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Alpha Wann, un classique dans son sac-à-dos Alpha Wann, un classique dans son sac-à-dos

Musique

Alpha Wann, un classique dans son sac-à-dos ?

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À l’aube de la sortie de son nouvel album Une main lave l’autre, Alpha Wann tient son potentiel classique. Celui qui le fera passer de simple kickeur à artiste accompli. 

Alpha Wann est de la trempe des kickeurs. Il est de ceux qui, par leur technique, impressionnent lorsqu’ils sont au micro. Il est d’ailleurs souvent cité parmi les meilleurs rimeurs du rap français et il démontre sa puissance depuis longtemps. Déjà en 2009, sur le freestyle « Les 37 fantastiques », il annonçait : « Je suis l’alpha, l’oméga, le mégalo que personne n’égale au micro ». Le MC du groupe 1995 joue avec les mots comme un footballeur le ferait avec son ballon. Chacune de ses apparitions est une démonstration de style et d’aisance. Certains de ses freestyles, son couplet sur la Grünt 11 ou au Planète rap de Nekfeu, sont des exemples de technicité.

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Après avoir vendu de nombreux disques et écumé les salles de France avec 1995, Alpha Wann a entamé une trilogie en solo avec un premier EP du nom de Alph Lauren. Il est sorti en 2014, l’année de la création de son label, Don Dada, en collaboration avec Hologram’Lo, son beatmaker. Le deuxième a suivi en 2016 et le troisième en avril dernier. Ces projets sont tous globalement réussis mais n’ont pas été de vrais succès commerciaux, bien loin de ce qu’a pu connaître Nekfeu, qui partageait l’affiche avec Alpha Wann peu de temps auparavant.

Crédit photo : Kevin Jordan O’Shea

Trois projets comme rampe de lancement

Avec Alph Lauren 1, 2 et 3, le MC parisien a préparé son auditoire et a fait patienter son public. Le dernier opus en est d’autant plus la preuve que lui-même a avoué que certains couplets étaient issus d’improvisations, « Kim K » », le morceau avec Doum’s, en tête. Avec Alph Lauren 3, il annonce qu’il est encore là, toujours aussi fort et à l’aise, tout en flow. Il ne contient cependant que très peu de moments personnels, dans lesquels Alpha Wann se livre. Il l’avait fait à plusieurs reprises, dans ses premiers projets, en abordant des thèmes comme l’amour (dans « Vortex » par exemple), ou en racontant son quotidien, ses problèmes (« Bustour »). Ce n’est pas quelque chose de naturel chez lui : « Timidité, introversion, depuis le berceau », explique-t-il dans « ÇA VA ENSEMBLE ».

Le morceau « Saint-Domingue », dans le dernier projet, est un exemple d’équilibre, avec un condensé d’égotrip : « Royal comme Mohammed VI, dit moi merci, parce que ma présence est un présent », et de pensées plus personnelles : « Si j’avais su que les fantômes du passé me hanteraient, j’aurai fait les choses bien ». C’est ce niveau qu’Alpha Wann doit maintenir sur un disque entier pour en faire un projet homogène. Ça n’a pas toujours été le cas, car l’imagination débordante du rappeur se cogne aux contours des formats de disque, trop cadrés, trop carrés. L’avènement du streaming, et donc la disparition de certains codes (des rappeurs comme Kanye proposent des playlists) pourrait le libérer.

Crédit photo : Kevin Jordan O’Shea

L’écriture volage et marquante

La plume du FAL semble être reliée à ses pensées, qu’il laisse cheminer sans limite. Sur « Courchevel », il donne l’impression qu’il a écrit « je cours je vais », puis qu’il a remarqué que ça sonnait parfaitement bien avec « Courchevel » et qu’il a ensuite construit le morceau entier dans l’univers du ski, sans se poser de questions. Son flow coule comme un robinet qu’on laisserait ouvert, les mots se suivent et l’on retrouve des rimes en milieu de phrases, des rimes partout, mais jamais en trop.

Les deux extraits de l’album publiés cet été annoncent du très positif. « STUPÉFIANT ET NOIR » se positionne comme l’un des meilleurs morceaux d’Alpha Wann. Il évoque des images que l’on semble voir à travers les écouteurs : « leur musique c’est du bruit qui me dérange comme le voisin quand il tape sa meuf ». Il se montre plus lucide que jamais : « très peu probable que je tape un platine, faut que je fasse un classique ». Le point faible de Alpha Wann, hormis « le pollen-vodka-tropico », réside dans sa capacité à faire des refrains marquants, qui se démarquent des couplets. Il l’a déjà fait avec brio par le passé, en chantonnant, en interprétant plus bas et différemment le refrain. Ils se résument cependant très souvent à des phases qu’il répète. La réussite commerciale dans le rap aujourd’hui est de plus en plus basée sur la mélodie, sur le chant, avec autotune ou non, terrain sur lequel Alpha ne s’aventure que très peu. Ce n’est bien sûr pas obligatoire et des morceaux sans refrains peuvent devenir des tubes. Il n’est pas totalement exclu que Alpha Wann fasse un platine, mais il a sûrement plus de chance de faire un classique, comme il le dit dans « STUPÉFIANT ET NOIR », de sortir un album qui résiste à l’épreuve du temps. Un album qui ferait date et aurait de l’influence sur la suite du rap français, influence qu’a déjà Alpha Wann mais dans une mesure encore moindre.

