Culture
Au fait, elle est bien l’exposition Michael Jackson au Grand Palais ?
Michael Jackson est l’icône que l’on connaît. De son enfance difficile en passant par ses succès mondiaux et intemporels, plus de dix ans après sa mort, le roi de la pop est toujours très actuel. Pas étonnant que le Grand Palais décide de lui rendre un tel hommage : en plus d’être le génie musical apprécié de (presque) tous, il était aussi un collectionneur chevronné et bien entendu, une muse qui a inspiré les plus grands. Andy Warhol, David LaChapelle, Yan Pei-Ming et bien d’autres lui rendent hommage dans l’exposition Off The Wall, à l’origine créée à la National Portrait Gallery de Londres. Retour sur une démarche originale et parfois maladroite.
Si vous vous attendiez à une exposition retraçant la vie et l’oeuvre de Michael Jackson via des archives, des costumes et autres memorabilias vous risquez d’être déçus. Ici la démarche est toute autre puisque l’exposition s’intéresse au King de La Pop dans l’oeil des artistes. Mais à bien y réfléchir, il était évident que Michael, dans tout ce qu’il a de baroque allait inspirer les plus grands créatifs de son temps et du notre. La créativité appelle la créativité, dira-t-on. L’exposition du Grand Palais s’est enrichie de nouvelles oeuvres par rapport à celle de la National Portrait Gallery – qui était bien plus axée sur le portrait (logique) – Off the Wall explore donc divers médiums artistiques dans un patchwork de sens un brin confus.
D’icône sacrée de la pop à oeuvre d’art
Michael Jackson est une icône. Le terme icône offre deux sens, à la fois le sens pictural et graphique: celle de la figure d’un Saint sur un panneau de bois doré, et le sens figuré, signifiant celui qui incarne un courant, une mode, une communauté. Personne ne répond si bien à la polysémie de Michael Jackson. Toujours idolâtré, le roi de la pop et ses excentricités offrent un terreau fertile pour les portraits au goût presque mystique. A l’entrée de l’exposition, on est saisi par le portrait monumental réalisé par Kehinde Wiley, titré Portrait équestre du roi Philippe II (Michael Jackson). L’artiste a en effet l’habitude de réinventer les portraits royaux classiques en remplaçant les protagonistes historiques par des stars noires replaçant ainsi « l’homme noir au coeur de l’histoire« . Ici, et c’est évident, jamais le Roi n’avait semblé aussi bien représenté.
Mais encore bien plus qu’un Roi, pour David La Chapelle, Michael Jackson est divin, christique même. L’artiste voit en MJ une source inépuisable d’inspiration, proposant une série subtilement dérangeante et tout à fait puissante, rappelant soudainement ce que le mot idole a de religieux.
Le Roi de la Pop a aussi rencontré le Roi du Pop Art. Andy Warhol en 1982 se prend d’une passion pour le jeune prodige, et réalise son portrait qui fera la une du Time deux ans plus tard. Une rumeur dit que celui-ci collectionnait même des souvenirs ayant trait à la vie de la star, gants, poupées et autres gadgets.
Vous l’avez compris, les oeuvres réalisées par les plus grands artistes du 20ème siècle sont nombreuses au sein de l’exposition. Il manquera juste celle de Jeff Koons, Michael Jackson et Bubbles dont les trois exemplaires existants sont dans des mains privées qui n’ont pas souhaité prêter leurs oeuvres.
Il ne s’agit pas non plus de faire une retrospective des collections de Michael Jackson, comme l’explique Vanessa Desclaux à nos confrères de Télérama : « l’exposition du Grand Palais n’a pas pour objet de présenter les goûts artistiques de Michael Jackson, ni les toiles de sa collection. » Toutefois, les goûts du Roi sont parfois exposés comme dans toute cour qui se respecte, notamment à travers ce qui constitue sans aucun doute la pièce de l’exposition, la sublime couverture de Dangerous, commandée par Michael en 1991, avec, pèle mêle, une flopée de références et d’inspirations dans une composition monstrueuse et merveilleuse, proche de Brugel l’Ancien ou de Jérome Bosch. Sous le regard masqué et distant de l’artiste, on trouvera – pas dans l’ordre – des clins d’oeil qui font l’univers fantasque du chanteur : portrait de Napoléon 1er sur le trône impérial par Ingres, Sergent Pepper’s Lonely Heart Club Band des Beatles, photos du couronnement d’Elisabeth 1er par Cecil Beaton, le tout dans une fête foraine maniaque, comme en référence à son ranch Neverland et a son amour pour Walt Disney.
