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Elena Copsidas nous a parlé de son livre « Au nom du rap » avec Georgio, Jok’Air et Chilla

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Au nom du rap

Elena Copsidas, passionnée de rap et de littérature, a invité 17 rappeurs à écrire des poèmes pour son livre « Au nom du rap ».

Au nom du rap, c’est le livre parfait pour casser les stéréotypes sur le rap. C’est le livre parfait pour casser les codes. C’est le livre parfait pour convaincre vos parents que le rap, ce n’est pas juste du kickage. Il y a plus que ça. Pour Elena, rap rime avec poésie. Les deux s’assemblent, se ressemblent, et s’opposent dans leur structure. Le fond reste le même : un texte, des rimes, une voix.

La forme, c’est la différence. «Dénués de production musicale», ces poèmes uniques de rappeurs comme Jok’Air, Georgio, ou encore Sean sont une version littéraire de ce que le rap représente pour Elena Copsidas. Le livre Au nom du rap est disponible ici.

Est-ce que tu peux nous raconter l’histoire de ce livre ? 

En fait, je venais de finir mon stage de fin d’études dans la mode. Et je me suis rendu compte que je n’avais pas du tout envie de bosser là-dedans. Et quand j’ai eu cette idée, j’ai tout arrêté. J’ai commencé à faire de la restauration le soir et la nuit, et la journée je bossais sur mon livre. Et c’est comme ça que ça a débuté. Maintenant, Au nom du rap est une fierté pour moi.

Tu dis que tu travailles dessus depuis deux ans. D’où t’est venue cette idée ?

Vraiment par hasard. En gros, j’aime beaucoup le rap, et je lis beaucoup. Et c’est une idée qui est venue spontanément en vacances. Quand j’en ai parlé à mon entourage, on m’a dit : “Ouais c’est chouette, tu pourrais le faire”. Du coup, je me suis lancée. Je me suis dit : “Ok, j’arrête tout, et je le fais”.

«Je faisais croire aux artistes que j’avais un éditeur et à un éditeur que j’avais des artistes»

En fait, pour démarcher autant de rappeurs, tu as dû y aller au culot ? C’était pas trop difficile au début ?

Les premiers liens que j’avais venaient des potes à moi, Panamera, qui font des clips. Et j’étais déjà allée sur deux trois tournages. Du coup c’est un univers qui m’était familier, ça ne me faisait pas peur. Mais les autres, ça a été du culot. J’envoyais des mails, je faisais croire aux artistes que j’avais un éditeur et à un éditeur que j’avais des artistes. Dès qu’il y a eu un premier rappeur qui a validé le projet et qui était ok, c’était plus facile au final d’aller démarcher les autres.

Mais ça a été un process d’un an, voire un an et demi pour vraiment aller chercher les gens, leur parler de poésie, et les motiver pour écrire un texte. Et comme je n’avais jamais rien fait avant, il fallait aussi gagner leur confiance pour qu’ils me croient sur le fait que ça n’allait pas être un classeur de fin de collège, mais un beau livre. Il y en a même certains qui pensaient que j’étais une fan, et que je voulais juste les voir. Ça a été très long, mais voilà ça s’est fait finalement.

Comment as-tu contacté les jeunes artistes qui ont illustré le livre ?

C’est un peu de tout. Par exemple, Stéphanie McCain, j’avais vu son travail sur Instagram. Du coup je l’avais contactée et je lui avais parlé du livre. Pareil pour Engy qui est un artiste que j’adore. Je l’ai aussi joint par le biais des réseaux sociaux. Après, il y en a dont je suis très proche, qui sont par exemple aux Beaux-Arts. Comme j’aime beaucoup leur travail, je voulais qu’ils soient dedans. Et comme c’est des potes, je voulais aussi leur donner de la force. C’est un cercle très familial. Il y a eu aussi des rencontres hasardeuses ou de dernière minute. On m’a proposé, j’ai accepté, j’étais contente. Ça s’est fait comme ça.

