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Le mal-être de Bigflo et Oli Le mal-être de Bigflo et Oli

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Le besoin de prouver, le mal-être de Bigflo et Oli

Photo DR : Instagram Bigflo & Oli

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Bigflo et Oli ne cessent d’explorer leur succès par tous les moyens possibles. La preuve en est avec leur nouveau morceau « Stade » : le duo toulousain, dont l’image est écornée par les fans de rap, pallie le manque de reconnaissance de ses pairs par une notoriété toujours plus tentaculaire. Mais que cache-t-elle ?

Vainqueurs des Douze coups de Noël sur TF1, jurys dans Top Chef, ou invités au Stade de France pour la finale du Top 14 : Bigflo et Oli sont devenus des stars. Une année qui les a vu être couronnés d’un disque de platine en seulement quelques jours, et enchaîner les grandes performances devant un public toujours plus immense. Cette fièvre du « toujours plus » est l’un des emblèmes du tandem toulousain. Conscients de leur progression, les deux frères se fixent des paliers ambitieux, qu’ils parviennent à franchir, à chaque fois. Enchaînant les télévisions et baignant volontiers dans des sphères dorées. Ils subissent, cependant, les coups du milieu qui les a vu naître. Le hip-hop, tantôt hostile à leur progression, tantôt fier de leur reconnaissance, assombrit l’ascension des deux frères. Comme s’ils se devaient de justifier leur force commerciale, comme s’ils devaient prouver leur statut à un milieu qui les jalouserait ou les moquerait, Bigflo et Oli semblent éprouver un mal-être, voire une paranoïa vis-à-vis du rap. Une vie de rêve, envieuse, mais peu enviée.

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Au sommet de la pyramide de Maslow

« J’en ai marre d’escalader la pyramide de Maslow », soupire Orelsan dans son morceau « Si seul ». Cette punchline reflète plutôt bien l’ascension d’un rappeur qui aurait besoin de franchir les différents escaliers qui composent le mythe de Maslow. Composée de cinq étapes distinctes, la pyramide respecte un schéma très détaillée.  Mais là où l’accomplissement de soi semble être – selon Abraham Maslow – l’étape finale de sa théorie de la motivation, Bigflo et Oli justifient cette catégorie par l’absence, le manque, d’estime et d’appartenance. Car dans un monde du rap hostile et téméraire, les deux frangins essuient de nombreux pics, parfois sincèrement injustifiés.

Bigflo et Oli divisent d’abord pour leur public. Très jeune public. Et dans le rap, en terme de popularité, c’est apparemment un défaut. Lorsqu’on associe un artiste à un public enfantin, familial, le reste de l’audience, se sent peu concerné par l’artiste, comme s’il ne pouvait faire groupe avec sa communauté. Ce syndrome reste tout de même compliqué à gérer dans le rap. Ce côté familial, variété, leur réussit à merveille, mais ne coïncide pas avec l’esprit, voire l’histoire, du rap. Soprano, Black M ou Maître Gims ont acquis en amont suffisamment de crédit dans le hip-hop pour avoir aujourd’hui encore le respect de tout un milieu. Plus jeunes, Bigflo et Oli ne peuvent jouir de ce statut. La complexe place du duo –  un peu bâtarde en somme –  dans le rap français décuple son besoin d’affirmation. Lui donne la rage. Tentent-ils encore de pallier ce manque perpétuel de reconnaissance par leur insatiable appétit ?

 

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La folie du « toujours plus »

Ils veulent prouver. Faire ressentir une progression dans leur carrière. Chaque album est porté par de nouveaux défis XXL. Comme lorsqu’ils programment deux Stadium à Toulouse consécutivement, en précisant que le dernier artiste à l’avoir rempli est Michael Jackson. Comme lorsqu’ils lancent une date à la U Arena, comme si Bercy ne leur suffisait plus. Mais peut-on leur reprocher ? Lorsqu’on peut remplir la U Arena, pourquoi se contenter d’une salle plus petite ? Simplement, la manière dont les deux frères cherchent à viser toujours plus haut semble relever plus d’un défi personnel que d’une avancée cohérente dans leur carrière.

Dans leurs publications annonçant leurs nouvelles dates, ils revendiquent leur « rêve de gosse ». C’est d’ailleurs autour de cette idée, rêveuse et fantasmatique, qu’ils bâtissent leur carrière. Le « rêve de gosse ». Celui qui les a mené au Zénith, et les mènera bientôt dans les autres salles de leur tournée. Chacune de leurs déclarations sur leurs concerts à venir sonne comme une démonstration ostentatoire. Il n’est pas question avec eux d’égotrip, de réussite exposée indécemment, mais d’une volonté de prouver (à qui?) qu’eux aussi ils peuvent le faire (« Nous aussi »).

