Musique
Jey Brownie : «La musique a toujours été en moi»
Avec Faits Divers, entièrement produit par Flem, Jey Brownie a élargi le champ des possibles. Rencontre avec l’actuelle voix la plus douce du game.
Il y a plusieurs mois déjà, Flem, connu pour ses productions inquiétantes pour Freeze Corleone, désignait Jey Brownie comme son artiste préféré. Un choix étonnant au vu de leurs univers respectifs, semblant se situer à deux extrêmes opposées. En ce début d’année 2023 pourtant, la boucle a été bouclée, Jey Brownie dévoilant Faits divers, entièrement produit par Flem. À cette occasion, on a pu discuter avec lui. Entre sa rencontre avec Flem, ses différentes influences et son amour pour le Congo, on a découvert un artiste qui brouille les frontières de styles.
Jey Brownie comment tu vas ? Comment tu te sens à la sortie de Faits Divers ?
Je me sens très bien. Je me dis : «Enfin». Il était temps.
Justement. Ça fait combien de temps que tu bosses sur ce projet ? C’est dès la rencontre avec Flem que ça a commencé ?
Ça fait deux ans et demi. Flem je l’ai rencontré il y a trois ans. Et quand il m’a contacté on a presque direct commencé à bosser le projet. Mais chacun faisait ses trucs de son côté. Au départ on avait fait deux morceaux. Puis, il a parlé avec mes producteurs et on a du se mettre d’accord pour faire le projet etc. Donc entretemps, chacun faisait ses trucs de son côté.
On va en parler un peu mais avant ça, on voulait un peu revenir sur tes débuts et ce qui te caractérise en tant qu’artiste. Quels sont tes premiers souvenirs liés à la musique ?
Je pense que la musique a toujours été en moi. Mon père était le guitariste de Koffi Olomidé à l’ancienne, sûrement que ça vient de lui. À force de me faire écouter des sons à l’ancienne quand il était à la maison, ça m’a un peu influencé. Mais je ne saurais pas expliquer comment je me suis retrouvé à faire de la musique aujourd’hui. Je pense sincèrement que depuis tout petit j’en ai toujours été fan.
Tu te souviens de cette époque où ton père était guitariste pour Koffi ?
Ouais ! Il voyageait beaucoup et à chaque fois qu’il venait à la maison, on écoutait de la musique (rires). Il me ramenait des cassettes et des CD, on écoutait de la rumba. J’étais un peu jeune donc je ne comprenais pas vraiment, mais je savais qu’il faisait de la musique et qu’il était le guitariste de Koffi Olomidé. Mais je ne savais pas comment ça marchait. C’est avec le temps que j’ai compris que c’était son métier, que c’est pour ça qu’il n’était pas souvent à la maison.
Puis lorsque tu t’es mis à écouter de la musique par toi-même, tu rentres dedans avec quel artiste ?
Michael Jackson. Je me rappelle, je partais à l’école, je devais être en primaire et je chantais “Don’t Stop ‘Till You Get Enough”. C’est à partir de là que j’ai su que j’avais une belle voix. J’étais tout petit, mais je m’en souviens encore. Puis, quand je suis arrivé en France, je me suis mis à écouter ce qui se faisait ici. Même si je connaissais un peu, mais en arrivant j’ai vraiment approfondi. Et j’ai toujours été un fan de Chris Brown, comme de Young Thug, par exemple. J’aimais les deux et je voulais faire en sorte de mêler tout ça.
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C’est à quel moment que tu te dis que c’est ce que t’as envie de faire de ta vie ?
J’ai d’abord été choriste pendant quatre ans, de mes dix ans à quatorze ans. À l’époque, j’avais fait une vidéo. Je devais être au collège. Je l’avais mise sur Facebook et ça avait pas mal fait réagir, ça avait bien tourné, alors que c’était très instinctif pour moi. Ensuite, en 2016, j’entamais ma deuxième année au lycée et c’est là où je me suis dit : «Je pense que je peux faire quelque chose, que je peux apporter quelque chose. Il faut que je me lance».
Aujourd’hui t’es pas encore très bien identifié et les gens qui te suivent ou te découvrent ont peut-être tendance à te mettre dans la case R’n’B. De quel oeil tu vois ça ? T’as l’impression de faire du R’n’B ?
Vu que je suis un chanteur, les gens me catégorisent sûrement sur un truc qu’ils connaissent et qui leur semble familier. Donc forcément, le mot R’n’B revient beaucoup. En tant que fan de cette musique, j’aime en faire, je peux en faire, mais je peux aussi faire de la pop par exemple. C’est pas forcément du R’n’B, c’est un mélange de tout, parce que j’ai toujours voulu tout faire. J’essaie de mélanger toutes mes influences et que ça soit cohérent. Tant que c’est cohérent, c’est que c’est bon.