© « Au nom du rap » par Elena Copsidas

Les dessins ont été faits en fonction de chaque poème ou c’était juste tiré d’une série pré-faite selon les thèmes imposés ?

J’ai envoyé tous les poèmes aux illustrateurs. Et eux ont choisi ceux qu’ils voulaient illustrer. C’était vraiment une interprétation visuelle du texte, et du coup détachée des thématiques d’écriture. Par exemple, MJ a bien aimé le texte de Lord Esperanza, et donc par derrière il a travaillé à partir du poème du rappeur. Comme ce sont des artistes qui ont choisi leurs textes, ils en étaient inspirés. En gros, à la fin je me suis retrouvée avec le PDF final du truc, et là, il fallait renvoyer à 27 artistes pour que ce soit validé. Et heureusement, ça a été validé.

Qu’est-ce qui t’a pris le plus de temps dans la confection de ton livre ?

C’est quand tu contactes les artistes. Déjà, il faut trouver l’artiste dans un premier temps. Une fois que tu le rencontres, il faut obtenir un oui ou un non. Ensuite, tu as six mois de battements entre le moment où l’artiste a accepté, et le moment où il écrit son poème. Du coup c’est des process qui sont hyper longs et puis il y en avait que je ne connaissais pas du tout. Du coup ça a été aussi compliqué d’aller les voir en studio, discuter, se faire confiance. Finalement, il y a de vrais liens d’amitié qui se créent. Après c’est pas seulement ça. Le fait de monter la maison d’édition aussi, ça a été très compliqué. J’ai quitté mon éditeur, monté ma boite. Donc ça, ça a été long, car il fallait tout gérer. Notamment sur le choix du papier, de l’imprimeur, l’avocat tout ça. 

Est-ce que parfois, tu désespérais ?

Oui, carrément. En fait, le truc, c’est que je ne pouvais pas abandonner car j’avais déjà des poèmes de rappeurs. Donc moi, à partir du moment où je m’étais engagée auprès d’eux, je ne pouvais pas me dire : « Vas-y je en le fais pas, c’est trop compliqué ». Ça, c’est le truc qui m’a fait tenir. Mais ouais, il y a eu des phases très compliquées. Certains artistes devaient le faire, mais ils avaient changé de manager, notamment SCH. Donc ils ne l’ont pas fait. En fait, c’est aussi beaucoup de déceptions. Tu t’attends à avoir un texte, tu patientes pendant des mois et au final ça n’arrive pas. Faut toujours trouver une alternative, une solution, réfléchir à quelqu’un d’autre.

«C’est surtout le fait que ce soit déshabillé de la prod musicale qui était un peu nouveau pour eux»

Bleu, brut, mur, muse. Comment as tu choisi les thèmes ?

En gros, je voulais des thèmes qui sonnent bien ensemble quand tu les dis. Dans la sonorité, ça devait être agréable à entendre. Mais aussi car je souhaitais que ça les mène à des terrains de réflexions super larges. Le but, c’était de sortir des codes du rap initiaux. Dissocier poésie, rap, musique. Finalement, j’ai pris des thèmes qui pouvaient s’ouvrir à plein de choses différentes.

Jok’Air semble parler d’une muse, et il a l’habitude de trouver son inspiration dans la féminité, l’amour et l’érotisme. Il est resté fidèle à sa vision de l’art ?

Oui, même inspiration, mais abordée différemment. Il a parlé de femme oui, mais sans aucune vulgarité tu vois. Il a quand même été très poétique et c’est ça que j’ai trouvé rigolo. Jok’Air a pris son thème initial et l’a revisité.

Est-ce que certains n’avaient jamais écrit de poème ? Et se sont-ils surpris à aimer ça ?