Les deux frères vivent ainsi chaque promotion de leur album comme si c’était la dernière. Comme si tout allait s’écrouler du jour au lendemain. Et l’on retrouve là davantage la naïveté de deux jeunes gosses rêveurs que l’insolence de deux rappeurs à succès. Depuis qu’ils ont percé, Bigflo et Oli vivent dans un rêve, qu’ils poussent à l’extrême : ils invitent Eminem sur leur album La vraie vie, et réussissent à s’offrir Busta Rhymes. Et si cette soif du « toujours plus » a parfois un côté éreintant, elle est aussi compréhensible, voire nécessaire.

La tête sur les épaules

Au-delà de cette folie, le défi constant des deux frangins est de garder une image sobre et les chevilles maigres. C’est presque schizophrénique. Qu’on critique leur album (de manière constructive), les deux artistes n’en ont franchement rien à fiche. En revanche, dire qu’ils ont pris le melon représente une insulte colossale à leur personne. Partout, en interview comme dans leurs textes, ils se nourrissent de cette simplicité qui fait leur force. Ils veulent se sentir proches de leur public puisque c’est là qu’ils excellent. Ils multiplient les références très personnelles, presque intimes. Également, ils retournent dans l’école de leur enfance pour le poignant clip de « Plus tard », prouvant leur désir, et ce peu importe le nom de leur album, de narrer « la vraie vie ». Et cette « vraie vie », contée par des gens qui ne la vivent plus, c’est compliquée.

L’image des deux artistes fluctue entre cette volonté de garder les pieds sur terre, et leur envolée vers une sphère plus VIP. Ils rappent leur amitié avec leurs potes Jamel Debbouze, Gad Elmaleh, Cyril Hanouna, tout en précisant s’adresser à un public « comme eux ». Et dans « Nous aussi 2 », ils surprennent en déclarant être les meilleurs rappeurs français, dans un style d’égo-trip qui ne leur ressemble finalement que très peu. Les histoires qu’ils vivent désormais ne représentent plus le public pour qui ils prétendaient rapper. C’est toute la problématique exposée dans La vie de rêve.

Ainsi, le besoin de reconnaissance des Toulousains passe par de nouvelles fréquentations, des caméos dans de très grosses productions françaises, tout ceci tempéré par une proximité avec leur public. C’est peut-être leur plus grande force : savoir pour qui ils rappent. Ceux qui vont regarder Les douze coups de midi en font partie par exemple, ce qui va amener les deux frères à participer à l’émission spéciale Noël aux côtés de Jean-Luc Reichmann. Cette volonté de garder la tête sur les épaules leur joue cependant certainement des tours, car elle décrédibilise un peu plus leur street-cred. Mais ils s’en foutent. En tout cas, c’est ce qu’ils disent.

 

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Quand on prépare l’attaque… ⚔️🤫

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Un rap qui ne veut pas d’eux

« Ce qui nous déçoit, c’est que nos semblables du rap actuel ne comprennent pas Bigflo et Oli. Cela peut paraître étonnant, parce que l’on a toujours été soutenus par les anciens comme IAM, NTM et MC Solaar. Je ne vais pas mentir, ça nous contrarie un peu. Parce qu’on pourrait composer des morceaux intéressants avec des rappeurs de notre génération. Roméo Elvis et Lomepal, on les adore. Mais, malheureusement, ils ne se réclament pas de notre « team »… »

Voilà comment, lucidement, Bigflo évoquait les relations avec ses confrères rappeurs de la même génération. Tout commençait déjà avec Orelsan, lorsqu’il leur « refusait le feat ». Une histoire qui a fait couler beaucoup d’encre, sans qu’une explication véritable à ce refus ait été donnée. Ils ont d’abord évoqué un problème de calendrier, avant de certifier dans une interview, plus tard, qu’il n’y aura jamais de feat entre le duo et l’auteur de La fête est finie. Sûrement à cause de soucis internes, surtout que Gringe se montrait beaucoup plus virulent à leur égard sur Instagram, en certifiant également dans une interview qu’ils étaient « démagos ». Ambiance… Peut-être anecdotique, ce refus a finalement écarté Bigflo et Oli d’une bulle (leur « semblable du rap actuel ») qu’ils auraient pu (dû?) intégrer.

À cette mise à l’écart, il existe un tas d’explications. Souvent futiles, parfois crédibles. D’abord, les deux frangins ont un public extrêmement jeune auxquels n’ont peut-être pas envie d’être associé d’autres rappeurs qui, pourtant, n’ont pas un public bien plus vieux. Ils défendent également véhément une image, dans laquelle certains artistes n’ont pas envie de se plonger. Ce portrait de famille très lisse, ce rap très familial. Lomepal ou Roméo Elvis, cités dans l’interview donnée au Parisien, sont beaucoup plus animés par l’esprit rock’n’roll, la bande de potes, le chill, la sappe que les frères à l’image sage.

