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Damso, Kaaris, destins parallèles des deux progénitures de Booba
Si le Duc sait varier ses costumes, l’un d’eux semble lui réussir particulièrement : celui d’incubateur de talent. Il peut d’ailleurs se vanter d’avoir propulser deux acteurs majeurs du rap actuel, aux destins assurément parallèles.
À droite, dans l’angle rouge : Kaaris, monstre d’écriture et de productivité. Poids lourd invaincu, respecté par ses pairs et encensé par les spécialistes, le Français bouscule la hiérarchie du game depuis plusieurs années Des punchlines muées en terribles uppercuts et une carrure à décourager le plus preux outsiders, le natif de Sevran bombe fièrement le torse en haut des charts. A gauche, dans l’angle bleu : Damso. Définitivement l’étalon montant sur qui miser : celui qui chamboule les bookmakers et fait perdre la tête au public. Le coup droit le plus dévastateur de la profession et une technique percutante : le bruxellois a tout d’un futur (très) grand champion. Leur point commun ? Avoir évolué sous l’aile du même entraîneur, tout en essuyant, depuis, des parcours diamétralement opposés.
Entrée dans le milieu professionnel
Un couplet. Un seul. C’est ce qu’il aura fallu aux deux artistes pour s’élever au plus haut de la scène rap. Seize lignes, autant de punchlines et la savoureuse prétention de surclasser Booba sur son propre titre.
2012. Le Duc balance son sixième album Futur. Au milieu des grosses pointures américaines se glisse un (quasi) novice : Kaaris. En vérité, l’artiste n’a rien d’un amateur et balaye le rap depuis déjà une dizaine d’années, dans l’ombre. Pourtant, sur le morceau « Kalash », il lâche sûrement l’un des meilleurs couplets de rap français. D’une saleté effroyable, son seize évince Booba de son propre album et brille d’un noir hardcore sur un titre instantanément certifié classique. Un visage sera mis, quelques mois plus tard, sur la voix la plus sale du moment avec un clip ténébreux. Kaaris est définitivement entré dans le jeu.
Trois ans plus tard, Booba balance son Nero Nemesis. Plus sobre, le casting de l’album ne met en lumière que l’entourage proche du Duc. Parmi eux, sur le titre « Pinnochio », un nouveau nom méconnu. Flow impeccable et d’une lourdeur terrifiante, punchlines irréalistes : le couplet de Damso fait trembler le game et le huitième opus de B2o. L’étoile est née.
Première victoire par K.O.
C’est donc avec une pression conséquence que les deux novices ont appréhendé leur premier combat professionnel. Une pression, pour autant, maîtrisée dés le premier round.
Quelques mois après sa performance monumentale, Damso s’est lancé seul dans le bain. De là est né « Débrouillard », un bijou de classique. Dans la continuité de « Pinnocchio », le belge enchaîne les phases surpuissantes dans un univers frais et noir. L’instrumentale, simpliste, est compensée par un savoureux travail de mixage et des backs exceptionnels. Premier défi solo abouti pour Damso : la concurrence tourne les yeux et scrute la sortie de son opus Batterie Faible. Aucun featuring, seul, comme un grand, il plie le game avec son environnement aussi obscur que perturbant. Certains morceaux respirent le Booba d’antan, d’autres apportent un nouveau souffle à l’hexagone. Succès commercial et artistique, sous la tutelle d’un Duc omnipotent, Damso semble intouchable.
Alors que son clip avec B2o balaye le rap, Kaaris prépare son entrée sur le ring. « Zoo », son premier morceau post-Futur dessine précisément l’atmosphère de l’artiste. Que dire du titre à part qu’il est peut-être l’un des plus aboutis de sa carrière. Des couplets à écarquiller les yeux, une puissance phénoménale et une saleté rarissime dans un rap qui tourne en rond. Kaaris envoie le rap au tapis, et le second round l’achèvera avec l’album Or Noir. Rassemblant tous les éléments qui ont fait sa popularité tout en caressant quelques tentatives assumées, ce premier opus relève d’un très haut niveau. Soutenu par Booba qui en fait sa plus grande fierté, K2a bouscule la hiérarchie du rap.
Dos à dos avant l’affrontement
Pourtant, alors que leurs débuts de carrière semblent s’emboîter, les deux artistes ont subitement pris des chemins différents, sans jamais perdre de vue l’objectif clé : la ceinture de poids lourd.
Alors qu’il se pavane en haut des charts, propulsé par B2o, une fracture étonnante va mettre du plomb dans l’aile de Kaaris. Son entraîneur, emprunt à de nouveaux défis, va alors froidement lui tourné le dos. En vérité, l’histoire est plus complexe, et les deux mastodontes semblent avoir tous les deux leur rôle à assumer dans la confrontation. Quoiqu’il en soit, les voilà désormais ennemis, alors que le néo-duo semblait endosser le costume de parfaits colonisateurs des bacs. Booba, déçu, s’en est d’ailleurs pris à de nombreuses reprises à son ancien poulain. Ce dernier a pourtant bien vécu cette séparation puisqu’il pointe désormais en haut des poids lourds depuis de très nombreux mois. Si l’élève n’a pas dépassé le maître, il lui fait sérieusement de l’ombre.
Damso, quant à lui, continue son parcours en solo, tout en restant fidèle au 92i. Son second album Ipséité pulvérise les records sans aucune collaboration. D’ailleurs depuis « Paris c’est loin », un inédit ne figurant pas sur la tracklist du premier album, aucun featuring avec Booba n’a été fait. S’il reste sous l’aile du Duc, le bruxellois tient à percer en solo, sans l’aide de personne. Et pour l’instant, c’est tout à son honneur.