Musique
Avant « Bande organisée », une petite histoire des classiques de compilations
Quelques années après la compilation 93 Empire, un autre département français réunit ses grands talents avec 13 Organisé. L’occasion pour nous de vous faire revivre l’histoire des grandes compilations françaises à travers des morceaux emblématiques.
Les premières rimes assassines sur une compilation de rap français datent de 1990 sous l’impulsion de Benny Malapa et Virgin Records : « Rapattitude ». Cette œuvre originelle réunit les grands noms du microcosme hip-hop de la fin des années 1980 : Assassin, Tonton David, Saliha, Saï Saï, Dee Nasty, NTM, Daddy Yod, ALARME (Democrate D) EJM et les New Generation MC. C’est le début de la longue histoire des compilations de rap français.
« Le crime paie », classique parmi les classiques
Avant les albums Quelques gouttes suffisent…, Jeunes, coupables et libres et Mauvais œil, la nouvelle scène du rap français du milieu des années 1990 fait ses classes lors de freestyles à la radio et sur des mixtapes. Cependant, un autre format accélérera leur éclosion. En 1996, Hostile Records, nouveau label de EMI, sort la compilation Hostile Hip Hop qui réunit Ärsenik, Les X, 2 Bal & Niro, Polo ou encore Lunatic. Le casting est également impressionnant à la production : Ghetch, Kilomaitre, Solo, Docteur L, DJ Mars et Sulee B Wax.
Le binôme Ali et Booba est présent sur la 8ème piste avec « Le Crime Paie ». À l’époque, le groupe n’est pas considéré comme la tête d’affiche de la compilation mais sa performance marquera les esprits et installera le nom Lunatic dans le paysage hip-hop tricolore. Sur un sample du saxophoniste argentin Gato Barbieri, les rappeurs des Hauts de Seine livrent une performance hors du commun. Quel amateur de rap français n’a pas essayé de rapper le fameux couplet : «Tu sais, le crime paie protège tes seufs chef tes fesses. Et les méfaits n’cessent…» ? « Le Crime paie » symbolise le sommet de l’ascension des jeunes Ali et Booba, ancien de la nébuleuse La Cliqua, également passé par Le Beat de Boul puis par Time Bomb avec DJ Mars qui produit le morceau. Quelques années après sa sortie, le morceau atteint la deuxième place du top 100 des classiques du rap français de L’acdr du son. Classique.
Oxmo Puccino et l’inoubliable « Pucc’ Fiction »
D’ailleurs, pour la petite histoire, « Le Crime Paie » aurait pu exister sur une tout autre version avec la production d’un autre classique : « Pucc’ Fiction ». Et quelques mois après Hostiles Hip Hop, sous la responsabilité de Sébastien Farran d’Island Records sort la compilation 15 titres L432. Si le casting est aujourd’hui impressionnant, il réunit en 1997 ceux qui sont encore considérés comme des rookies : Lunatic, Polo, Afro Jazz, Ekoué, Casey ou encore Oxmo Puccino. Pur enfant de l’école Time Bomb, Oxmo Puccino a déjà quelques morceaux à son répertoire au moment de la sortie de L432 dont plusieurs sur la mixtape « Opération coup de poing » également de 1997. « Pucc fiction » est un chef d’œuvre du story-telling à la française. L’auditeur embarque pendant quatre minutes à Bogota dans un règlement de compte mafieux. Le rap est technique, la narration parfaite, la combinaison Oxmo Puccino et Booba est historique.
Après « Pucc’ Fiction », Oxmo Puccino apparaît sur d’autres compilations comme sur L’invincible armada ou sur l’album de la Mafia Trece avec le morceau « O.M.U. ». Cependant, sa carrière explose, façon Time Tomb, avec « Mama lova », morceau phare de la compilation Sad Hill produite par Khéops du groupe IAM. Ce morceau est un vibrant hommage aux mères du monde. Oxmo Puccino reconnaît avoir tiré son inspiration du morceau « Dear Mama » de 2Pac. Une idée brillante qui propulsera la carrière du rappeur de la station Danube.
De Marseille à La Haine
En 1998, un autre producteur du groupe IAM, Imhotep lance son label Kif Kif Productions avec la compilation Chronique de Mars. Le doyen du groupe emblématique de Marseille réunit la scène rap de la cité phocéenne : 3ème Œil, Fonky Family et Soûl Swing & Radical. Si les Marseillais rendent souvent hommage à la Bonne Mère, ils savent également célébrer la Marie Jeanne dans le morceau fleuve « Le retour du Shit Squad ». Ce morceau symbole du rap marseillais réunit : Le Rat Luciano, Don Choa, Menzo, Sat l’Artificier, Faf Larage, K-Rhyme Le Roi, Boss One, Jo Popo, Freeman et Akhenaton. Comme une prière Akhenaton aka Sentenza ouvre son couplet avec Au nom du Père du Fils et du Sentenza. Amen., belle métaphore avec le Saint Esprit. Débutée en 1990 avec « Concept » l’épopée du rap marseillais se poursuivra après Le retour du shit squat avec des albums mythiques comme Aujourd’hui, Demain du 3e Œil ou encore C’est Ma Cause de Faf Larage et L’Palais de justice de Freeman.