Alors que sur les pochettes de Thriller et de Bad, le Roi était le seul mis en avant, il est ici bien caché derrière son masque, incarné par son seul regard. Le masque, revient d’ailleurs plusieurs fois dans l’exposition, chez Jordan Woflson et Isaac Lythoge par exemple. Michael ne manquait d’ailleurs pas de se cacher, à travers les effets spéciaux dans ses clips, derrières ses lunettes, derrières ses déclarations et les rumeurs qu’il lançait à son propre sujet. Un thème tout à propos donc.
Michael Jackson, un outil politique ?
Les réussites de l’exposition sont donc nombreuses. Les pièces mentionnées impressionnent, séduisent par ce qu’elles ont de surprenantes et d’authentiques, on se sent proche du chanteur. De nombreux artistes moins célèbres ont également été inspirés par Michael Jackson, et les choix parmi ceux là on été fait avec plus où moins de maladresse. Si les pièces vidéos commandées pour l’occasion sont amusantes sans être renversantes, certaines oeuvres questionnent par leur complexité parfois un peu factice. Le malaise naît parfois d’une dimension politique que l’ont croirait opposée, comme créée de toutes pièces par des artistes en mal de sens. Elle est réussie chez Faith Rinngold et son Who’s bad? qui représente MJ dansant dans une allée de New York via l’extrait du clip de Scorcese, le tout entouré d’une toile où les noms des grandes figures noires de l’époque comme Rosa Parks, Malcolm X ou Nelson Mandela. Ici, la peinture de genre dénonce assez finement les discriminations.
Car oui, Michael était politique, un peu malgré lui. Parce qu’il était noir, parce qu’il avait un succès extraordinaire à une époque où il était peut-être encore plus difficile d’en avoir sans subir de discrimination. La force de la star, c’est qu’elle a su transcender les classes sociales, les races, et qu’aujourd’hui encore, elle fait l’unanimité absolue. Combien peuvent se revendiquer d’être aussi fédérateur ? Sur Michael Jackson et sa portée politique, la musicologue Elisabeth Petitjean en a même fait une thèse, « Les dynamiques raciales dans la production de Michael Jackson (1979-2001) » Michael Jackson était politique en lui même, dans sa complexité intrinsèque. Non pas dans ses actes militants, car être lui même suffisait à faire de lui un objet de militantisme.
Toutefois, c’est parfois avec une certaine inélégance que le sujet est traité, notamment chez Todd Gray, pourtant photographe officiel de l’idole de 1979 à 1983. L’artiste rappelait à Telerama que Michael « (…) a voulu adopter tous les canons de la beauté européenne pour devenir le plus grand entertainer vivant. La communauté afro-américaine a pensé qu’il la reniait : “Tu ne nous ressemble plus, nous ne nous reconnaissons plus en toi” ». Partant de ce postulat véridique de l’époque (sans doute due à des erreurs de communication de la part du chanteur sur sa maladie), Todd Gray questionne l’identité noire du chanteur. Il mêle dans une composition troublante, des portraits de Michael Jackson avec des clichés documentaires du Ghana, mais aussi du cosmos cherchant à « Analyser l’impact du pouvoir post-colonial sur la construction des notions de races, de classes et de genres » La superposition étant selon lui « sa manière d’additionner sens critique d’amalgamer le temps et l’espace, et de contrer les idées préconçues sur des corps noirs ». Un peu indigeste.
Pourquoi utiliser l’image de l’artiste pour alimenter une telle réflexion ? Ne serait-ce pas un peu tiré par les cheveux que d’associer Michael Jackson à des images documentaires du Ghana ? Peut-être est-ce la force de Michael Jackson, c’est qu’il transcende aussi toutes les causes raciales, et qu’il peut servir à incarner physiquement toutes les luttes. Pourtant, une gêne certaine s’empare de l’audience face à ses oeuvres qui sûr-interprètent presque ce qu’était la star, en conférant à son corps un aspect d’une allégorie activiste intégrée et consciente qui semble un peu discutable. Mais après tout pourquoi pas, puisque l’artiste était total, son corps pouvait l’être aussi.
Le bilan est donc mitigé. On regrettera aussi la muséographie, un peu surchargée autour d’une seule salle, laissant peu de place pour les oeuvres qui en auraient mérité plus. Et bien qu’on en ressorte avec un sentiment d’avoir vu une exposition un peu légère en terme de contenu, on se souviendra longtemps de certaines pièces, qui brillent toujours aussi fort dix ans après le décès du chanteur. Le Roi est mort, Vive le roi !
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