Justement, Faits Divers est un projet hyper cohérent, à l’imagerie très léchée. Pour autant il est défendu comme une mixtape et non un album. Quelles différences tu fais entre les deux formats ?
Il faut savoir que ce projet là, je le vois un peu comme une parenthèse dans ma vie d’artiste. Quand Flem m’a proposé le projet et m’a expliqué dans quelle direction il voulait aller, au début j’étais réticent, parce que je me demandais ce qu’on allait faire. Mais je me suis vite dit que l’idée était tentante, car c’était la meilleure façon de prouver que je peux mêler toutes mes influences. À vrai dire, si j’ai dit que c’était une mixtape, c’est aussi parce que je considère que je ne suis pas encore à ma version finale (rires).
Comment s’est faite la connexion avec Flem au départ ?
Il m’a contacté via les réseaux, via Instagram et il m’a dit qu’il kiffait ce que je faisais et qu’il voulait faire un son avec moi. Il m’a invité au studio et on a fait les deux premiers morceaux du projet : “Grizbi” puis “Sous Henny”. Finalement, il m’a recontacté et m’a dit : «En fait frérot, je vais pas passer par quatre chemins, viens on fait un projet». Il est dans un truc très sombre, moi je suis un mec qui chante et c’est cette dualité qui m’a aussi poussé à accepter.
Vous vous êtes compris direct en studio ?
Oui parce que je pense qu’on est tous les deux des fans de la musique avant tout. Sur toute une journée, je ne pense pas qu’il n’écoute que de la drill. Parce que sinon frère, c’est chaud (rires). Ton crâne va péter. Lui, quand il me propose le projet, il savait bien évidemment quel type d’artiste j’étais. Donc ça veut dire qu’il était prêt à ce que je ramène ma direction et ma façon de faire. Donc tout s’est fait très naturellement. Parfois je pouvais lui proposer des pistes un peu plus R’n’B. Et lui était toujours partant. Mais il essayait de ramener son énergie, pour créer un nouvel univers.
Où est-ce que tu te sens le plus à l’aise pour écrire ?
J’écris tout le temps en vrai. Quand je suis chez moi, je travaille, quand je suis au studio je travaille. Au début, j’écrivais beaucoup chez moi. Et c’est en faisant ce projet aussi que je me suis rendu compte que c’était possible d’écrire au studio et quelles capacités ça me débloquait. Je me suis beaucoup entraîné à ça, à écrire en même temps que se créée l’instru. Je puise mon inspiration dans ce qui se passe sous mes yeux. La vie de mes proches, la mienne. Mais ce dont je préfère parler c’est les choses dans leur globalité, qui font la vie. Quand je parle d’amour, je ne parle pas d’une femme en particulier. Mais de l’Amour en général.
Le sens des mélodies c’est quelque chose que tu travailles aussi ?
Je dirais que c’est avant tout spirituel. Même moi je ne comprend pas (rires). Des fois, je suis tout seul, on va m’envoyer une prod et je vais faire une mélodie de fou et je me dis : «Mais comment j’arrive à faire ça ?». Ça vient d’en haut. J’ai beaucoup travaillé bien sûr, mais c’est sûrement plus facile pour moi que pour d’autres. L’inspiration vient facilement.
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Sur ce projet il y a trois collaborations : Freeze Corleone, Tiakola et Guy2Bezbar. Comment ont-elles été choisies ?
Pour commencer par Freeze, la direction du projet était tellement nouvelle pour Flem et moi, qu’on a voulu mettre Freeze dedans pour créer quelque chose qui soit encore plus à part. Il n’avait jamais rappé avec un chanteur et je me suis dit que ça allait être nouveau pour le public, mais aussi pour lui. Après, sincèrement, je pense que de son côté il a peut-être toujours envisagé de faire ce truc. Il était hyper investi au studio et je pense qu’il savait ce qu’il voulait. Flem et moi on avait déjà imposé notre direction sur la prod, mais il a ramené quelque chose par dessus. Avec Guy2Bezbar, c’est un peu pareil. Flem avait posé une prod et on savait à peu près à quoi le son allait ressembler. Et à ce moment-là, j’avais pensé à Guy2Bezbar, sans le dire à Flem. Sauf qu’un jour, Flem était en séminaire avec lui et il lui a fait écouter le projet. Et Guy lui a dit : «Frérot, le projet est bouclé ou je peux encore être dedans ?». Quand Flem m’a dit ça, je me suis dit «Attends. Il y a une prod sur laquelle je le voyais bien» (rires). Je l’ai invité direct au studio, ça a grave collé et on a fait le son. Enfin, Tiakola je le connais depuis 2017. Il était encore dans son groupe, 4Keus et à l’époque je le croisais de temps en temps au studio Wati-B. Il rentrait dans le studio pendant mes séances, pour écouter ce que je faisais et il savait qui j’étais. À chaque fois qu’on se croisait, on prenait des nouvelles et le courant est toujours super bien passé. Donc, quand Flem m’a demandé qui je voyais en feat sur le projet, naturellement j’ai pensé à lui.