La belle histoire du rap marseillais s’écrit en harmonie avec l’épopée des grandes compilations made in France. En 1995, Delabel sort La Haine, musiques inspirées du film. Une compilation initialement composée de 12 titres avec en tête d’affiche le Ministère AMER, MC Solaar, les Sages Poètes de la Rue et Assassin. Quelques années avant de dénoncer les effets néfastes de la télévision sur la jeunesse dans « Petit frère », IAM combine ses forces avec Daddy Nutea sur le même thème dans « La 25ème image » sur un sample de la bande originale du dessin animé Akira. Ce titre fait référence aux 24 images qui défilent à la seconde au cinéma, la 25ème image est considérée comme un message subliminal pour le spectateur. Un morceau charnière dans la carrière du groupe marseillais entre Ombre est lumière et L’école du micro d’argent. 25 ans après sa sortie, le film de Matthieu Kassovitz demeure une référence sur le quotidien des banlieues et les violences policières.
Ma 6-T va crak-er, un recueil de classiques
Quelques années après La Haine, une œuvre cinématographique marquera l’histoire du hip-hop français avec une bande originale exceptionnelle : Ma 6-T va crack-er composée par White & Spirit, à l’exception du morceau d’Assassin. Aucun autre titre de rap français n’a aussi bien appelé à la révolte que « La sédition » des 2Bal et Mystik. Les trois artistes rappent à l’impératif des slogans vindicatifs : un rap politique, conscient (mais pas chiant), voire révolutionnaire. Un classique inimitable.
Après des apparitions réussies sur des compilations avec les morceaux « Pendez-les », « J’attaque du mike » et des couplets maîtrisés sur « Les bidons veulent le guidons » avec Time Bomb, les X Men entrent définitivement dans l’histoire avec « Retour aux pyramides » sur la bande originale de Ma 6-T va crak-er. La compilation sera disque d’or avec 100.000 ventes physiques. Les meilleurs élèves de l’école Time Bomb jongle avec les mots comme des virtuoses. La langue française est magnifier, les figures de style sont célébrés, et les références cultes sont omniprésentes. D’ailleurs, le morceau accompagne une scène de course poursuite dans le film. Un pari pour les compositeurs qui marient une boucle lente de violon à une scène où les personnages courent. « Retour au pyramides » est classé numéro 3 des meilleurs morceaux de rap français par L’abcdr du son. Une juste récompense.
Du Romantisme de Baudelaire à la plume de Rohff
Les deux membres du Ministère AMER figurent dans la compilation Ma 6-T Va Crack-er : Passi dans « Les flammes du mal » et Stomy Bugsy, qui joue dans le film, dans « Avoir le pouvoir ». Si le troisième membre officieux du Ministère AMER ne figure pas dans la tracklist de cette bande originale, Doc Gyneco rappe le meilleur complet de sa carrière dans une autre compilation. Retour en 1996 avec « Hostile Hip Hop » et le morceau « Tout saigne » de La Clinique, clin d’œil ironique au tube « Tout baigne » de Menelik. Les sales gosses de la Porte de La Chapelle flirtent alors dans l’univers du Secteur Ä. Papillon et le Doc Gyneco livrent un egotrip monumental et cru aux références impertinentes sur une production de Tefa. Le couplet du Doc Gyneco pue la révolte d’un adolescent rebelle, affamé sexuellement ayant parfaitement conscience de son talent de rappeur.
En 1999, d’autres enfants du Secteur Ä gravent à l’encre indélébile leur noms dans l’histoire du rap français avec Les Sessions Première Classe Vol. 1. Classique parmi les classique dans l’épopée des compilations rap français avec un casting inégalé. L’album est une succession de combinaison inédite entre rappeurs de régions différentes et aux parcours plus ou moins long. Le projet à la pochette très sobre est porté par la combinaison Ben-J, Jacky, Mystik, Pit Baccardi et Rohff sur « On fait les choses ». Le producteur Djimi Finger sample le morceau L’Etranger de Léo Ferré. Ce grand chanteur français avait mis en musique un poème de Charles Beaudelaire. Comme quoi la frontière est mince entre le romantisme et les rimes assassines de Rohff…