleurs des feats assez “gros”, mais c’était super compliqué. Il y a eu des reports, des galères, donc ça m’a un peu gonflé. Je me suis dit « au fond, est-ce que ça change quelque chose qu’il n’y ait qu’un seul featuring ? ».
Certes, j’aurais bien aimé qu’il y en ait plus, mais c’était trop dur à mettre en place. Finalement, il y a quand même un feat avec Johnny Jane, qui est un chanteur que j’apprécie beaucoup.
Tu as déjà eu pas mal de retours par rapport à ce qui est sorti, tu ressens une sorte d’engouement ?
Ouais, un peu, et c’est vrai que ça faisait longtemps ! Je pense que le single 25 ans a pas mal plus. C’est sûrement dû au fait que je n’avais jamais fait ce type de son avant, aussi bien dans le fond que dans la forme. Avec du recul, je me dis que j’aurais dû le faire avant ! Je pense qu’on peut me reprocher d’avoir souvent fait des morceaux trop courts, et parfois trop de formats « single ». Même si je ne le réfléchissais pas toujours comme des formats single. C’est juste que, de base, j’aime bien les morceaux courts. Mais c’est vrai que c’est peut-être un peu frustrant de n’avoir que ce type de morceaux parce que je pense qu’on m’écoute pas mal pour ce que je raconte. Si je ne propose que 8 mesures et deux couplets à chaque fois, j’avoue que ce n’est pas énorme.
Mais ces morceaux-là sont efficaces.
C’est efficace, c’est clair. Mais je pense que j’aurais dû faire bien plus tôt des morceaux pour ceux qui m’écoutent, et j’ai longtemps fait des morceaux pour ceux qui ne m’écoutaient pas.
Avant, j’allais surtout faire des singles pour essayer de trouver un nouveau public, et puis finalement, en faisant cet album, je me suis rappelé que j’avais déjà un public avec des gens qui m’écoutent. La stratégie pour cet album était de régaler ce public-là, plutôt que de toujours essayer de “choper” des nouvelles personnes.
Tu n’as jamais eu cette réflexion auparavant ?
Si forcément, car quand je propose un son, c’est que je l’aime bien, et si je l’aime bien, ça doit forcément plaire à des gens. Mais c’est vrai que typiquement, un son comme 25 ans, qui dure 4 min, sans refrain, où j’envoie je ne sais pas combien de mesures pour parler de ma vie, et bien je m’empêchais de le faire car je me disais ça n’allait pas forcément parler aux gens qui ne me connaissent pas. Et je pense que je me suis tout simplement trompé.
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