Jok’air oui, il n’avait jamais écrit. D’ailleurs quand je l’avais interviewé il m’avait dit qu’il avait plus tendance à écrire oralement. Et en gros, à poser quand il est en studio. Il y en a qui ont aussi vraiment l’habitude, genre Lino, Akhenaton, etc. Pour eux, c’était un exercice hyper naturel. Je crois que pour Rémi c’était assez nouveau aussi. Je sais que Greg Frite a adoré le faire, et il y a pris beaucoup de plaisir. 

En fait, c’est quoi les différences entre le rap et la poésie ? 

C’est surtout le fait que ce soit déshabillé de la prod musicale qui était un peu nouveau pour eux. C’est sûr que la structure de l’écriture est totalement différente. Moi qui manage un artiste, je sais que c’est d’abord du yaourt en studio sur une prod, et ensuite on écrit. Ils ont déjà le tempo, tout ça. Et là, ils ont eu la liberté de ne pas se baser là-dessus. Ils pouvaient vraiment écrire ce qu’ils voulaient, dans la rythmique qu’ils voulaient.

© Elena Copsidas / Instagram

Certains ont fait des poèmes à leur sauce, comme Captaine Roshi qui a fait un poème en seulement deux lignes, et Sean qui a calé des définitions dans le sien. Est-ce que tu as essayé de revoir leurs écrits avec eux ou tu les as laissé tels quels ?

Moi, je leur avais juste dit : « En vers ou en prose, et de la longueur que vous souhaitez ». Tout le monde a écrit à peu près entre dix et trente lignes. Captaine Roshi, son poème, était à la base très long. Donc on l’a recoupé, et il y a eu un travail de réécriture derrière. Et Sean par exemple, il a respecté zéro règle d’écriture mais je trouve que son texte est incroyable justement. C’est pas provocant, mais c’est dénué de tout code tu vois. Et c’est aussi une forme de poésie d’aller vers des styles d’écriture déstructurés.

Page 40, il y a un poème déstructuré justement, de Kacem, qui est difficile à déchiffrer. Tu l’as compris directement ? 

En gros c’est du langage codé. C’est pour ça qu’on a fait illustrer la traduction et pas le contraire. Afin qu’on comprenne que c’est celui de Kacem qui est à déchiffrer et pas l’inverse. En gros Kacem m’a envoyé 12 poèmes, ils étaient tous incroyables c’était très difficile de choisir, mais je ne pouvais pas inclure les 12 sinon ça aurait été un livre sur Kacem et pas un recueil de poésie sur plein de rappeurs. Donc quand il me l’a envoyé, il y avait la traduction juste en dessous, alors j’ai compris. Je me suis dit que j’étais obligée de le mettre parce que c’était trop chouette comme proposition. Je trouve qu’il dénote tellement du reste que c’était rigolo de l’avoir. 

Certains s’écartent pas mal des contraintes que t’avais imposées, dont le thème. Qu’est ce que t’en penses ? 

Dans tous les cas, moi, je les ai juste mis dans l’introduction pour préciser au lecteur que j’avais donné des thèmes. Après c’était pas un truc très scolaire, moi je voulais juste les orienter mais s’ils avaient d’autres idées c’était bienvenu. Après c’est des rappeurs, fallait s’attendre au fait que ce soit pas les plus respectueux des règles tu vois (rires). Donc ça ne m’a pas dérangée, au contraire. Je trouve que c’est plein de surprises et que le lecteur peut essayer de les attribuer à des thèmes. Mais je ne l’ai pas fait pour les embêter, je l’ai vraiment fait pour qu’eux trouvent une espèce de porte vers une nouvelle écriture. Chacun a écrit sur ce qu’il voulait.

«L’exercice, c’était vraiment de leur donner la parole à eux et c’est ce qui légitimait aussi le projet Au nom du rap

Est-ce que t’as pu avoir beaucoup de retours ces derniers temps ?

