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Alpha Wann aurait pu changer le rap mais il n'avait pas envie Alpha Wann aurait pu changer le rap mais il n'avait pas envie

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Alpha Wann et UMLA auraient pu changer le rap

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Lorsque l’on parle des meilleurs projets sortis ces derniers mois, voire années, Une main lave l’autre (UMLA) est vite mentionné. Pourtant, malgré toute sa technicité et sa puissance, Alpha Wann est passé à côté de « quelque chose » d’encore plus grand. 

Sortir un album si fort et faire si peu de ventes. Frustrant. De toute manière, Alpha Wann l’avait prévu. Non seulement il l’avait prévu, mais il s’en fout. Le membre de L’Entourage est un rappeur pur et dur. Enlevez toutes les fioritures qui composent une sphère rap dénuée de sens et d’intérêts. Votre communication dopée aux stéroïdes, vos tubes saupoudrés de voix robotiques et votre hype insignifiante… Alpha Wann rappe pour rapper. Point barre. Le problème, c’est que ça ne marche pas. Et ça, c’est chiant. C’est d’autant plus chiant qu’en forçant un petit peu le mécanisme, ça aurait pu fonctionner, et par la même occasion, révolutionner le rap. Et on pèse nos mots. Décryptage.

Le sabotage, le vrai

Le 21 septembre 2018 sortait Une main lave l’autre. Un album acclamé par les médias, par les fans, par ses confrères, « le dernier rappeur qui rappe », bla bla bla, l’histoire on la connaît. À travers dix-sept morceaux, Alpha Wann redonne ses lettres de noblesse au rap et à son instinct de kickage. L’album est incroyablement savoureux de technicité. Une petite douceur au milieu d’un régime strict et contraignant. Bref, assurément le meilleur album rap de l’année 2018, au sens littéral du terme. En deux jours, les grands noms du rap s’agenouillent devant l’homme qui a osé ce que personne n’avait voulu faire jusque-là : ce qu’il voulait. Alpha Wann n’en a rien à foutre, croyez-le, c’est un pléonasme. Pendant la conception d’un album qui aura définitivement pris du temps, l’artiste n’aura suivi qu’une seule ligne directrice : la sienne. Et peu importe le reste.

Un choix respectable qui l’a conduit à prendre des décisions improbables : retirer Joke et Nekfeu sans pression de son album en est le plus bel exemple. La théorie du sabotage, soigneusement détaillée dans un épisode du Règlement est profondément crédible. Elle relate qu’Alpha s’est enfermé dans une bulle, loin de toutes les futilités qui l’entouraient, pour se concentrer sur l’album qu’il voulait voir sortir, sans intégrer dans son équation nul vecteur économique, financier ou marketing. La promotion d’Une main lave l’autre est incompréhensible : des clips balancés à la fosse aux lions, aucune interview (exceptée une, pas franchement efficace pour YARD) et… c’est tout. En fait, la meilleure promotion de l’artiste aura été son Couvre-feu pour OKLM Radio. Un freestyle de huit minutes arrivé bien (trop) tard.

La théorie de la contre-hype

En observant de plus près la promotion de l’album, il semblerait que celle-ci soit en fait plus réfléchie. Et si, justement, Alpha Wann avait tenté de faire grimper la hype, en annihilant toute hype ?

Ainsi, Alpha a volontairement retiré Nekfeu de son album car, selon les faibles explications disponibles, il « n’était pas dans le thème ».  Soit. Après tout, il est le seul décisionnaire. Beaucoup ont jugé ça comme une sorte de suicide artistique, Alpha Wann ne disposant vraisemblablement pas des cartouches suffisantes pour faire résonner sa propre voix. Mais, au contraire, tout pourrait être avisé.

D’abord, le noyau de la fan-base de Nekfeu, présent depuis ses débuts, était évidemment au courant que l’album d’Alpha Wann allait sortir, et l’attendait précisément, les communautés des deux artistes étant sensiblement proches. Philly n’avait donc rien à gagner en faisant un titre un peu plus commercial avec Feu, puisqu’il aurait alors rapporté sur son album un public qui ne lui correspondait pas, sûrement plus jeune et adepte d’un rap moins ferme que le sien. La présence de Nekfeu sur « Langage crypté » aurait-elle fait franchement pencher la balance ? Pas sûr. Et en ce qui concerne Joke, sa capacité commerciale en terme de collaboration n’a rien de franchement magique non plus comme en témoignent, l’année précédente, les albums de Flaco ou de Dinos.