Tout autour du projet il y a l’air d’avoir une grande importance accordée aux visuels et à l’imagerie. C’est un processus dans lequel t’es impliqué ?
Ouais, mais pour le coup c’est vraiment un travail d’équipe, avec mon manager, mes producteurs et Flem évidemment. Il faut savoir qu’avant Faits Divers, j’avais sorti un projet qui s’appelle EXORDE avec une cover noire et blanche. Donc je voulais absolument garder cette direction là, parce que je pense qu’aujourd’hui ça fait un peu partie de mon identité.
Et bien sûr il y a la sappe. T’as l’air aussi d’y accorder une importance particulière.
J’suis Congolais mec (rires). On est dans la sappe depuis. Je me tiens pas forcément au courant de ce qu’il se passe. Je regarde pas de vidéos des défilés, je laisse ça à mes stylistes Rodrigue et Kévin (rires). Mais je sais toujours comment m’apprêter. Seulement, Rodrigue et Kévin sont là pour me dire quand j’abuse et que je mélange un peu tout. La sappe, en tant que Congolais, ça fait partie de ma culture. Déjà mon père, à l’époque c’était un sappeur et il m’a un peu inspiré. Mais quand tu vois les musiciens des pays, ils sont toujours stylés. Au Congo on est très portés sur l’image, parce qu’on dit que la première impression que tu donnes à la personne que t’as en face de toi, elle est très importante. Donc il faut être présentable, bien habillé. Je ne dis pas qu’il faut forcément porter des Gucci, tu peux t’habiller en friperie et bien t’habiller. Mais faut savoir accorder les couleurs, les pièces.
Le Congo tient une place importante, mais les États-Unis aussi, non ?
Bien sûr mec ! Les durag, les casquettes, c’est les États-Unis. J’ai toujours été fan de la musique américaine. Même si aujourd’hui j’écoute de moins en moins ce qui se fait là-bas. Au début, j’étais vraiment matrixé par les States. Mais plus je grandis, plus je prends en maturité et plus je m’intéresse à ce que je fais et je comprends que je suis un mec de Paris. Donc ça sert à rien de vouloir faire comme les ricains, parce qu’en vrai si je vais aux States, y’a déjà des mecs qui se sappent comme ça. Moi je vais essayer de ramener ma culture à moi, le vrai moi. Si j’arrive à ramener mes influences, ma culture africaine, mélanger ça avec la culture française, je trouve que ça peut créer quelque chose de nouveau. Je voulais pas être le cliché du rappeur qui fait trop le ‘cainri, alors qu’en vrai ça me représente pas. Je suis jamais allé aux States (rires).
Pour rester sur le Congo, c’est quoi ton rapport avec ce pays ? Est-ce que t’y retournes souvent ?
Comment je pourrais dire ça… Le Congo c’est moi. Moi, je suis le Congo. Pour devenir la personne et l’artiste que je suis devenu aujourd’hui, c’est d’abord Le Congo qui m’a fait. Les choses que j’ai vues, que j’ai vécues là-bas, ça m’a énormément appris. On n’y a pas la même vie qu’ici. Ça m’a beaucoup aidé à rester humble et me dire que tu peux tout avoir et tout perdre. J’y suis pas encore retourné mais je compte y aller le plus rapidement possible. Je me suis fixé un objectif c’est de repartir là-bas en tant que gagnant et roi, par ma musique.
Dans “Laptop” tu dis «Pourquoi j’fais de la ‘zic en vrai ?». Qu’est-ce que Jey Brownie répondrait à Jey Brownie ?
C’est vrai que je me pose la question. Pourquoi je suis né ? Pour être un fan de musique. Mais pourquoi j’en fais ? Pour l’instant Jey Brownie ne sait pas vraiment. Il ne le comprend pas vraiment mais il aime ça. Je le ferais jusqu’à ce que je comprenne vraiment pourquoi je le fais. Mais, maintenant, j’ai des bonnes raisons de le faire. Je ne me vois pas être dans le truc métro-boulot-dodo. Bien sûr, ça convient à d’autres personnes, mais j’estime que j’ai quelque chose à donner par ma musique. À force de recevoir des messages des gens, je me considère comme un docteur auditif. Je soigne le coeur des gens. Si certains passent des moments très durs, juste en écoutant ma musique, ça les apaise, et ils oublient leurs soucis. Et c’est ça qui répond à ma question quand je me demande pourquoi je fais de la musique. Je me dis qu’en fait je suis né pour faire ça, parce que ma voix aide les gens. Il y en a qui aident en étant dans le métro-boulot-dodo, dont je te parlais. Moi je préfère aider les gens grâce à ma voix.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Je dirais la reconnaissance.