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Comment Laylow et son logiciel « Trinity » ont mis tout le monde d’accord
Très attendu par une niche puriste et consciente de son potentiel, Laylow a su canaliser l’attention avec un album qui force aux montagnes russes émotionnelles.
Il est 18 heures, et cela fait autant de temps que Trinity est sorti. Sur Twitter, le mot-clé Laylow ne bouge pas des tendances, toujours placé entre le « Coronavirus » et la « Gare de Lyon ». Voilà donc dix-huit heures que l’artiste provoque l’émulation sur le réseau social. Et la dithyrambe, aussi, jusqu’à être proclamé unanimement « Man of the year » par les internautes. Un peu sous le coup de l’émotion, beaucoup sous le coup de Trinity.
Car Laylow, dix-huit heures plus tôt, a impressionné. Claqué. Secoué. Le rap français avait une nette idée de son potentiel, qu’il a séchée en un coup de main exceptionnel. C’est bien plus que ça. Trinity n’est pas un énième projet de niche, chargé d’étouffer sous les qualificatifs de sa fan-base, comme l’étaient destinés ses prédécesseurs. Non, Trinity avait l’ambition d’un classique. « Et comme on dit dans le jargon, c’est un INS-TANT CLAS-SIC », reconnaît un utilisateur sut Twitter.
« Le but de tout ça, c’est de prendre des risques »
La virtuosité du Toulousain aura fini par payer. L’éloge de ses fans aura fini par éclabousser en plein dans la gueule d’un rap français désormais incapable de lui tourner le dos. « La prod, les paroles, l’ambiance, tout est parfait », juge un fan. « C’est la première fois que j’écoutais Laylow, et je ne suis pas déçu », avoue un autre. Man of the year, vous dit-on.
Alors, parlons de ce Trinity. Même brièvement, car les quarante-huit d’heures d’écoute qui séparent la sortie de l’album de cet article ne suffisent clairement pas à balayer toutes les subtilités d’un projet si ambitieux. « Trinity est un film auditif », poursuit un internaute, et aucune de nos description ne semble mieux le définir. Du haut de ses vingt-deux morceaux, l’album narre la romance virtuelle de Laylow, noyé dans sa solitude, et de Trinity, un logiciel de stimulation émotionnel.
À travers ce scénario, habillé d’une ambiance digitale, de la cover aux instrumentales en passant par l’exceptionnel travail des interludes, Laylow plonge l’auditeur dans une immersion artistique sculptée à l’image d’un film, avec des personnages, des dialogues, des émotions. « Je suis content quand je fais un beau clip, mais ça ne me suffit pas. « Je voulais que dans l’audio, dans le son, on ressente la même chose, justifie Laylow aux Inrocks. Cette narration, je ne pouvais pas la limiter aux clips. Ça touche différemment le cerveau, les émotions. Le but de tout ça, c’est de prendre des risques. Faire du neuf avec du vieux, ça me plaît. »
Trinity, une éloge de la créativité
De toute manière, il l’avait prévenu. «Est-ce que je suis allé trop loin ? Est-ce que je suis compréhensible ? Est ce que ça sert à quelque chose ? », se demandait-il au moment d’annoncer la sortie de son opus. Il avouait être allé au bout de sa folie. Sa force. Son identité. « Je n’ai peut-être pas les meilleures mélodies, pas la meilleure voix, pas la meilleure écriture, mais j’essaie d’être le plus créatif », poursuit-il pour Les Inrocks.
Cette créativité, Laylow l’a incorporé au fil de son projet, à travers ses interludes. « Parfois, on se rate, c’est aussi bien de faire un pas en arrière quand tout le monde regarde vers l’avant », explique-t-il en évoquant de vieux albums de rap américain qui reprenait cette ossature très authentique, portée par un scénario. Trinity est une entité virtuelle qui suit le lecteur au fil des morceaux.
Mais malgré sa détresse, le programme Trinity s’autodétruit et Laylow est condamné à errer dans la réalité, c’est la fin du digital. pic.twitter.com/1xB1jXouBT
— hakim (@Yellow_flash10) February 28, 2020
Cette ambition a propulsé l’album au coeur des albums-concepts. La comparaison avec JVLIVS de SCH est, d’ailleurs, déjà évoquée. Mais là où SCH a sobrement habillé son album d’une narration et d’un univers, Laylow semble avoir procédé à un découpage créatif audacieux. L’album fonctionne par séquence : Trinity prend de plus en plus de place dans la tête de Laylow, qui finit par brûler, contraint à se plonger dans l’eau. Là, s’entame un autre chapitre où Trinity est finalement déconnecté. Laylow se retrouve, enfin, de nouveau seul. Comme un « Logiciel triste ».
Trinity est une claque au rap français par son originalité presque anachronique. À l’heure des titres playlistables et de la conquête de la certification, Laylow a pris le risque d’un album aux morceaux quasi-indissociables. Et c’est ainsi que l’artiste futuriste a puisé dans le passé pour porter un regard encore plus loin dans le futur. Reste à espérer que le succès suive, et que la critique, déjà unanime, permette à Trinity de franchir des records d’installations.