Un rappeur toujours dans les temps

Ses morceaux sont compliqués à dater et certains d’Alph Lauren, premier du nom, pourraient très bien être de cette année, comme « L’histoire d’un type bien » ou « Hydroponie ». Le dernier extrait d’UMLA, « ÇA VA ENSEMBLE », date de juin 2016. Il l’a révélé sur Twitter, mais sans cette précision, il était très compliqué de percevoir cette particularité. Les productions, presque toujours signées Hologram’Lo, lui assurent une continuité et y sont pour beaucoup. Le fait qu’Alpha Wann garde aussi sa ligne directrice et son style reste la raison principale à cette intemporalité. Il ne cherche pas à s’adapter au style du moment ou à adopter une formule classique qui lui assurerait le succès : « J’l’avoue, j’ai eu envie d’faire des tubes avec des rimes simples quand j’ai vu la dernière pub pour le Série 5 ». Il conserve sa ligne directrice et continue à envoyer ce qu’il aime et réussit mieux que les autres, faire rimer des mots et les aligner, avec des flows propres à lui, qu’il déballe avec ses pensées.

Même si Alpha répète à l’envie sur les réseaux sociaux qu’il est son rappeur préféré, il n’a pas que sa confiance en lui à transmettre. On perçoit sur certains de ses morceaux des prises de conscience quant à la situation du monde, de la communauté noire ou de la société française. À l’image d’un rappeur comme Booba, il distille ses messages au détour de punchlines moins sérieuses. Il le fait par intermittence, et cette phase dans « Quand on chausse les crampons » résume bien son état d’esprit : « Est-ce que le rôle d’un rappeur est de t’éduquer ? Moi je suis ni ton prof, ni tes parents ». Ses messages sont souvent fatalistes mais plus parlants qu’un morceau entier d’un rappeur conscient : « Mes nègres iront au musée quand ils vivront près du Louvre », « immigrés – échec scolaire, ça va ensemble ». Il lui arrive aussi de proposer des solutions : « Je prône l’auto-suffisance et l’entraide ». Quand ce n’est pas lui, il insère une citation au début de « STUPÉFIANT ET NOIR » pour prôner la générosité. C’est le discours d’un homme qui explique que les gens gardent trop leur argent et que si tout le monde dépensait tout irait mieux, d’où il a tiré le nom de son album. UMLA signifie Une Main Lave l’Autre.

Crédit photo : Kevin Jordan O’Shea

Bien accompagné pour accomplir sa destinée

Le projet contiendra 17 titres, dont cinq collaborations, avec des artistes proches du Philly Phlingue. Celle avec Infinit’ s’annonce explosive puisqu’elle réunit deux des rappeurs les plus à l’aise techniquement en France, deux des meilleurs rimeurs. Ils ont déjà collaboré sur le titre « Le sac est plein », un chef d’œuvre déjà daté de trois ans. Infinit’ peut apporter ce côté musical et chanté qui fait parfois défaut au rappeur de L’entourage. Sneazzy, comme Doum’s, aussi en feat sur l’album, peuvent également avoir cet atout. Ils ont l’habitude de combiner avec Alpha Wann. Quant au quatrième featuring, il s’agit d’Og l’enf, membre d’Eddie Hyde. Il se fait plus rare que ceux cités auparavant, mais a notamment fait une apparition sur le très bon projet de MV, « PCLA3 », dans le titre « Brasse ». Enfin, Diabi est le dernier à être présent sur UMLA. Beatmaker souvent impliqué dans les morceaux de L’entourage, il est surtout connu pour avoir participé activement à la carrière de Georgio, présent sur toutes ses dates. Il n’a pour l’instant jamais envoyé de couplet, il s’agirait vraisemblablement plus d’une production. Certains ont regretté l’absence de Nekfeu, qui a d’ailleurs tweeté que son couplet avait été retiré de l’album, ce qui est fort possible. L’autre absence marquante est celle de Nemir. Le MC de Perpignan et le rappeur à lunettes avaient produit ensemble « Wake up », un morceau incroyable. Ce titre, avec plus d’exposition, aurait eu l’opportunité de grimper haut dans les charts estivaux, et une deuxième tentative aurait été plaisante. Elle aura peut-être lieu sur l’album tant attendu du rappeur sudiste.

Alpha Wann a toutes les cartes en main pour produire, enfin, un grand album, et obtenir une plus importante reconnaissance. Il est à une période charnière de sa carrière. Arrivera-t-il à conquérir le grand public, chose que des artistes semblables à lui, comme Dany Dan, un de ses exemples, n’ont jamais su faire ? Là n’est pas la question, car le MC peut faire l’album pour lequel il est prédestiné, un disque impressionnant, car c’est ce qu’il est très souvent, et ce qu’il doit désormais être sur un projet entier.

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