Ces refus sont sans doute nécessaires à la construction de la fan-base de Bigflo et Oli. Les deux artistes ont tendance à vouloir plaire à un public large, allant de Tryo à Soprano, en passant par Guizmo et Vianney. En revendiquant des valeurs propres, en déconstruisant une image du rap et en proposant une vision alternative de « leur » hip-hop, ils refusent par la même occasion de s’associer avec ce monde-là. Car Lomepal par exemplereprésente ce monde opposé. Loin de l’extrême simplicité des deux frères, l’auteur de Jeannine incarne un personnage ultra complexe, animé par une folie artistique difficile à percevoir. Il est aussi l’allégorie brute du rappeur ayant baigné dans la sphère parisienne. Donc l’absurdité n’est pas tant que Lomepal ou Roméo Elvis refusent des featurings à Bigflo et Oli, mais plutôt qu’eux souhaitent s’associer avec des personnages qu’ils refusent fermement d’incarner.

 

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Didier…montre nous la voie ⭐️⭐️

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Le déni du provincial

Enfin, la success-story de Bigflo et Oli serait-elle aussi « success » si leur rap ne venait pas de Toulouse ? Représentant fièrement leur ville rose jusqu’au sommet de Bercy, les deux artistes ont enfilé le costume d’un rap provincial qu’ils auto-proclament à l’encontre de la grosse bulle parisienne. Pour Le Parisien (et c’est là l’ironie de la situation), ils expliquent :

« On a aussi un côté « provincial » qui dérange. À Paris, le petit milieu de la musique – j’inclus dedans les journalistes « intellos » – ne réalise toujours pas notre succès et ce que l’on représente pour le reste de la France. »

Cette phrase est fausse. Le monde de la musique comprend très bien qui sont Bigflo et Oli. Leur succès autant que leurs récompenses le démontrent. Difficile de catégoriser un rap de « provincial » ou de reconnaître qu’ils représentent le « reste de la France ». De manière assez ironique, une nouvelle fois, si quelqu’un d’autre qu’eux se devait de représenter ce « reste de la France », ce serait Orelsan. Et rien n’a empêché au rappeur caennais d’aller copiner avec les sphères parisiennes. Le problème de Bigflo et Oli, c’est donc ce côté « anti-cool », comme ils le définissent eux-mêmes. Peut-être que leur côté provincial a atténué leur chance de rejoindre les rappeurs de leur génération qui restent extrêmement fermés, mais c’est eux qui les combattent, se sont braqués, et ont fabriqué toute leur image par opposition.

« On est aux antipodes de ce qui est à la mode. Avec nos fringues ringardes et notre discours « Je ne suis pas un gangsta », on est les anti-cool. Je me souviens d’une vidéo sur YouTube où je parle de mes premiers rapports sexuels de manière pas très glorieuse. Ça, théoriquement, dans le rap, ça ne se fait pas. »

Non, ça « ne se fait pas ». Eux-mêmes le savent. Eux-mêmes connaissent les raisons de leur écartement injuste de la bulle rap francilienne. Eux aimeraient qu’on les accepte comme ils sont, mais le rap est cruel. En cassant les codes du rap, ils ont indirectement choisi de ne plus en faire partie. Lorsqu’ils s’embrouillent avec Mehdi Maïzi sur Twitter ou lorsqu’ils avouent à Mouloud Achour qu’ils ne comprenaient pas pourquoi ils n’étaient pas invités dans Clique, ils reconnaissent une sorte de paranoïa.

Leur discours s’étend bien plus loin que « J’suis pas un gangsta », il promeut cet aspect ringard assumé. Et lorsqu’on revendique ce mouvement là, on ne peut s’associer à des artistes qui misent énormément sur la mode et leur image pour construire leur personnage. Bigflo et Oli pourraient être fédérateurs à plus d’un titre, ils pourraient même ouvrir de nouvelles perceptives pour des rappeurs qui suivraient leurs codes. Pour ça, ce serait à eux de prendre les devants, en affirmant qu’eux non plus n’ont pas envie de s’associer à des rappeurs dans lesquels ils ne se reconnaissent pas. À partir de là, et de cette franchise, ils ouvriraient une voie qui regrouperait ces rappeurs, amoureux de la rime, bien qu’éloignés de l’esthétique actuelle du rap.

Pour l’heure, Bigflo et Oli avancent comme des funambules, entre une popularité tentaculaire et la lucidité que le milieu qui les a vu éclore ne leur correspond plus et ne les accueille plus. Pour tenter de percer les sphères auxquelles ils prétendent appartenir, ils tentent de devenir toujours plus gros, en remplissant les salles, les unes après les autres. En vain. Sûrement faudrait-il qu’ils se rendent compte que leur manque de street-cred est une force. Pas une faiblesse.

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