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Comprendre la spectaculaire cover de « To Pimp a Butterfly » de Kendrick Lamar
L’artwork de To Pimp a Butterfly, album culte de Kendrick Lamar, renferme une multitude d’éléments effilés autour des seize morceaux de l’album.
Cinq ans, et toujours aussi frappante. En mars 2015, Kendrick Lamar publiait son exceptionnel To Pimp a Butterfly. Cet album-histoire, marqué par l’empreinte d’un art engagé, est l’un des chefs d’oeuvre de l’artiste de Compton. Soigné et fédérateur, l’opus a définitivement consolidé la place de K-Dot parmi les meilleurs artistes de sa génération. Après Good Kid, M.A.A.D City trois ans plus tôt, Kendrick ré-impose son esthétique, et surtout, sa soif inépuisable de porter les valeurs afro-américaines.
C’est ce qui découle jusque dans la cover emblématique de l’opus. Capturée par le photographe français Denis Rouvre, celle-ci met en scène Kendrick Lamar, entouré de ses proches, torses-nus, chaînes en or autour du cou, billets dans la main, sur la pelouse d’une Maison-Blanche révolue sous la puissance culturelle et politique d’un artiste étendard de la culture ghetto. Iconique, cet artwork exprime sous une autre forme d’art toute la verve brute et esthétique qui traverse To Pimp a Butterfly.
Kendrick Lamar porteur d’une identité culturelle
On pourrait croire à une soirée un peu trop alcoolisée. Seule la Maison-Blanche, en toile de fond, fait tilter le spectateur. L‘artwork de To Pimp a Butterfly dépeint la révolution de Kendrick Lamar, la révolution des Afro-américains. Sur le cliché, dans un vintage bi-chrome très prononcé, entouré d’une bande de copains de Compton, Kendrick est posé sur la pelouse de la résidence présidentielle des États-Unis. Torses-nu, avec des enfants, billets et bouteilles dans la main, ils semblent avoir fait chuter le pouvoir incarné par le lieu politique saint et central du pays.
Selon Kendrick Lamar, le cliché capture l’euphorie de l’ascension jusqu’à la richesse. Ce moment de vie naturelle, qui démontre toute la puissance de l’argent dans les mains de ceux qui n’en ont eu que trop peu. Comme une victoire, symbolisée par les cris de joie de ces gangstas, tous noirs. Kendrick s’impose au centre, pile-poil au croisement des diagonales de la cover. Il tient dans la main un enfant, lui-même tenant un billet, regardant vers l’horizon. Comme pour témoigner d’un avenir meilleur, tout proche.
L’artwork prévient également sur le contenu de l’opus, par les thématiques de l’image. Le succès, caractérisé par l’argent et les bouteilles de champagne. L’engagement politique, culturel et social, traversé par l’unique présence de personnalités noires devant la Maison-Blanche. Le milieu de la rue, que l’on retrouve au coeur de cette ambiance ghetto. Et même un avertissement sur les propos de l’artiste, tandis qu’un gamin aux doigts floutés surplombe le « Parental Advisory », en bas à droite.
Le juge mort de To Pimp a Butterfly
De l’autre côté, à gauche, un seul personnage blanc apparaît : un juge, reconnaissable avec son marteau, aux yeux marqués de deux croix noirs. Couché sur le sol, visiblement, écroulé sous la révolution portée par les personnages au premier plan, le juge semble incarner la faillite du système judiciaire américain envers les personnes de couleur. Certainement une référence aux émeutes, notamment celles liées à l’affaire Michael Brown, à Ferguson.
Cet Américain, noir, a été tué en août 2014, quelques mois avant la sortie de To Pimp a Butterfly. Âgé de 18 ans, il aurait été abattu par six coups de feu tirés par Darren Wilson, un policier. Plusieurs versions se sont contredites, menant à d’innombrables émeutes dans les rues de Ferguson. Aussi, Kendrick Lamar étant originaire de Los Angeles, il est possible d’y voir là une référence aux émeutes de Watts. En 1965, ce quartier du sud de L.A., a été le théâtre de six jours de violence après l’altercation entre trois membres d’une famille afro-américaine et des policiers blancs. 31 manifestants ont perdu la vie dans ces émeutes, ainsi que trois policiers.
Parmi les visuels intégrés dans le livret du disque physique, on retrouve un autre plan avec un juge décédé. Un protagoniste noir, billets dans la main gauche, pointe du doigt la caméra, euphorique, comme pour montrer l’exemple. À côté de lui, un enfant, torse-nu, au visage tout aussi évocateur, semble faire un doigt d’honneur, flouté par le montage. Dans une théorie évoquée par le média Neo-Prisme, ces gamins, présents autour de l’esthétique de l’album, pourraient faire écho au scénario artistique de Good Kid, M.A.A.D. City, prédécesseur de To Pimp a Butterfly, qui narre l’itinéraire de Kendrick Lamar depuis sa banlieue.
Ainsi, le cri de Kendrick Lamar, lui-même, au centre de l’image, représenterait l’ultime victoire d’un artiste, fédérateur et adoubé par la critique, parti des ghettos de Compton pour rejoindre la scène des Grammy Awards, où il est reparti avec une statuette pour féliciter son accomplissement avec To Pimp a Butterfly.
Dans le reste de l’actualité, le cimetière des morceaux oubliés de Damso.