C’est précisément ici qu’intervient la théorie de la « contre-hype » : Alpha aurait utilisé tous ces arguments négatifs au profit de son album. Ses échanges avec Nekfeu sur Twitter et l’absence de l’artiste ont eu une résonance quasi-égale à un potentiel featuring (exagération, certes). Son feat avorté avec Joke également. Sa volonté « je m’en foutiste » et son statut de mec indépendant ultra providentiel n’ont fait que corroborer que l’album serait un exemplaire de rap brut, forgé pour ceux qui aiment vraiment la rime. Tous ces arguments réunis, mis en perspective par un album ultra-efficace, ne pouvaient que donner lieu à un schéma de réussite.

Mais non.

Et c’est là que c’est vraiment, mais vraiment, dommage.

Le game-changer avorté

Quoiqu’il en dise, quoiqu’il en pense, quoiqu’il ait pressenti, Alpha Wann n’avait sûrement pas vu venir le fait de faire si peu de ventes. Peut-être qu’il s’en fout, c’est d’ailleurs une certitude, mais c’est sûrement là que s’enraye toute la force d’un album qui aurait pu être précurseur. Un album qui, en plus d’être le classique espéré, aurait pu endosser le costume du game-changer.

Un game-changer, c’est ce genre d’album qui va influencer les autres. Qui va insuffler une nouvelle vibe au rap, dessiner une nouvelle ligne directrice pour les prochaines sorties, redéfinir les schémas du succès. Une main lave l’autre a été un échec commercial. Alpha Wann aurait pu mieux faire, c’est évident, mais jusqu’où ? En modifiant, ne serait-ce qu’un tout petit peu, la construction de son album, l’artiste aurait pu gonfler ses ventes et ainsi son statut. En ajoutant quelques petits détails qu’il se refusait, il aurait pu rendre son projet encore plus grand. Mais aussi grand qu’il soit, il n’aurait pas été comme il voulait, et les choix d’Alpha, aussi tordus soient-ils, doivent être respectés.

Cependant, un monde où UMLA serait disque d’or, ou platine, changerait véritablement le visage du rap. Il montrerait que le schéma déployé par UMLA est rentable, et non pas à perte, comme actuellement. Les ventes de UMLA ne vont pas modifier le train de vie du rappeur. Elles modifient, en revanche, celui d’autres artistes qui aspiraient à des projets similaires artistiquement, mais qui, heurtés à la déception commerciale d’UMLA, devront prendre le « risque du tube », et se dénaturer, pour plaire.

Car c’est sur ce point-là que le projet d’Alpha pêche : l’album est excellent, et maintient une ligne d’exception durant dix-sept morceaux. Mais comment en dégager un ? La peur de faire un tube un peu « trop » populaire ne doit pas masquer le besoin existentiel d’un album d’avoir un titre qui le représente dans l’imaginaire du public. « Cascade » aurait pu tenir ce rôle, mais trop mal défendu, clippé trop tard, et noyé dans l’album, le morceau n’est qu’un powerful parmi les seize autres. UMLA est d’une cohérence exceptionnelle, mais la peur de faire quelque chose, ne serait-ce qu’un brin commercial a, semble-t-il, effrayé Don Dada.

Le dernier rappeur qui rappera

Finalement, Alpha Wann ne fait que répondre à cette pâle prophétie selon laquelle il est le dernier rappeur qui rappe, et sera peut-être le dernier qui rappera. Après cet album, personne n’osera plus tenter la sortie d’un projet de ce style, aussi libre, car UMLA fait désormais jurisprudence, il montre qu’un tel modèle ne peut pas fonctionner. Presque égoïstement, il est peut-être le dernier rappeur à pouvoir sortir un tel projet. Doit-on lui en vouloir pour autant ? Non. Bien au contraire. Peut-être doit-on simplement en vouloir au grand public qui n’est pas (ou plus ?) prêt à accueillir ce type d’album et à le hisser en tête des ventes. Aujourd’hui, les rimes doivent avoir quelque chose de standardisées pour répondre à une démarche commerciale efficace. Auquel cas, un autre modèle est toujours en attente.

UMLA deviendra sûrement un classique, mais ne révolutionnera pas le rap. Pourtant, il aurait pu.

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