Ouais ça a été super bien reçu par les artistes eux-mêmes donc ça c’était hyper valorisant. Parce qu’après deux ans de charbon quand je l’ai sorti et que je l’ai envoyé aux rappeurs, j’avais un peu peur. Finalement, ils étaient contents de le recevoir, et d’avoir un bel objet. Les médias l’ont bien reçu aussi. C’était et c’est encore trop bien. Après ce qui est rigolo, c’est que je gère les commandes, j’envoie les colis toute seule. Et je reçois plein de commandes de jeunes qui l’achètent pour leurs parents. Des jeunes qui sont trop contents de faire découvrir le rap à leurs darons, et avec un bouquin tu vois. 

Peut-être que ça permet aux autres générations de voir une autre facette du rap, non ?

Carrément ! Ma grand-mère est fan, elle n’arrête pas de m’en commander et de les vendre dans son quartier dans le 16e. Elle les distribue comme des petits pains (rires). Elle va voir tous les commerces de son quartier elle leur explique que le rap c’est merveilleux, elle appelle Booba « Boba » et Youssoupha c’est « Youssapha » mais sinon on y est presque (rires). Mais c’est cool de toucher tout le monde : il n’y a pas de vulgarité, pas de gros mots.

J’aimerais bien le placer en collège pour des associations. Ça pourrait être une porte d’entrée vers l’écriture. Je suis à la FNAC aussi, mais je n’ai pas encore de distributeur. L’avantage de ne pas avoir d’éditeurs c’est de tout choisir, de la couleur du livre aux illustrations, à la distrib aussi, et l’inconvénient c’est que du coup t’as plus de travail quoi. 

D’ailleurs, comment t’as choisi l’image de la quatrième de couverture ? 

Alors c’est La Grosse Griffe, le nom de l’artiste qui a fait la mise en page du bouquin. J’avais vraiment l’image d’un doré sur du bleu. C’est ce que je voulais depuis 2 ans donc je l’ai embêté avec ça. Après, on a voulu illustrer l’arrière et on a trouvé cette illustration de Engy Saint-ange, que j’adore. En fait, il était dans un parc, un gamin est venu le voir, et lui a dit « vas-y, t’as deux minutes pour me dessiner ». Je trouvais l’histoire trop mignonne donc on l’a gardée et mise derrière. 

 

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Ton livre s’ouvre avec le poème de Waly Dia, qui est un peu une déclaration d’amour au rap, est ce que c’est fait exprès que chronologiquement ça commence par ça ?

Alors, c’est parce que c’est la préface. Waly Dia, c’est un humoriste qui était au Jamel Comedy Club et qui aujourd’hui est chroniqueur chez France Inter. Je le trouve vraiment super, et très smart, et du coup, je n’ai pas précisé « préface » parce que c’était un peu tacite tu vois. Mais ouais, ça commence par là parce que c’est lui qui introduit le sujet derrière moi.

Pour l’occasion, il a fait une sorte de lettre adressée au rap, qui est assez controversée, assez provoc’. Et je trouvais ça cool parce que ce n’était pas mon propos, mais le sien. Après tout, il avait le droit de dire ce qu’il voulait par rapport à ce projet là. C’est une déclaration d’amour au rap sans limite, sans filtre.

Tu as fait le choix de ne leur imposer aucune limite dans leur liberté de s’exprimer, finalement ?

Ouais je pouvais pas tout cadrer. Le seul truc que je me suis imposé à moi-même, c’est de ne pas donner mon avis. Chaque artiste qui avait la place pour dire ce qu’il pensait pouvait le faire. En tant que rappeur, je trouve ça assez logique, en tant que chroniqueur, je trouve ça assez logique. Moi je ne me vois pas parler du rap parce que je suis personne pour parler du rap. L’exercice, c’était vraiment de leur donner la parole à eux et c’est ce qui légitimait aussi le projet Au nom du rap.

Le livre est Au nom du rap disponible ici.

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